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mardi 24 décembre 2019

Le Lac aux oies sauvages - Nan Fang Che Zhan De Ju Hui, Diao Yinan (2019)


Un chef de gang en quête de rédemption et une prostituée prête à tout pour recouvrer sa liberté se retrouvent au cœur d’une chasse à l’homme. Ensemble, ils décident de jouer une dernière fois avec leur destin.

Diao Yinan avait été grandement mis en lumière par son brillant Black Coal (2014) et permit, avec d’autres, d’anticiper la vitalité récente du cinéma d’auteur chinois. On retrouve donc ici la patine réaliste et sociale de Black Coal mais l’approche atmosphérique se fait moins prégnante pour laisser place au polar urgent et brutal. L’une des premières scènes nous montre l’organisation d’un gang de voleurs se formant au vol de moto avant de se partager les ruelles de la ville pour de lucratifs travaux pratiques. Ce semblant de communauté vole vite en éclat lorsque certains seront mécontents de leurs attributions et la séquence bascule dans un pugilat collectif brutal. L’égoïsme de cette Chine contemporaine et la résolution d’une insatisfaction par la violence sèche ou la traîtrise, tout cela est contenu dans cette introduction qui s’inscrit dans un récit en flashback.

Les conséquences de ce règlement de compte vont faire de Zhou Zenong (Hu Ge) un fugitif traqué par la police et les malfrats. La narration éclatée distille progressivement les enjeux, les différents protagonistes et les jeux d’alliance et de trahisons qui vont se nouer. Diao Yinan fonctionne de la sorte essentiellement pour nous dépeindre une Chine des bas-fonds dans des environnements et des mœurs singuliers. On s’imprègne ainsi du cadre pour finalement appréhender par l’image les enjeux intimes des personnages. Cela est vrai pour le monde criminel violent de Zhou Zenong, ça l’est tout autant pour le fameux « lac aux oies sauvages », beauté naturelle dissimulant de sombres pratiques comme la prostitution des « baigneuses » avec Liu Aiai (Kwai Lun-mei). L’association inattendue et vacillante de cette dernière avec Zhou illustre ainsi cet individualisme contemporain et pas si spécifique à la Chine, même si cette course à la réussite s’y affirme de façon plus crue. Les maux de Zhou Zenong viennent de la noble intention qu’il souhaite tirer de sa périlleuse situation pour sa famille, un altruisme qui trouve son contrepoint dans le pur instinct de survie de Liu Aiai.

Les personnages s’accompagnent, se suivent et/ou se séparent tout au long du récit, rendus faibles par leur situation (Zhou Zenong) ou leur statut de femme (Liu Aiai mais aussi Yang Shujun l’épouse de Zhou Zenong (Regina Wan)) dans ce monde au machisme rampant. C’est leur conscience d’autrui qui les rapproche en dépit de ce contexte dans de pures envolées sensorielles et formelles. On pense à cette ballade en barque où l’étreinte des corps, l’enveloppe brumeuse et nocturne façonnent brièvement pour eux un monde à part. Hors de ces lieux, l’individualisme domine le collectif, qu’il soit criminel comme évoqué plus haut ou policier avec des agents prêts a toutes les bassesses pour le chiffre et la gloire (civils abattus, chantage, un glaçant selfie final). 

Cette approche pulsative et émotionnelle fonctionne bien sûr aussi dans les purs moments de polar. Une embuscade en pleine danse publique explose après une mise en place savamment orchestrée par la gestion des bruits ambiants et une caméra mobile accrochant brillamment tous les points de vue. On retrouve cet art apprécié dans Un grand voyage vers la nuit de faire naître une image marquante d’un élément trivial, ici avec les chaussures phosphorescentes des danseurs qui créent une vignette nocturne surprenante. Autre moment suspendu avant l’explosion, cette traversée armée de la flore autour du lac et les faces à faces hypnotiques avec les bêtes sauvages, brisés par le sifflement des balles. La crasse du réel se confond constamment avec la grâce du rêve, ce qui est, ce qui paraît et ce qui pourrait être formant un tout clair ou confus selon la volonté du cinéaste. 

La vision très noire de l’humanité et de son pays de Diao Yinan est atténuée dans un beau final où pour un court instant, la solidarité et une forme de bienveillance silencieuse s’affirment. Entre chaos impitoyable et apaisement éphémère, Diao Yinan nous offre une nouvelle grande réussite.

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