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lundi 13 décembre 2021

Steven Soderbergh, Anatomie des fluides - Pauline Guedj


 

La versatilité des genres, budgets et approches formelles de Steven Soderbergh tout au long de sa filmographie en font un des cinéastes les plus insaisissables et captivant de son temps. L’ouvrage de Pauline Guedj s’applique avec brio à décoder les singularités de cet éclectisme. Avec la Palme d’or cannoise récompensant son premier long-métrage Sexe, mensonge et vidéo (1989), le souci de la reconnaissance critique et de la notoriété est déjà réglé, ce qui va pousser Soderbergh à se renouveler d’emblée. Pauline Guedj souligne la dimension expérimentale, décalée et référentielle qui exprime la volonté encore désordonnée de Soderbergh de construire une œuvre, de l’inscrire dans l’histoire du cinéma et d’imposer une patte visuelle dans ses films suivants ces triomphaux débuts – Kafka (1991), King of the Hill (1993), A fleur de peau (1995) et Schizopolis (1996) tous des échecs commerciaux. Le cheminement de Soderbergh sera de se délester de l’encombrante aura d’auteur pour désormais plier son approche au besoin des projets auxquels il s’attèle.

Ce virage n’est cependant pas synonyme de facilité et cette quête de la forme idéale peut autant donner un divertissement haut de gamme comme Hors d’atteinte (1998) qu’un objet inclassable comme le labyrinthique polar L’Anglais (1999). La facette cérébrale du réalisateur est dépeinte par Pauline Guedj comme dans une velléité cinéphile se fondant dans le blockbuster cool Ocean’s Eleven (2001) ou quelque chose de plus flottant tel son Solaris (2002) autant remake que retour aux sources du roman. Le degré d’adaptation s’adapte aux projets tant dans une logique commerciale que purement réflexive. Pauline Guedj analyse notamment la notion de perception, de point de vue et de description des espaces du récit dans les mises en scène de Erin Brockovich (1999) construite sur son personnage principal et son combat, Traffic (2000) et sa colorimétrie différenciant les contrées et les forces qui s’y agitent, Full Frontal (2002) et sa frontière ténue entre réalité et fiction.

Tout cela s’entremêle dans la volonté de contrôle d’un réalisateur habitué à multiplier les fonctions (directeur photo, monteur…) sur ses films et s’amusant à exercer cette approche de tous les possibles en remontant à ses heures perdues certains classiques du cinéma. Pauline Guedj développe cette curiosité de Soderbergh par son attention aux innovations techniques diverses, à l’émergence d’une personnalité propre (la combattante MMA Gina Carano pour laquelle il s’essaie au film d’action avec Piégée (2012), l’actrice porno Sasha Grey propre à exprimer le rapport au corps détaché et l’aptitude à se vendre de la prostituée de The Girlfriend Expérience (2008) les novices de Bubble (2005)) à la moindre conversation (Magic Mike (2012)) né des confession de sa star Channing Tatum sur ses débuts) qui pourrait donner la possibilité d’un film. L’effacement de cette image d’auteur chez Soderbergh lui évite de plier la matière d’un film à sa personnalité, mais au contraire de faire d’éléments très hétérogènes la matière d’un éventuel film. Pauline Guedj raconte ainsi que les prémices du diptyque Che (2008) vient d’une remarque sur le plateau de Traffic sur la ressemblance entre Benicio Del Toro et le révolutionnaire légendaire.

La dernière partie du livre est passionnante en montrant la manière dont toute son œuvre s’harmonise dans un vrai propos social. Pauline Guedj distingue comment nombres de personnages de Soderbergh cherchent leur place entre affirmation de soi et effacement, plié par le système. Plus la filmographie avance, plus ce regard social est explicite dans les prolos en butte au monde capitaliste de Magic Mike, The Girlfriend Expérience, The Laundromat (2019) ou Logan Lucky (2017) et s’orne de problématiques raciales plus vivaces que jamais aux Etats-Unis dans la série The Knick (2012-2015) ou High Flying Bird (2019). Pauline Guedj par sa lecture de l’œuvre de Soderbergh donne une cohérence et des grilles de lectures sur un cinéaste qui se plaît tant à nous perdre.

Edité chez Playlist Society

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