Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 25 septembre 2018

Le Petit Arpent du bon Dieu - God's Little Acre, Anthony Mann (1958)


Ty Ty, fermier pauvre du Sud des États-Unis, creuse depuis quinze ans les champs qui entourent la maison familiale à la recherche de l'or que le grand-père y aurait enfoui. Un candidat au poste de shérif, amoureux de sa fille, lui conseille de capturer un albinos pour l'aider dans cette tâche : les albinos auraient le pouvoir de voir ce qu'il y a sous la terre. Tout en s'appauvrissant en cherchant l'or au lieu de cultiver sa terre, le fermier tente de maintenir sa famille unie, mais les conflits s'enveniment.

Par sa description d’un Sud poisseux et agité par le désir et les pulsions violentes, God’s little acre semble s’inscrire dans le courant lucratif des transpositions de pièces de Tennessee Williams reposant sur les même motifs. Il s’agit pourtant d’un succès littéraire bien antérieur avec le sulfureux roman éponyme d’Erskine Caldwell paru en 1933. L’écriture truculente et imagée de l’auteur, notamment sur tout ce qui aux trait aux situations sexuelles et vertus de l’anatomie féminine, amenèrent l’ouvrage à avoir maille à partir avec les ligues de vertu ce qui constitua une formidable publicité. Le roman s’avère donc un énorme best-seller connu de tous, tant par les adultes que les adolescents qui s’émoustillent de ses passages les plus corsés. Si la fortune d’Erskine Caldwell est faite grâce à ce livre, cette provocation en fait un inadaptable notoire pour une version filmée. La Fox s’y essaiera à ses dépens avec La Route du tabac de John Ford (1941) dont elle espère faire une « suite » aux Raisins de la colère (1940) mais le film est un échec qui laissera Caldwell amer.

La tentative suivante sera la bonne avec une adaptation prestigieuse de God’s little acre produite par la compagnie indépendante Security Pictures et distribuée par United Artist. Anthony Mann avait signé son précédent film au sein de Security Pictures avec Cote 365 (1957) et en reprend en grande partie le casting et l’équipe technique. La nature indépendante du projet le soustrait à la l’autocensure des studios plus frileux et si Mann et son scénariste Philip Yordan (même le script est officieusement dû au blacklisté Ben Maddow) atténue l’outrance salace du roman, ce ne sera qu’à des fins dramatiques. L’histoire nous dépeint un Sud sinistré où les personnages se réfugient dans un rêve et/ou comportement irrationnel les laissant rêver à de jours meilleurs, ou leur faisant oublier leur condition. Le plus emblématique de cette situation sera le patriarche Ty Ty (Robert Ryan), creusant ses terres de multiple trou depuis des années en recherche de l’hypothétique trésor que son grand-père y aurait enterré. Sa famille le suit dans sa folie tout en étant agitée de ses propres troubles intimes telle la cadette nymphomane Darling Jill (Fay Spain) ou l’aîné Buck (Jack Lord) est rongé par la jalousie pour sa femme Griselda (Tina Louise) qui n’a jamais vraiment oublié son premier amour Will (Aldo Ray) marié à Rosamond (Helen Westcott) fille aînée de Ty Ty.

Le film s’avère inclassable dans son mélange de drame, de farce et d’érotisme. Le fil conducteur sera l’amour indéfectible de Ty Ty et sa volonté de maintenir sa famille soudée mais ce vœux est régulièrement mise à mal par sa quête obsessionnelle du trésor. Ce fol espoir est finalement une échappatoire au labeur ordinaire du cultivateur de coton qui l’attendrait autrement. Cette union dans l’objectif hors-normes maintien certes la famille unie mais l’égare aussi dans une folie douce que Mann traduit par le jeu outré de l’ensemble du casting. On frise et cède au grotesque plus d’une fois dans des séquences hautes en couleurs (l’enlèvement de l’albinos joué par Michael Landon peroxydé) et les visions surréalistes tel ce travelling d’ouverture nous révélant ce terrain aux trous s’étendant à perte de vue. Cette fuite du réel se traduit par d’autres lubies pour les autres protagonistes, parfois comique avec la cour pataude du voisin Pluto (Buddy Hackett) fou amoureux de Darling Jill et rêvant d’être shérif, mais surtout tragique. La campagne autorise un refuge par l’effort certes invraisemblable consistant à creuser des trous, la ville impose une oisiveté qui mène à l’autodestruction (Will sombrant dans l’alcoolisme avec la fermeture de l’usine qui le laisse sans emploi) ou une ambition froide et déshumanisée avec le fils indigne Jim Leslie (Lance Fuller) honteux de ses origines. 

 Ce tourbillons de sentiments exacerbés et contradictoires explose dans la dimension sexuelle du film. Tina Louise dégage un sex-appeal affolant qui s’exprime de façon naturelle par l’image (cette première apparition en robe de coton transparente), subie avec les regards et assauts concupiscents de John Leslie et par un désir aussi brûlant que coupable dans ses rapports avec Will. Anthony Mann surprend dans ce registre, entrevu avec le striptease forcé de Julie London dans L’Homme de l’ouest (1958) et surtout les grandes romances de ses superproductions Le Cid (1961) et La Chute de l’empire romain (1964). Aldo Ray véhicule un mélange d’animalité et sensibilité incroyable associé à une même dualité entre formes affolantes et exposées (on ne lésine pas sur les décolletés vertigineux de Tina Louise) avec la passion contenue de Griselda. La rencontre nocturne des deux personnages, tout en rapprochement érotiques et fondu enchaînés fuyants/ellipses traduit magnifiquement cet aspect.

C’est d’ailleurs tous le film qui offre une double lecture lumineuse/ténébreuses de chaque sentiments et symboles obsessionnels. Le sexe peut être coupable/oppressant ou innocemment joyeux entre Darling Jill et l’albinos, les trous signent la déchéance familiale mais aussi son union dans cet espoir vain et l’usine synonyme de ville morte ramène de manière éphémère la ville chez les habitants le temps d’une scène où elle est remise en route. Les bas-instincts profonds tout comme les rêves sont une respiration ou une prison selon notre degré de servitude à eux, selon les moyens que l’on se donne pour les assouvir. C’est toute l’ambiguïté d’une dernière scène apaisée mais ou un Robert Ryan (assez extraordinaire tout du long) troque ses bonnes intentions pour s’accorder une dernière chance d’assouvir sa quête. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side

 

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