Ty Ty, fermier pauvre
du Sud des États-Unis, creuse depuis quinze ans les champs qui entourent la
maison familiale à la recherche de l'or que le grand-père y aurait enfoui. Un
candidat au poste de shérif, amoureux de sa fille, lui conseille de capturer un
albinos pour l'aider dans cette tâche : les albinos auraient le pouvoir de voir
ce qu'il y a sous la terre. Tout en s'appauvrissant en cherchant l'or au lieu
de cultiver sa terre, le fermier tente de maintenir sa famille unie, mais les
conflits s'enveniment.
Par sa description d’un Sud poisseux et agité par le désir
et les pulsions violentes, God’s little
acre semble s’inscrire dans le courant lucratif des transpositions de
pièces de Tennessee Williams reposant sur les même motifs. Il s’agit pourtant d’un
succès littéraire bien antérieur avec le sulfureux roman éponyme d’Erskine
Caldwell paru en 1933. L’écriture truculente et imagée de l’auteur, notamment
sur tout ce qui aux trait aux situations sexuelles et vertus de l’anatomie
féminine, amenèrent l’ouvrage à avoir maille à partir avec les ligues de vertu
ce qui constitua une formidable publicité. Le roman s’avère donc un énorme
best-seller connu de tous, tant par les adultes que les adolescents qui s’émoustillent
de ses passages les plus corsés. Si la fortune d’Erskine Caldwell est faite
grâce à ce livre, cette provocation en fait un inadaptable notoire pour une
version filmée. La Fox s’y essaiera à ses dépens avec La Route du tabac de John Ford (1941) dont elle espère faire une « suite »
aux Raisins de la colère (1940) mais
le film est un échec qui laissera Caldwell amer.
La tentative suivante sera la bonne avec une adaptation
prestigieuse de God’s little acre
produite par la compagnie indépendante Security Pictures et distribuée par
United Artist. Anthony Mann avait signé son précédent film au sein de Security
Pictures avec Cote 365 (1957) et en
reprend en grande partie le casting et l’équipe technique. La nature
indépendante du projet le soustrait à la l’autocensure des studios plus frileux
et si Mann et son scénariste Philip Yordan (même le script est officieusement
dû au blacklisté Ben Maddow) atténue l’outrance salace du roman, ce ne sera qu’à
des fins dramatiques. L’histoire nous dépeint un Sud sinistré où les
personnages se réfugient dans un rêve et/ou comportement irrationnel les
laissant rêver à de jours meilleurs, ou leur faisant oublier leur condition. Le
plus emblématique de cette situation sera le patriarche Ty Ty (Robert Ryan),
creusant ses terres de multiple trou depuis des années en recherche de l’hypothétique
trésor que son grand-père y aurait enterré. Sa famille le suit dans sa folie
tout en étant agitée de ses propres troubles intimes telle la cadette
nymphomane Darling Jill (Fay Spain) ou l’aîné Buck (Jack Lord) est rongé par la
jalousie pour sa femme Griselda (Tina Louise) qui n’a jamais vraiment oublié
son premier amour Will (Aldo Ray) marié à Rosamond (Helen Westcott) fille aînée
de Ty Ty.
Le film s’avère inclassable dans son mélange de drame, de
farce et d’érotisme. Le fil conducteur sera l’amour indéfectible de Ty Ty et sa
volonté de maintenir sa famille soudée mais ce vœux est régulièrement mise à
mal par sa quête obsessionnelle du trésor. Ce fol espoir est finalement une
échappatoire au labeur ordinaire du cultivateur de coton qui l’attendrait
autrement. Cette union dans l’objectif hors-normes maintien certes la famille
unie mais l’égare aussi dans une folie douce que Mann traduit par le jeu outré
de l’ensemble du casting. On frise et cède au grotesque plus d’une fois dans
des séquences hautes en couleurs (l’enlèvement de l’albinos joué par Michael
Landon peroxydé) et les visions surréalistes tel ce travelling d’ouverture nous
révélant ce terrain aux trous s’étendant à perte de vue. Cette fuite du réel se
traduit par d’autres lubies pour les autres protagonistes, parfois comique avec
la cour pataude du voisin Pluto (Buddy Hackett) fou amoureux de Darling Jill et
rêvant d’être shérif, mais surtout tragique. La campagne autorise un refuge par
l’effort certes invraisemblable consistant à creuser des trous, la ville impose
une oisiveté qui mène à l’autodestruction (Will sombrant dans l’alcoolisme avec
la fermeture de l’usine qui le laisse sans emploi) ou une ambition froide et déshumanisée
avec le fils indigne Jim Leslie (Lance Fuller) honteux de ses origines.
Ce
tourbillons de sentiments exacerbés et contradictoires explose dans la
dimension sexuelle du film. Tina Louise dégage un sex-appeal affolant qui s’exprime
de façon naturelle par l’image (cette première apparition en robe de coton
transparente), subie avec les regards et assauts concupiscents de John Leslie
et par un désir aussi brûlant que coupable dans ses rapports avec Will. Anthony
Mann surprend dans ce registre, entrevu avec le striptease forcé de Julie
London dans L’Homme de l’ouest (1958)
et surtout les grandes romances de ses superproductions Le Cid (1961) et La Chute de l’empire romain (1964). Aldo Ray véhicule un mélange d’animalité et
sensibilité incroyable associé à une même dualité entre formes affolantes et
exposées (on ne lésine pas sur les décolletés vertigineux de Tina Louise) avec
la passion contenue de Griselda. La rencontre nocturne des deux personnages,
tout en rapprochement érotiques et fondu enchaînés fuyants/ellipses traduit
magnifiquement cet aspect.
C’est d’ailleurs tous le film qui offre une double lecture
lumineuse/ténébreuses de chaque sentiments et symboles obsessionnels. Le sexe
peut être coupable/oppressant ou innocemment joyeux entre Darling Jill et l’albinos,
les trous signent la déchéance familiale mais aussi son union dans cet espoir
vain et l’usine synonyme de ville morte ramène de manière éphémère la ville
chez les habitants le temps d’une scène où elle est remise en route. Les
bas-instincts profonds tout comme les rêves sont une respiration ou une prison
selon notre degré de servitude à eux, selon les moyens que l’on se donne pour
les assouvir. C’est toute l’ambiguïté d’une dernière scène apaisée mais ou un
Robert Ryan (assez extraordinaire tout du long) troque ses bonnes intentions
pour s’accorder une dernière chance d’assouvir sa quête.
Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
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