New Hampshire, 1759.
Les guerres franco-britanniques battent leur plein. Langdon Towne et Hunk
Mariner s’engagent dans les Rangers, et participent à une expédition
particulièrement périlleuse qui consiste à détruire un village indien. Mais ils
devront affronter autant les hommes que la nature pour survivre...
A la fin des années 30, le western n’est pas encore un genre
prestigieux et majeur du cinéma hollywoodien.
La Piste des géants de Raoul Walsh (1930 et premier rôle majeur de John
Wayne) est un échec commercial qui cantonne le western à la série B et la donne
ne sera changée qu’avec l’immense succès de La
Chevauchée fantastique de John Ford (1939). Néanmoins le western ne devient
un genre dominant et au rythme e production industrielle qu’au début des années
50, décennies qui en constitue l’âge d’or classique. En attendant le western
navigue entre les deux extrêmes de la série B fauchée et de la superproduction
fastueuse. Dans cette veine nantie les films se doivent d’être auréolés d’une
forme de prestige, que ce soit par l’évocation d’une figure mythique comme
Jesse James dans Le Brigand bien-aimé
(1940, Henry King), la mégalomanie d’un producteur dans Duel au soleil (1946, King Vidor) ou reposer sur une grande
adaptation littéraire comme Autant en emporte le vent (1939, Victor Fleming). Le
Grand passage réunit à peu près tous ces critères et notamment la source
littéraire lucrative puisqu’il s’agit de l’adaptation du roman Northwest Passage, best-seller de
Kenneth Roberts paru en 1937.
Roberts était spécialisé dans la fiction américano-historique
(Guerre d’indépendance, guerres franco-britanniques…) où il mettait en valeur
des figures héroïques méconnues et/ou oubliées. Dans Le Grand passage il célèbre donc Robert Rogers, fondateur et chef
des Rogers Rangers, milices privées plus aptes aux raids dans une nature
hostile que l’armée anglaise, et plus rompues aux affrontements barbares avec
les indiens. Le roman était divisé en deux parties distinctes, la première montrant
Rogers sous son jour le plus héroïque tandis que la seconde traitait de sa
déchéance. La MGM acquiert rapidement les droits du roman et fait le choix de
Spencer Tracy dans le rôle de Rogers. Pour le reste la production sera assez
chaotique, W.S. Van Dyke jetant l’éponge à la réalisation après avoir dépensé
des fortunes en repérages, Robert Taylor faisant de même en tête d’affiche au
profit de Robert Young. King Vidor prend la suite mais se heurte au refus du
studio d’adapter les deux parties du roman, les atermoiements et aléas d’un
difficile tournage en extérieur causeront dépassements de budgets et retard. Le Grand passage devait être le premier
film MGM en Technicolor mais sera finalement devancé par Amants de W.S. Van Dyke (1938) et Le Magicien d’Oz de Victor Fleming (1939), Vidor ayant d’ailleurs
tourné quelques séquences de ce dernier.
Le film débute comme une œuvre picaresque s’attachant à une
destinée individuelle pour finalement embrasser une célébration d’une grande
aventure collective. Le jeune Langdon Towne (Robert Young) rétif à l’autoritarisme
et l’injustice sociale se voit tour à tour renvoyé d’Harvard puis persona non
grata dans sa ville de Portsmouth après avoir dénoncé un notable corrompu. Son
talent pour confectionner les cartes l’amène à être recruté plus ou moins
volontairement par Robert Rogers. Ce dernier voit en lui un atout de taille
alors qu’il s’apprête à mener un dangereux raid contre un village d’indiens
Abenakis s’adonnant au massacre et pillage d’américain. La majesté des grands
espaces (le tournage aura lieu dans les environs de McCall en Idaho) se
conjugue aux rigueurs auxquelles doivent se soumettre les rangers et associe au
départ le récit au film d’aventures. Cependant la discipline, la cohésion et l’intelligence
qu’exigent la traversée de ces contrées hostiles anticipe finalement beaucoup
les codes du film de guerre et plus précisément de commando avec des œuvres comme
Aventures en Birmanie (1945)
notamment. Le regard s’associe à la découverte de ces codes et environnements
avec Towne, bleusaille et aspirant peintre, mais surtout par le chef
charismatique qu’est Robert Rogers.
Son autorité bienveillante fait passer la
dimension sacrificielle du soldat face à la mission (aucun blessé ne doit
handicaper la marche et la mission, et sera abandonné en chemin de son plein
gré) et galvanise les troupes dans les entreprises les plus impossibles. Le
collectif domptant l’adversité par la seule force de sa cohésion était au cœur des
scènes les plus flamboyantes de Note pain quotidien (1934) et King Vidor retrouve totalement de cette ferveur ici. Ce
sera tout d’abord lors d’une scène ou pour éviter une escouade française
embusquée en mer, les rangers la contournent en portant leurs canots sur une
colline. La silhouette des rangers semble se démultiplier à perte de vue dans l’effort,
leur tenue verte apportant une uniformisation dans l’effort que King Vidor
filme comme s’il saisissait un haut fait mythologique – bien aidé par le thème
chargé d’emphase d’Herbert Stothart. Même sentiment en plus puissant encore
lorsque les rangers formeront une chaîne humaine pour traverser une rivière
agitée, tout dans le déroulement et la répartition des tâches (la chaîne
humaine aide d’autres rangers à faire passer vivres et armes avant d’être tirée
à son tour) sert ce geste collectif.
L’individu ressurgit pour le meilleur
quand Rogers se doit de prendre l’initiative pour ragaillardir ses troupes qui
flanchent, ou quand le souvenir intime aide à repartir comme Towne qui
surmontera une terrible blessure sans abandonner la marche. Vidor ne glisse les
dysfonctionnements que dans la facette guerrière lors d’une mémorable séquence
de bataille. L’union et la stratégie servent ainsi la victoire finale mais
laisse entrevoir les bas-instincts de soldats gagnés par la folie et cédant à
un sadisme certain durant l’affrontement – et confirmé avec les élans
cannibales de certains lors de la traversée finale en famine. L’arrivée des
westerns pro-indiens des années 50 fit revoir Le Grand Passage d’un regard plus critique et d’accusations de
racisme injustes. Il y a bien quelques moments qui font tiquer (Spencer Tracy
rebaptisant avec l’arbitraire du colon un enfant indien de Billy) mais hormis la
réalité indéniable des scalps d’innocents, les indiens demeurent des
silhouettes ennemies anonymes qui ne sont pas ridiculisées, que ce soit pour en
faire des barbares sanguinaires ou des idiots (le seul introduits ainsi et
saoul et plutôt mis en valeur par la suite en tant qu’éclaireur). Le traitement des indiens sera certes plus fouillé et subtil dans des westerns futurs mais n'a rien de gênant rétrospectivement au vu des standards de l'époque.
Spencer Tracy est absolument parfait en leader insubmersible
(mais toujours humain et ouvert, voir le final au fort) et plus que les
morceaux de bravoures spectaculaires, la scène ou par sa seule verve et fait se
relever un Robert Young plus mort que vif donne vraiment le frisson. Robert
Young qu’on a plus l’habitude de voir dans le mélo ou la comédie s’en sort très
bien dans ce registre viril et ne fait pas regretter Robert Taylor plus taillé
pour le rôle sur le papier. Le film sera un vrai succès en salle, mais insuffisant à
rembourser son budget pharaonique (encore allongé par des scènes additionnelles
tournées par Jack Conway et Norman Foster), d’autant que le racisme évoqué plus
haut empêchera les possibles ressorties et rendra le film assez rare avec le
temps. Une œuvre passionnante donc, tant dans ses coulisses que par le
spectacle offert à l’écran.
Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire