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dimanche 3 octobre 2021

Valmont - Milos Forman (1989)

 Rien ne résiste aux entreprises de séduction de la Marquise de Merteuil et du Vicomte de Valmont. Unis par leurs complots et leurs secrets, ils règnent sur les salons et les boudoirs de cette aristocratie qui ignore que sa fin approche. Mais ces virtuoses de l'intrigue amoureuse finiront par s'affronter...

Valmont est une adaptation des Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos plus libre que le film éponyme de Stephen Frears sorti l’année précédente. Cette version à succès fera beaucoup d’ombre à celle de Milos Forman alors que paradoxalement ce dernier partait avec de l’avance dans son projet d’adaptation. Milos Forman se passionne pour le roman et invite Jean-Claude Carrière à en écrire l’adaptation dans un processus qui s’étale sur deux ans, le temps pour la pièce de Christopher Hampton de sortir et d’être jouée. Forman et Carrière souhaitant s’autoriser une certaine liberté dans leur vision refuse d’en acheter les droits, que fera Stephen Frears qui lance immédiatement la production de son film. L’autre raison qui vit Forman et Carrière de se détourner de la pièce d’Hampton, c’est pour son aspect profondément manichéen et schématique. Ils eurent l’occasion de voir la pièce sur scène et trouvèrent que tous les personnages entraient dans des archétypes (jeune fille ingénue, séducteur, oie blanche…) dont ils ne sortaient pas.

Valmont par son ton et les entorses qu’il prend par rapport au roman est en effet un film plus insaisissable. Toute l’aura machiavélique du duo Valmont (Colin Firth) /Marquise de Merteuil (Annette Bening) s’estompe tout en laissant largement deviner leur existence de libertin. Chez Frears le plaisir du complot dominait initialement avant d’être rattrapé par les vrais sentiments. Tout s’entremêle de façon bien plus ambiguë ici, les bonnes comme les mauvaises actions étant guidées par les sentiments plutôt que la seule malveillance. La place fragile des femmes semble être le fil rouge de toutes les intrigues. La Marquise de Merteuil lance les intrigues après avoir été mise de côté par son amant Gercourt (Jeffrey Jones) plus porté sur la virginité et la jeunesse de Cécile de Volanges (Fairuza Balk) qui se voit imposer ce mariage avec un homme bien plus vieux. Le mariage et la position de Mme de Tourvel (Meg Tilly) se voient justement mis à mal par les sentiments que lui inspirent la séduction pressante de Valmont. Dans ce monde impitoyable, les femmes n’ont le choix qu’entre subir ou devenir prédatrice à leur tour, et les hommes vacillent entre leur position de dominant et des aspirations amoureuses qui les fragilisent. 

Toutes les actions naissent de cette hésitation, chez Forman c’est l’univers et l’étiquette dans laquelle vivent les personnages qui est un archétype manichéen, pas ces derniers. Dès lors difficile de discerner le calcul de la vraie émotion tout au long du récit, l’écrin romantique somptueux de certaines séquences nous happant malgré toutes les préventions (les notre et celles des protagonistes qui s’y laissent prendre). Le mélange de doux renoncement et de persévérance lors des scènes de séduction entre Valmont et Mme de Tourvel attise ce doute, notamment Valmont ne nie pas ce qu’il est mais tente de le surmonter. Un des aspects que cherchaient à éliminer Forman et Carrière par rapport au livre était la métaphore de la séduction comme manœuvre et stratégie militaire. Choderlos de Laclos, officier de carrière, l’envisageait ainsi pour renforcer la charge contre la noblesse qu’était le roman. Forman est guidé par d’autres dessein et rend les actions et réactions bien plus troubles, inconsistantes comme peut l’être la nature humaine.

L’idéal ce couple innocent et romantique qu’incarnent Cécile de Volanges et le chevalier Danceny s’avère ainsi aussi corruptible qu’un autre tandis que Valmont et Merteuil sous le cynisme montrent leurs failles. Le casting excelle à dégager cette dualité. C’est assez trivial mais le choix d’acteurs jeunes, beaux et alors inconnu enlève tout le passif manichéen que recherche la version de Frears. John Malkovich et Glenn Close par la maturité et le physique marqué qu’ils imposent amène d’emblée l’idée de cruauté et mesquinerie. Colin Firth par sa beauté et allant de dandy laisse tout autant croire à sa nature de séducteur impénitent que d’amoureux transi. Il n’y a pas de choix et c’est le miroir que lui renvoient les femmes qu’il convoite qui le font passer, en grand enfant, d’une facette à une autre.

Lucide sur sa nature profonde, il en fait même la raison de passer de l’amant prévenant au goujat avec Mme de Tourvel une fois qu’il aura obtenu ses faveurs. Ce côté tendre et carnassier est tout aussi captivant chez une délicate Annette Bening, capable de pleurer et s’émouvoir face à une déclaration d’amour à demi-mot de Valmont avant de l’humilier de façon impitoyable. Trop habitués aux jeux de rôles mesquins de leur monde, Valmont et la Marquise de Merteuil ne peuvent fendre l’armure l’un envers l’autre et ne sont totalement complices que dans la duplicité. En cela le film dégage une grande mélancolie où le machiavélisme de la version Frears n’a pas sa place. La noblesse installée est tout aussi perdue que la génération suivante (la magistrale scène de mariage final) désormais imprégné des mêmes vices. La scène de danse où Valmont alterne les cavalières et adapte son attitude (tour à tour joyeusement infantile avec Cécile, narquoise et complice avec la Marquise de Merteuil, délicate et tendre pour Mme de Tourvel) est emblématique de ce que cherche à exprimer le film.

Milos Forman filme ces chassés-croisés dans une imagerie sensuelle et romantique dont la patine est renforcée par un tournage en France. La reconstitution est somptueuse (l’Opéra) et l’inspiration picturale est marquante dans la photo de Miroslav Ondrícek où l’oisiveté rurale de la noblesse fait penser au courant de « La fête galante », tandis que l’érotisme feutré et clinquant de certaine scène évoque la tendance rococo (les peintures de la pièce lors de la rencontre secrète Danceny/Cécile, la tenue tape ç l’œil de celle-ci). Une œuvre captivante dont les nuances la rendent avec le temps bien plus intéressante que la néanmoins efficace version de Stephen Frears. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Pathé

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