Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

mardi 31 décembre 2019

Lady Karuizawa - Karuizawa fujin, Masaru Konuma (1982)


Junichi, jeune homme issu d'une famille pauvre de la ville très touristique de Karuizawa, est engagé dans un restaurant huppé. Son objectif : s'élever dans la société. Mais à la suite d'un malentendu, il est renvoyé. Il fait à cette occasion la connaissance de Keiko, riche épouse solitaire, et de son fils de cinq ans. Sous son charme, Junichi devient le tuteur de l'enfant...

Lorsque le studio Nikkatsu fait sa mue et oriente sa production vers le genre dit Roman Porno, c’est pour répondre à la concurrence de la télévision qui vide les salles en proposant ce que le petit écran ne peut se permettre : l’érotisme. Le résultat dépassera les attentes, tant artistiquement que commercialement. Les jeunes loups talentueux comme Masaru Konuma, Noboru Tanaka ou Tatsumi Kumashiro y voient une opportunité de passé à la mise en scène, bénéficier du savoir-faire des techniciens de la Nikkatsu (formés à des productions plus « nobles » et apportant de fait une facture plus classieuse qu’une production érotique indépendante) et apporter une touche personnelle tout en se pliant aux contraintes du genre. 

Les années 70 voient donc la sortie de classiques irrévérencieux et inventif comme Fleur Secrète (1974), La Vie secrète de Madame Yoshino (1976), La femme aux cheveux rouges (1979) ou encore La Véritable histoire d’Abe Sada (1975). La Nikkatsu se trouvera dans le même genre d’impasse au début des années 80 lorsque c’est cette fois la concurrence de la vidéo (et plus précisément l’AV vidéo) qui vient proposer une offre plus corsée à domicile. La Nikkatsu oriente donc ses Roman Porno vers un spectacle plus haut de gamme, plus grand public.

Lady Karuizawa une des manifestations de ce changement. Le film est réalisé par Masaru Konuma qui signa des fleurons du cinéma SM au début des années 70 avec Naomi Tani, et qui doit donc aussi se réinventer avec ce paradigme de production différent. L’actrice principale sera Miwa Takada qui eut son heure de gloire durant les années 60 avant de voir sa carrière décliner. Lady Karuizawa est le film de son grand retour au cinéma après douze ans de hiatus et l’argument publicitaire repose notamment sur le fait d’avoir une actrice de son standing dans un Roman Porno. C’est un élément fondamental dans l’approche narrative et formelle de Masaru Konuma. Lady Karuizawa est une sorte de Le Rouge et le Noir japonais, contemporain et érotique. Dans la ville provinciale touristique de Karuizawa, le jeune Junichi (Takayuki Godai) suite à un concours de circonstances entre au service de Keiko (Miwa Takada) riche épouse solitaire. 

Konuma friand de métaphore passe de l’hiver solitaire de la scène d’ouverture pour cette femme à l’été synonyme d’épanouissement lorsqu’elle rencontrera Junichi – sans parler de ce vase gelé qui se brise et symbolisant « l’ouverture » de la femme. Le réalisateur sait sobrement faire monter la tension érotique entre le jeune homme et la femme mûre, dans une attente à la fois intra et extra-diégétique. Cette tension érotique fonctionne dans le fait de voir pour la première fois nue une star comme Miwa Takada pour le spectateur japonais de l’époque, et au sein du film le mélange de prestance aristocratique et de désir vulnérable étouffé dans les attitudes de Keiko. Cela donne une superbe scène comme ce rapprochement en forêt aux premières lueurs de l’aube (filmé en nuit américaine bleutée ou alors en studio) où ce déchirement entre retenue et lâcher prise fonctionne à plein.

On ressent cet abandon libérateur lorsque le verni craque enfin avec la première étreinte entre Keiko et Junichi. Le filmage de Konuma diffère grandement de celui adopté pour saisir les formes voluptueuses de Naomi Tani. Cette dernière spécialiste du cinéma SM (et des adaptations du chantre littéraire du genre au Japon, Oniraku Dan) libérait son désir avec une démesure que Konuma saisissait avec excès et grandiloquence. Miwa Takada est une actrice novice du cinéma érotique (ce sera même sa seule incursion dans ce registre), et cela joue en faveur du film et l’attitude timorée du personnage qui s’enhardit progressivement, et également par son corps séduisant dans sa « normalité » comparé à celui de Naomi Tani intimidant de sensualité. Malheureusement l’intrigue se perd un peu par la suite dans sa critique peu subtile de l’avilissement des bourgeois et une intrigue criminelle poussive. 

Tout cela était limpide dès le départ en mettant en opposition les scènes d’amour conjugales contrainte et machistes avec l’époux (Yoshio Tsuchiya) et le vrai abandon, plaisir qu’exprimait Keiko dans les bras de Junichi. Néanmoins, on sent un Masaru Konuma ici nettement moins ambivalent dans son féminisme (ses grands films hésitant toujours entre le plaisir d’humilier la femme et la jubilation de la voir prendre sa revanche), correspondant sans doute plus aux attentes du public (notamment la magistrale scène finale) en ce début des années 80. Pas le meilleur Konuma mais une vraie œuvre intéressante. 
 
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Elephant Films

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire