Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 23 juillet 2023

Premier bal - Christian-Jaque (1941)


 Deux sœurs, Nicole et Danielle Noblet, sont élevées par leur père Michel Noblet, un doux original. Les deux sœurs aiment le même jeune médecin, Jean de Lormel. Jean choisit d'épouser Danielle, mais celle-ci, après peu d'années tombe amoureuse d'un autre homme. Avant de s'en aller, elle fait venir Nicole pour préparer Jean à son absence. Nicole s'installe alors chez Jean et joue durant quelque temps, le rôle d'amie consolatrice.

Premier Bal est la seconde collaboration entre Christian-Jaque et le scénariste Charles Spaak, six ans après Sous la griffe (1935) où Spaak fut dialoguiste. Le film sort un mois avant le film plus célébré de leur association (étalée sur 5 films auxquels s’ajouteront D'homme à hommes (1948), Adorables Créatures (1952) et La Française et l'amour : Le divorce (1960)), L'Assassinat du père Noël. Beau et touchant drame amoureux, Premier bal ne mérite certainement pas de rester dans l’ombre de son glorieux successeur. 

Le film a cette caractéristique de nombre d’œuvres produite sous l’Occupation de se dérouler hors de tout contexte social en prévention de toute censure – qui réduira néanmoins l’allusion trop marquée de l’attrait de Danielle (Gaby Sylvia) pour Hollywood. Le film se déroule certes dans un cadre contemporain, mais où le monde extérieur est comme abstrait, entre la douceur de la campagne, l’intimité des appartements et le faste des salons parisiens. Ce relatif « handicap » fait la force du film dans son art de la rupture de ton, dans la dichotomie claire entre sa première partie légère et insouciante, puis la second tournant vraiment au mélodrame sombre. Le début du film nous montre ainsi l’existence joyeuse de Nicole (Marie Déa) et sa sœur Danielle aux côtés de leur père (Fernand Ledoux). Une espiègle scène de réveil caractérise immédiatement les deux sœurs et leurs différences. Nicole dort avec son chien et se dirige négligemment vers la salle de bain en sortant du lit, quand le premier réflexe de Danielle est d’immédiatement se recoiffer et se maquiller. La salopette de Nicole son gout du grand air et son affection pour les animaux en font un être fantasque proche du tempérament fantasque de son père, inventeur du dimanche. L’environnement rural paisible et sans heurts dans lequel elle vit semble lui suffire. C’est tout l’inverse de Danielle attirée par le luxe, le strass et ne rêvant que d’une vie parisienne faite de mondanité.

Le fameux premier bal du titre va sceller leur destin. Jean (Raymond Rouleau), un séduisant jeune médecin de passage dans la région, va éveiller l’intérêt des deux jeunes femmes. Pour Nicole, c’est la douceur et prévenance de Jean, ce qu’il est, qui va l’en rendre amoureuse. Pour Danielle, l’attrait naît de ce qu’il représente par son charme et son aisance, la promesse d’une existence festive et nantie à Paris. La scène de bal offre une accélération et de loupe grossissante à ce triangle amoureux dysfonctionnel. Les danses entre Danielle et Jean sont furtives, ne témoignant d’aucune complicité commune ou de vraie interaction, seule compte l’aura qu’ils dégagent, les regards qu’ils attirent (dont celui jaloux de Nicole), en particulier Danielle ravie d’être l’objet de toutes les attentions masculines. Au contraire la connexion entre Nicole et Jean est claire, et existe sans nécessité d’attraction autre que celle que l’on devine l’un pour l’autre. 

Les échanges se font à l’abri d’une foule qui au contraire constitue un obstacle séparateur. Nicole peut se laisser être cette jeune fille fantasque aux yeux d’un Jean ne voyant malheureusement en elle que « Nic », petit surnom constituant comme un alter-ego représentant ce tempérament plus rêveur qui est le sien. Comme l’explicitera un dialogue plus tard, « Nic » n’est qu’une aimable camarade de jeu pour Jean, plus troublé par la séduction plus agressive et superficielle qu’incarne Danielle. On a même un quatrième larron au registre plus comique mais touchant avec Ernest (François Périer), modeste vétérinaire local amoureux de Nicole mais souffrant du même complexe « d’ordinarité » que cette dernière face à Jean. Christian-Jaque brille par sa science du cadre, de la composition de plan, du passage de la flamboyance de la vue d’ensemble à la modestie de la proximité, à exprimer tout ces enjeux et le tumulte de sentiments contradictoires.

Après le morceau de bravoure du bal (lorgnant sur le Carnet de bal de Julien Duvivier (1937)), Christian-Jaque fait lentement basculer son film vers la gravité, un quiproquo comique (le père de Jean venant demander la main de la mauvaise fille pour son fils auprès de Fernand Ledoux) introduisant le drame en révélant à chacune des sœurs leurs sentiments pour le même homme. Le réalisateur approfondi ainsi par l’ellipse les traits de caractères entrevus dans le premier acte plus léger, et amorce une suite d’évènements plus tragique. La frivolité de Danielle l’a aliénée de son époux et de son foyer, laissant un temps la place tant espérée à Nicole. Mais une nouvelle fois, l’ombre de sa sœur plane et ce n’est qu’en endossant, au propre comme au figuré, les habits de Danielle qu’elle éveillera l’attention d’un Jean meurtri. On observe la sophistication qu’amène la vie parisienne à l’allure de Nicole mais en définitive, c’est une mue qui prend la coiffure, les attitudes et donc les tenues de Danielle. Christian-Jaque nous le laisse comprendre visuellement, tout comme les brillants dialogues de Charles Spaak. Ainsi, au naturel sincère de la première scène de bal s’opposent désormais les calculs de séductrice pour Nicole lors d’une sortie dansante avec Jean. Elle n’accepte son invitation à danser qu’à la troisième demande pour susciter sa frustration et son envie, alors qu’elle l’aurait accepté avec entrain au premier essai dans la première partie.

Aimer signifie-t-il se renier pour l’autre ? C’est une question à laquelle la fin ouverte, frustrante et faussement idéalisée (il aurait fallu davantage voir le personnage de François Périer pour être convaincu) ne répond pas totalement. Une œuvre pleine de charme porté par la prestation touchante de Marie Déa - qui recroisera la route d’un Fernand Ledoux tout aussi attachant l’année suivante dans le magnifique Les Visiteurs du soir (1942) de Marcel Carné. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Gaumont

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