Les personnages se rêvant plus grands qu'ils ne sont et aspirant à une existence meilleure quels que soient les chemins à prendre, voilà un thème récurrent dans la filmographie de Louis Malle. La bourgeoise amoureuse de Les Amants (1958), le jeune collabo sans morale de Lacombe Lucien (1974) ou le malfrat de Le Voleur (1967), tous s'inscrivent dans cette veine que poursuit Atlantic City la nostalgie en plus. Il s'agit du deuxième film américain de Louis Malle après La Petite (1978) durant lequel il tomba sous le charme de Susan Sarandon, à nouveau de la distribution ici. Il s'agit d'une adaptation du roman La Porte en face de Laird Koenig que Malle et son scénariste John Guare transpose aux Etats-Unis dans la ville d'Atlantic City. L'idée qui guide ce choix est une vieille photo qui fascina Malle et Guare, montrant un congrès de gangsters réuni à Atlantic City durant les années 30. Sur cette photo où les truands ont fière allure se trouve pourtant à l'écart un homme souriant, moins pimpant et intimidant que ses congénères. C'est dans le développement de cette figure que repose le cœur du film en retrouvant au crépuscule de sa vie le personnage.
Il s'agit de Lou (Burt Lancaster), truand minable à la retraite et officiant en tant que bookmaker. Lou incarne à lui seule la nostalgie d'une ville d'Atlantic City décrépie et loin de sa splendeur d'antan. Les scènes de destructions de bâtiments emblématiques parcourent le récit, l'ancienne villégiature des gangsters étant désormais une cité en crise. Si Lou symbolise un passé révolu (tout comme la tempétueuse voisine et amante Grace dont il s'occupe), les autres protagonistes reflètent eux un présent tout aussi sinistré. Les voies de réussites s'illustrent dans des chimères criminelles pour Dave (Robert Joy), luxueuse pour Sally (Susan Sarandon) aspirant à être croupière à Monaco, voire même mystique pour sa sœur Chrissie (Hollis McLaren) et ses élans new wage vaseux. Tous sont partagés entre cette aspirations d'un ailleurs dans un clinquant superficiel ou alors à travers une veine plus lumineuse et sentimentale qui leur confère une innocence intacte et touchante.
Tout le film repose sur ce déchirement qui perdra rapidement les plus opportunistes comme Dave, mais qui laissera entrevoir autre chose avec le couple improbable formé par Dave et Sally. Cela s'affirme dans une des premières scènes où Dave observe en cachette sa voisine Sally faire sa toilette en se badigeonnant la poitrine de citron à sa fenêtre. Baignée de la photo ouatée de Richard Ciupka et du Song of India de Nikolaï Rimski-Korsakov dans la bande-son, la scène fait montre d'un voyeurisme délicat et d'une sensualité folle. La raison de ce rituel n'a pourtant rien d'érotique puisqu'on apprendra plus tard que Sally fait cela pour estomper l'odeur de poisson car elle travaille dans un restaurant d'huître. Tout cela n'a cependant aucune importance quand le temps d'un instant tout aussi sensuel et romantique, Lou avoue à Sally l'avoir observée, lui dépeint dans le détail sa gestuelle et trahit par la voix et le regard son émotion profonde. Louis Malle s'attarde durant tout le monologue sur le visage de Burt Lancaster pour enfin révélée en contrechamps Susan Sarandon aimante et charnelle qui lui offre cette poitrine qu'il a tant regardé de loin.
Lou pense séduire Sally pour ce qu'il n'est pas en jouant de façon éphémère les nababs bienfaiteur alors que c'est précisément ce moment de mise à nu qui scelle leur union. C'est la problématique du film ou en miroir d'Atlantic City Lou rêve de ce qu'il a été, ou plutôt de ce qu'il a rêvé d'être. Les beaux costumes et l'argent facile n'estompent pas le minable et le lâche qu'il a toujours été, et de la même façon Grace initialement dépeinte comme une affreuse mégère fini par être émouvante dans les regrets qu'elle exprime de sa beauté perdue, de la grande vie d'antan. Lou parait comme enchaîné à cette volonté du paraître aux yeux des autres, plus fier d'être à la une des faits divers pour sa seule marque de courage face à des mafieux - et dont personne ne le croit auteur. Son acte le plus héroïque intervient pourtant dans la séparation finale tacite avec Sally, laissant la jeune femme possiblement réaliser le futur qu'il n'a fait que rêver. Burt Lancaster est une fois de plus immense, jouant de son passif hollywoodien glorieux pour rendre le personnage d'autant plus touchant dans ses bravades de façades - et bouclant la boucle en finissant dupé (volontairement cette fois) par une femme comme son mythique premier rôle dans Les Tueurs de Robert Siodmak.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Gaumont
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