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jeudi 21 octobre 2021

Justice sans sommation - She Shoots Straight/Huang jia nu jiang, Corey Yuen (1990)


 De génération en génération, les membres de la famille Huang portent l'uniforme de la police de Hong Kong. Malgré le décès du père et de ses deux fils les plus âgés, la mère et ses quatre filles continuent de faire respecter la loi. Le plus jeune fils est marié à Mina, elle-même enrôlée dans les forces de police. Lors d'un raid contre un dangereux gang, l'une des sœurs commet une sérieuse erreur qui fait capoter l'opération. Le gang se venge en tuant le mari de Mina. Cette épreuve ne fait qu'attiser la haine de la famille qui unit ses forces pour exterminer un à un les membres du gang.

Corey Yuen est un des fondateurs d’un des sous-genres les plus jouissifs du polar et cinéma d'action hongkongais, le Girls with guns. Dans le très nerveux Le Sens du devoir 2 (1985) il brodait une version féminisée du mélange de polar urbain et de film d’action inventée par Jackie Chan dans Police Story (1985), avec un duo Michelle Yeoh/Cynthia Rothrock faisant des étincelles. Avec le temps le Girls with guns devient un filon lucratif du cinéma d’exploitation hongkongais auquel il offre nombre de séries B d’action mémorables. Ces films se distinguent généralement plus par leurs morceaux de bravoure que par des scénarios et intrigues assez sommaires. Corey Yuen signe un des vrais sommets du genre avec ce Justice sans sommation en ajoutant une vraie profondeur et émotion au cocktail d’adrénaline habituel. 

L’action est ici le moteur d’un récit familial. Les Huang sont une famille de policiers à travers les générations, porté par le fils aîné Tsung-Pao (Tony Leung Ka-fai) et ses quatre sœurs ayant à leur tour intégrés les forces de l’ordre. Le film s’ouvre sur le mariage de Tsung-Pao avec Mina (Joyce Mina Godenzi) également inspecteur de police chevronnée. Les sœurs et plus particulièrement l’aînée Ling (Carina Lau) jalousent la place prise par la nouvelle venue, ce qui va se prolonger dans leur collaboration sur le terrain. Comme souvent dans le Girls with guns les compétences des protagonistes féminines ne sont jamais remises en question tout en s’inscrivant dans un contexte de domination masculine (tous les postes d’autorités étant occupés par des hommes), ce modèle patriarcal se prolongeant dans l’intimité. 

Ainsi Mina malgré ses faits d’armes de policière est tendrement mais régulièrement sommée par sa belle-mère d’être une bonne épouse et plus spécifiquement de prolonger la lignée en devenant mère. Mina par ses compétences fait office de rivale dans le cercle familial où elle « vole » le frère chérit par ses sœurs, mais également sur le terrain où elle est leur supérieure hiérarchique. Les sœurs et le cercle policier voient d’ailleurs d’un mauvais œil cette femme dont les prouesses la font peu à peu passer devant son époux (qui progressiste n’en a cure) en termes de promotion. Corey Yuen mêle habilement ces questionnements aux séquences d’action, tout en faisant progressivement basculer ces interactions familiales de la comédie vers le drame.

Les évènements tragiques vont réorienter cette rivalité féminine vers une sororité familiale tournée vers la vengeance. Un gang de vietnamien dangereux va tuer le fils bien aimé, provoquant l’union sacrée des femmes de la famille pour laver l’affront. Le film se distingue par l’incroyable cruauté de son impitoyable méchant joué par Yuen Wah, décimant massivement et de toutes les manières possibles quiconque se pose en travers de son chemin. Corey Yuen se surpasse par la diversité, l’inventivité et la nature kamikaze de ses scènes d’actions. Même quand il orchestre une séquence déjà vue ailleurs il trouve l’idée qui la distingue et la rend mémorable. On a ainsi certes déjà vu une boite de nuit désintégrée sous les coups de feu dans Le Sens du devoir 4 (1989) mais le réalisateur y ajoute ici l’élément de l’obscurité et de l’usage de lunettes infra-rouge qui ajoute une tension et des mises à mort encore plus cruelles. L’usage de divers engins motorisés et de l’environnement urbain est l’occasion d’une course-poursuite mémorable en ouverture où le découpage ainsi que l’engagement des cascadeurs et acteurs stupéfie par son sens du mouvement et de la destruction. 

Plus tard les talents de guérilléros des Vietnamiens transforment un parc en un nid de pièges aussi raffinés que sanglants. On est abasourdi mais jamais pour le simple déchaînement d’action, car l’émotion est le vrai moteur du film. Ainsi après la mort tragique de Tsung-Pao, Corey Yuen nous sert une longue scène mélodramatique comme seul le cinéma hongkongais sait en orchestrer sans faire sourire malgré l’emphase. Mina et Ling se rendent à l’anniversaire de la mère, mortifiées et sans oser lui avouer la disparition de son fils. Les festivités se prolongent tandis que les deux héroïnes tentent de garder contenance, avant qu’une télévision allumée révèle le drame. Les larmes se disputent à une forme de fierté au féminin du corps policier et notamment la charismatique matriarche (Pik-Wan Tang) qui va garder la tête haute et traquer férocement le coupable. 

Hormis Tony Leung Ka-fai (qui disparait rapidement donc) et Sammo Hung plutôt dans un second rôle, tous les protagonistes masculins sont donc négatifs (le méchant bien sûr, mais aussi le commissaire arrogant faisant des avances à Mina) et servent tous par cette caractérisation le charisme des héroïnes. On peut regretter que Joyce Mina Godenzi ait eue une carrière si courte (elle quitte les plateaux de cinéma après son mariage avec Sammo Hung en 1994) tant elle en impose par son magnétisme, sa rage et ses aptitudes physiques. Tous les moments d’action les plus fous sont pour elle, bien secondée par une Carina Lau qui n’est pas en reste. La dernière demi-heure donne dans une surenchère d’anthologie. 

Corey Yuen exploite de nouveau un environnement déroutant avec un combat à deux contre cinquante sur un bateau dont on traverse toutes les coursives, salle des machines et autres rambardes à coups de pieds et de poings rageurs, quand ce ne sont pas les outils à portée de main qui servent d’armes aux dégâts ravageur. Le sens du mouvement, l’usage de la topographie des lieux et les chorégraphies inventives rendent la scène inoubliable mais Yuen décide de nous laisser repu avec un final encore plus fou. Le duel entre Joyce Mina Godenzi et l’artiste martiale Agnès Aurelio est un concentré d’énergie et de hargne vengeresse où l’on se rend coup pour coup dans un déchaînement d’acrobaties et de bottes secrètes douloureuse. Corey Yuen parvient à mêler à merveille cette dimension dramatique à la pure adrénaline dans une conclusion aussi abrupte qu’inoubliable. Avec son cœur gros comme ça, Justice sans sommation dépasse les seuls plaisirs primaires du Girls with gun

Sorti en dvd zone 2 français chez Metropolitan

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