Le Royaume de France, en plein cœur de la
Guerre de Cent ans. Laissant derrière lui Paris et l'Université de la
Sorbonne, le jeune Héron de Foix prend la route en direction de la mer,
qu'il n'a jamais vue. Au fil de son voyage il découvre une terre
dévastée par les guerres, la peste, la famine et le fanatisme religieux.
Hébergé pour la nuit dans un château, il y fait la connaissance de
Claudia, fille du Seigneur de Saint-Jean. Cette rencontre et les
soulèvements paysans qui se multiplient autour de lui vont bouleverser
son existence.
A Walk with Love and Death
est sans doute l’œuvre qui amorce la dernière et passionnante partie de
carrière de John Huston. Le film illustre à merveille les élans
libertaires de John Huston tout en entrant parfaitement en résonance
avec ceux de son époque. Tombé sous le charme de la fable médiévale de
Hans Koningsberger (qui participera au scénario) publiée en 1961, Huston convainc la Fox de lui allouer un budget conséquent pour une
adaptation. Le cadre historique du film va ainsi trouver un équivalent
dans une production mouvementée. Si la Guerre de Cent ans est au départ
un conflit entre les royaumes de France et d'Angleterre, sa durée et ses
conséquences sur l'économie des belligérants seront la cause d'une
guerre civile notamment en France avec de sanglantes jacqueries. Huston a
la surprise de se confronter à un même tumulte mondial puisque la
révolte (Mai 68 qui empêche le tournage initialement prévu à Paris) et
la tyrannie (l'arrivée des chars russes à Prague autre destination
envisagée), thématiques au cœur du film, se reflètent dans la conception
de l'oeuvre.
Le film offre une forme de récit picaresque et
initiatique médiéval où les personnages se confrontent à leurs doutes et
contradictions dans leur errance. Dans son voyage pour voir la mer,
Héron de Foix (Assi Dayan) recherche la beauté dans l'horreur du monde
qui l'entoure. Il idéalise cette vision fantasmée de la mer alors que la
réponse lui est donnée dès le début du film quand il entrevoit l'océan
en rêve et que, sortant de la torpeur du sommeil il tombe sur le visage
virginal de Claudia (Anjelica Huston). Cette dernière, noble et fille
d'un intendant du roi, fantasme aussi une forme d'amour pur et
platonique incompatible avec la vraie passion amoureuse. L'idéologie,
l'éducation et le fantasme doivent ainsi être transcendés par une
expérience reposant justement dans ses va et vient entre la beauté et
l'horreur, la douceur et la violence, le rêve et le cauchemar. Huston
l'exprime dans une des premières scènes du film lorsque Héron s'abreuve
dans un étang : la composition de plan somptueuse et la lumière
pastorale de Ted Scaife laisse alors la beauté morbide surgir dans le
cadre avec la découverte du cadavre flottant d'une jeune femme à demi
nue.
Toute la l'ambiguïté humaine se résume là, dans un récit où tous les
symboles d'une pensée trop tranchée son synonyme d'oppression. La
religion dans toute son expression la plus fanatique appelle à un oubli
de l'individu de façon masochiste (la confrontation avec le moine fou
joué par Michael Gough), violemment puritaine (l'abbaye de la dernière
partie où le rapprochement homme/femme est une monstruosité) et surtout
cynique à travers quelques vignettes ironiques/personnages opportunistes
- tel ce vendeur de reliques chrétiennes "authentiques". L'autre
schisme concerne la lutte des classes où les paysans à la révolte
légitime cèdent à une barbarie aveugle à laquelle répond celle des
chevaliers, bras armés de l'oppresseur noble donnant dans le massacre
impitoyable.
Huston montre alors ses amoureux juvéniles
s'arracher à l'influence de leur environnement pour vivre pleinement
leur amour. Héron tant qu'il ne vise qu'un idéal insaisissable peut voir
sa vertu "morale" vaciller tel ce moment saisissant où il cède à
la violence envers un jeune paysan. Claudia en se réfugiant dans la
seule hauteur de son rang ne peut qu'espérer la vengeance envers la
plèbe qui a détruit son château et tué son père. John Huston lui-même
dans un rôle bref mais essentiel résume les contradictions d'un regard
unidimensionnel sur ce monde en proie au chaos. L'amour courtois teinté
du respect de classe laisse la proximité s'installer (Claudia invitant
Héron à partager sa couche), puis la tendresse chaste cède au désir puis
à l'union de corps et d'esprit des amoureux - magnifiquement ponctuée
par le score de Georges Delerue. Les atrocités et la mort les entourant
leur ont fait renoncer à toutes les vaines tentations du monde, qu’ils
sont prêt à quitter ensemble puisque leur rencontre signe
l'aboutissement de leur quête. Huston tisse cela implicitement avec un
désir dépassant le rang et la morale, le manant et la noble s'aimant
dans une abbaye déserte et installant leur nid d'amour au pied d'une
croix.
Le Moyen-Age dépouillé dépeint par John Huston s'orne d'une aura
conjointement réaliste et rêvée où s'illustre sa vision désabusée de la
société mais aussi sa profonde croyance en l'humain et sa soif
d'ailleurs. La magnifique scène finale fait ainsi passer les amants vers
l'oubli avec cette mort imminente, mais surtout vers la liberté que
symbolise la mer qui se confond cette fois de manière consciente avec
l'amour. La portée de cette échappée est encore plus grande grâce à
l'interprétation et ce que représentent Assi Dayan (fils du
héros de guerre Mosché Dayan, choisissant la vie "saltimbanque"
d'acteur) et Anjelica Huston (16 ans et dans son premier rôle, là aussi
représentant une jeunesse occidentale nantie) et qu'ils prolongent
magnifiquement à l'écran. Le film pourtant si en phase avec la pensée
pacifiste d'alors sera pourtant un échec commercial.
Sorti en dvd zone 2 français chez Opening
Tótem (2024) de Lila Avilés
Il y a 5 heures
Bel article. C'est très juste ce va et vient entre beauté et horreur. Ce qui est assez beau aussi c'est que le film entier court de désillusion en désillusion (sur l'amour, les valeurs, l'ordre social), et pourtant le couple en cédant mutuellement un peu à l'autre résiste et leur union, finalement, est, me semble-t-il, la seule chose qui survit au chaos. J'ai découvert ce film récemment et je le retiens aisément comme un de mes préférés sur la période médiévale.
RépondreSupprimer