Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 14 décembre 2021

L'Honorable Angelina - L'onorevole Angelina, Luigi Zampa (1947)


 Angelina n'a que le maigre salaire de son mari pour subvenir aux besoins de sa famille. Soutenue par ses voisines, elle parvient à obtenir certaines améliorations que la mauvaise volonté évidente des commerçants et de l'administration lui refusait jusqu'à présent.

La filmographie de Luigi Zampa est une vraie photographie des soubresauts politiques et sociétaux de l’Italie d’après-guerre. Le réalisateur témoigne de la difficile place entre vertu et corruption opportuniste de l’individu pour trouver sa place dans la société, que ce soit dans une veine politique sur Les Années difficiles (1948) ou Anni facili (1953) ou plus spécifiquement rattachée aux travers humains dans L’Art de se débrouiller (1955) ou L’Agent (1958). L’Honorable Angelina sort en 1947 dans une Italie encore marquée par les maux du fascisme, les séquelles de la Deuxième Guerre Mondiale mais aussi les avancées sociétales avec le droit de vote accordé aux femmes depuis 1945. 

L’Honorable Angelina témoigne de tous cela dans un récit se partageant entre l’âpreté du néoréalisme et l’approche consciente mais pas dénuée de légèreté du néoréalisme rose qui dominera dans les années 50. La scène d’ouverture part d’une vue aérienne de Rome pour progressivement se fixer sur le misérable faubourg de Pietralata où vit Angelina (Anna Magnani) vit avec son époux Pasquale (Nando Bruno) et sa famille dans de pénibles conditions. La caméra arpente le foyer exigu où dorment encore les cinq enfants avant de s’arrêter sur le lit conjugal au sein duquel Angelina et Pasquale sont, eux, bien réveillés. Ils ruminent là leurs ressources limitées et les nouvelles difficultés qu’ils auront en ce jour à nourrir la famille. Par cette introduction, Zampa place vraiment ses personnages comme spectateurs impuissants de leur misère. C’est un statut qui se confirme quand le quartier servira la curiosité de la presse à sensation venue photographier le dénuement d’ensemble et l’occasion pour le spectateur de constater les injustices à une échelle plus vaste. Maisons insalubres, arrivée d’eau aléatoire, toilettes uniques au centre du village et un bus se garde bien d’approcher les lieux, obligeant les habitants à une marche de deux kilomètres pour se rendre en ville. Comme un pied de nez, les bâtiments à la construction presque terminée de logements sociaux trônent à l’horizon, mais tous savent bien qu’ils n’y auront pas droit.

Tout bascule avec l’humiliation de trop lorsque l’épicier local spéculateur va préférer préserver ses stocks de pâte plutôt que de le vendre à la populace. Angelina se fait la meneuse de cette révolte des femmes qui iront piller la réserve et parviendront à faire juger l’épicier. Dès lors Angelina va trouver une véritable exaltation dans cette contestation et va selon la même méthode avec ses camarades contester et améliorer un à un les manques évoqués plus haut. L’ultime défi à l’autorité sera d’investir les fameux immeubles vides (après que leurs logements mal construits auront été inondés par une crue) et d’attirer l’attention à la fois des médias ainsi que du cupide propriétaire (Armando Migliari). Luigi Zampa observe tout autant un soulèvement prolétaire naïf qu’une forme d’émancipation féminine puisque ce sont les mères de famille sous la férule d’Angelina qui mènent la révolte. 

Notre héroïne doit affronter les fantômes passés et futurs de l’Italie dans sa lutte. Son mari Pasquale est brigadier et est encore marqué par la soumission à l’autorité et le machisme inhérent à l’ère fasciste. Dès lors certaines situations s’avèrent aussi cocasses que révélatrices lorsqu’il se trouve contraint d’arrêter sa propre épouse en pleine manifestation, où lorsque les rôles s’inversent et qu’il tient laborieusement le foyer alors qu’Angelina milite et établit un programme politique – bascule d’autant plus marquante dans le contexte italien. Le propriétaire est plus sournois, s’attirant l’amitié de la chef de file par des fausses promesses afin de récupérer son dû. 

On observe ici à son échelle la plus simple le principe d’assimilation de la révolte par le pouvoir capitaliste pour mieux l’étouffer. Zampa anticipe les situations de ses films à venir, à la différence qu’Angelina est une héroïne pure, indomptable et incorruptible. Elle ne pêchera que par naïveté avant de s’opposer de plus belle. Anna Magnani qui entame là la série de très grand rôle qui lui vaudront une reconnaissance locale et internationale, livre une prestation passionnée et poignante. L’un des moments les plus marquant sera lorsqu’elle ira s’opposer seule à des brigadiers armés alors que tout ce qu’elle a chercher à construire semble s’effondrer. Elle est la matriarche, la pauvresse peu sûre d’elle mais farouchement déterminée, et le scénario questionne la difficulté d’équilibrer ce nouveau statut de militante (le titre original italien fait référence à la fonction de député qui lui tend les bras) et sa vie de famille. Bien que très touchante, la conclusion est la seule légère fausse note en renvoyant de façon conventionnelle à un statuquo. L’avancée sociale semble conditionnée au retrait de la femme qui ne peut pas (encore) être un tout, épouse et activiste. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Studiocanal

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