Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 8 juillet 2023

La Roulotte du plaisir - The Long, Long Trailer, Vincente Minnelli (1953)


 Tacy et Nicky vont se marier. Le travail de Nicky, ingénieur civil, nécessitant des déplacements fréquents à travers le pays, Tacy décide d’acheter une caravane au lieu d'une maison afin de n'être pas séparée de son futur mari. Cette idée n’enchante guère Nicky, mais il cède au désir de sa fiancée. La caravane que le couple choisit, bien qu'entièrement équipée, est très longue et gigantesque.

The Long, Long Trailer est un des plus gros succès commerciaux de Vincente Minnelli en ce début des années 50, et ce dans un registre assez inattendu pour lui. Le film témoigne de l'essor d'un média fortement concurrent au cinéma, la télévision, à travers son couple vedette Lucille Ball/Desi Arnaz. Marié en 1940, le couple a posé les bases de la sitcom moderne avec I Love Lucy véritable phénomène de la télévision américaine, révolutionnaire dans sa facture technique (tournage en 35 mm, présence d'un véritable public plutôt que des rires enregistrés) mais aussi dans son fond féministe avec le personnage de Lucille Ball s'extirpant de son rôle de femme au foyer. La vie du pays s'arrête lors de la diffusion hebdomadaire de l'épisode de I Love Lucy qui réalise des audiences colossales et va enrichir le couple qui en est également producteur via leur société Desilu Productions, cette dernière étant à l'origine d'autres institutions de la télévision américaine comme Star Trek, Mannix ou encore Mission:Impossible. The Long, Long Trailer est donc significatif de l'immense popularité du duo dans cette tentative de passage au grand écran, mais aussi un risque, la MGM craignant que le public hésite à se déplacer et payer pour voir ce dont il a accès gratuitement à la télévision.

Le scénario use habilement de la connivence du public avec le couple pour, passé une introduction en flashback, aller dans le vif de son très original sujet. Tacy (Lucille Ball) inquiète des séparations fréquentes que causeront les déplacements professionnels de son fiancé Nicky (Desi Arnaz) durant leur mariage, insiste fortement auprès de celui-ci pour investir dans une caravane équipée qui permettra d'entretenir le foyer conjugal ensemble quel que soit le lieu où ils se trouvent. Nicky réticent se laisse malgré tout convaincre et une fois marié, le couple entame un périlleux périple à travers le pays vers le Colorado, l'encombrante caravane constituant un handicap de taille. Vincente Minnelli va faire montre d'un brio peu commun sur un terrain où l'on ne soupçonnait pas forcément ses aptitudes, le pur gag physique et le splapstick. Absolument toutes les possibilités comiques seront exploitées avec un sens du timing et de l'espace directement hérités de son passif dans la comédie musicale. Il y a tout d'abord l'étirement et la répétitivité du gag jouant de la véritable angoisse de Nicky à maîtriser la conduite de la caravane dans les différents environnements traversés. Cela commence dès le départ du mariage où il peine à faire démarrer la voiture, puis ce seront ensuite le moindre tournant ou créneau à effectuer qui feront office de véritable supplice pour l'intéressé, Desi Arnaz excellent à traduire la gêne et l'anxiété ressentis. La science du contrepoint est tout aussi géniale, avec une tension naissant des réactions entre fureur, consternation et moquerie des interlocuteurs voyant notre héros peiner dans ses manœuvres.

Après avoir joué de ce schéma attente/réaction entre le couple et l'extérieur, Minnelli le travaille aussi dans les dysfonctionnements qu'amène la caravane dans le foyer conjugal. Des éléments triviaux dans une maison normale deviennent problématiques avec la caravane comme le rapport aux voisins, l'entraide en camping avec d'autres voyageurs caravaniers devenant vite intrusive le temps d'une séquence hilarante. La nature est une ennemie redoutable aussi quand on cherche à s'y isoler, le fameux travail de répétitivité, d'étirement et de grossissement progressif des gags offrant une véritable horlogerie comique dans les meilleurs moments, les lois de la gravité étant par exemple défiées de la cuisson laborieuse d'un oeuf à la chute de Tacy dans la boue. Ainsi mis en condition, Minnelli peut dès lors oser la vraie destruction massive où il va malmener un fameux décor de Le Chant du Missouri (1944) le temps d'une visite familiale. 

Si Minnelli s'extirpe grandement des environnements imaginaires et/ou passéiste que l'on retrouve dans nombre de ces films, The Long, Long Trailer sous l'humour n'en offre pas moins un pendant moderne des grands récits de voyage des pionniers de la conquête de l'ouest - l'occasion d'offrir quelques pures vignettes américana dans les grands espaces. L'ascension périlleuse de rocheuse dans la dernière partie se déleste de tout gags outrancier (si ce n'est l'inquiétude coupable de Lucille Ball qui n'a pas délesté la caravane comme le souhaitait son mari) pour créer un véritable suspense où une centaine d'année plus tôt, un charriot trop chargé aurait pris la place de la caravane. L'équilibre entre décor studio, maquette et extérieurs véritable est d'un équilibre parfait, porté par des cadrages habiles renforçant la tension. D'un seul coup toute la construction qui avait servi des effets comiques est reproduite au premier degré, mais nous n'attendons plus la chute (au propre comme au figuré) hilare, mais nous la craignons.

La complicité naturelle de Lucile Ball et Desi Arnaz fait merveille, et nourrit une caractérisation qui ne semble pas juste reproduire au cinéma leurs personnages de télévision - même si l'argument féministe demeure, telle la scène où Tacy humilie son époux par sa conduite plus hardie et que ce dernier s'avère incapable de lire une carte. Les origines étrangères de Nicky sont plusieurs fois soulignées par son nom "Collini", et le fait qu'en joie ou en colère il se mette à chanter ou jurer en italien. On peut imaginer que cette nature de migrant (renforcée par son métier) explique en partie l'attrait qu'il ressent pour Tacy, pur produit WASP synonyme de stabilité et d'intégration. A l'inverse, Tacy voit dans cet "étranger" une forme d'exotisme la sortant de son cadre familial plus conformiste (dont on aura un aperçu amusant), un homme différent dont elle pourra s'occuper selon une logique plus anticonformiste tout en étant une épouse "traditionnelle" - tout comme le souligne le récit de leur première rencontre où elle évoque la chemise sans bouton de Nicky. Tout cela contribue à donner une matérialité émotionnelle au récit, qui fonctionne parfaitement dans tous ces niveaux de lecture sans forcément être familier de I Love Lucy comme les spectateurs américains de l'époque.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner et visible en ce moment à la Cinémathèque française dans le cadre de la rétro consacrée à Vincente Minnelli

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