Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 19 mai 2024

Made in Hong Kong - Heung Gong jai jo, Fruit Chan (1997)


 Hong Kong, été 1997. Mi-Août est un jeune marginal ayant abandonné le collège il y a quelques années pour vivre de menus larcins. Il est à présent collecteur de dettes pour un certain M. Wing, proche des triades locales. Le quotidien de Mi-Août va se trouver bouleversé par deux événements : la découverte par Jacky, petit voyou handicapé mental qu'il a pris sous son aile, de deux lettres d'adieux laissées par une jeune suicidée, et sa rencontre avec la jolie Ah Ping dont il tombe rapidement amoureux. Or cette dernière est atteinte d'une maladie incurable...

Après avoir occupé différents postes techniques depuis le début des années 80 au sein du cinéma hongkongais, Fruit Chan a l’opportunité de réaliser un premier long-métrage avec Final in Blood (1993). Il sort cependant profondément frustré de l’expérience, n’ayant pu s’extirper des standards de l’époque et des contraintes de la production hongkongaise grand public. Il va donc pour un temps retourner à l’anonymat des fonctions subalternes durant plusieurs années, avant que l’imminence de la rétrocession en 1997 stimule son imagination. Le contexte socio-économique lui inspire ainsi la trame de Made in Hong Kong qu’il ne se voit absolument pas faire dans un cadre de production classique, où il se verrait imposer des stars, devrait modifier son script au gré des désidératas commerciaux des financiers. Il va réussir à soulever un budget modeste, monter une équipe légère et dévouée (et pas forcément toujours rémunérée) puis recruter dans la rue des interprètes amateurs.

Made in Hong Kong est une sorte d’instantané de la jeunesse hongkongaise désœuvrée à l’aune de la rétrocession. Fruit Chan ne voit pas le jeune délinquant Mi-Août (Sam Lee) directement affecté par ce contexte, car tout à ces petits larcins et agarres de rue, il est comme d’autres de son âge plutôt dépolitisé. Le réalisateur dépeint une classe démunie et affectées dans son quotidien par ce contexte changeant. Le récit ne quitte quasiment jamais le cadre lugubre de Sha Tin, ville des Nouveaux Territoires qui (dans une sorte de pendant des banlieues française) passé la modernité initiale de sa fondation au début des années 70, a vu certains quartiers (la cité de Lek Yuen Estate où se déroule le film) devenir un bourbier réunissant les classes défavorisées. Le fait de ne jamais quitter ces appartements exigus, de ne pas voir plus loin que cet horizon bouché par les barres d’immeubles, exprime implicitement l’absence de perspectives des protagonistes. 

En effet, si les nantis et les classes moyennes peuvent envisager d’émigrer, les pauvres sont condamnés à demeurer sur place et subir les possibles soubresauts économiques de la rétrocession. Les maux intimes et financiers s’entremêlent chez adultes endettés ayant du mal à joindre les deux bouts, et des cellules familiales qui explosent notamment quand les chefs de famille partis travailler en Chine en reviennent avec une maîtresse pour laquelle ils abandonnent leur foyer. Tout cela reste sous-jacent mais compréhensible pour le public local quand il observera la dérive de Mi-Août entre dégoût et poursuite de sa figure paternelle, puis quitté par sa propre mère. C’est en cela qu’il semble se reconnaître et nouer une romance avec Ah Ping (Neiky Yim Hui-Chi), une adolescente malade, et vouloir constituer une sorte de famille de substitution avec Ah-Lung (Wenders Li), un jeune attardé qu’il a pris sous son aile.

La narration chaotique et le rythme incertaine est à l’image des doutes de notre héros. Entré en possession des lettres d’adieux d’une jeune suicidée, il y voit un accélérateur de sa destinée tragique. Il a le choix entre définitivement franchir le pas de la vie criminelle, entrer dans le rang en prenant un métier ennuyeux, rester dans le tumulte de l’instant, sans pouvoir se décider. Fruit Chan traduit cela par une mise en scène stylisée où alternent un style urgent et sur le vif, un penchant pour l’introspection durant de magnifique séquences contemplatives où les pensées de Mi-Août dérivent à travers une voix-off naïve sur fond de paysages urbains – avec ce magnifique leitmotiv capturant sa silhouette à la fenêtre de son appartement. Fruit Chant assume l’influence de Nagisa Oshima et plus particulièrement ses œuvres des années 60 comme Journal d’un voleur de Shinjuku (1969), et transcende son imagerie réaliste par la saturation des couleurs dans la photo de O Sing-piu, les cuts de montage agressifs et les effets de répétitions nous plongeant en immersion dans la psyché en ébullition de Mi-Août. 

Le film finit par adopter un style hypnotique et presque clippesque accompagnant les déambulations du héros. Le ralentissement ne s’effectue que lors des rares moments de tendresses, ceux où l’on oublie le passé douloureux et le futur incertain pour simplement savourer l’instant. Cela se produira entre autres paradoxalement dans le lieu où tout s’arrête pour beaucoup, un cimetière en colline (est-ce le même que celui du final tragique de L’Enfer des armes (1980)?) où se promène insouciant le trio Mi-Août/Ah Ping/Ah Lung, pour admirer des hauteurs enfin un paysage qui s’étend, un horizon à perte de vue – et la promesse d’un possible futur ?

Les environnements détonnent de ceux habituellement exploités par le cinéma hongkongais, même à tendance sociale, offrant une vision à la fois sordide et électrisante. C’est une dualité à l’image du héros magnifiquement interprété par Sam Lee. Porté par son allure sèche et longiligne, Mi-Août apparait à la fois intimidant et vulnérable, tendre et agressif, hésitant dans ce que le déterminisme social l’incite à être et ce à quoi il aspire, s’il le sait vraiment – les effets de flashback et de flashforward durant la scène « d’exécution » et de cavalcade sur les rails du funiculaire de Victoria Peak exprimant magnifiquement par l’image cette dualité. La conclusion âpre nous laisse tétanisé devant ce film coup de poing dont le succès mettra Fruit Chan sur la carte du paysage cinématographique, et initiera une trilogie de la rétrocession dans ses films suivants, The Longest Summer (1998) et Little Cheung (1999). 

Sorti en bluray français chez Carlotta

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