Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 28 mai 2024

Un cœur en hiver - Claude Sautet (1992)

Maxime et Stéphane sont amis et travaillent ensemble dans l'atmosphère feutrée d'un atelier de lutherie. Maxime, marchand de violons, est un homme accompli, actif, sans états d'âme particuliers. Stéphane, luthier, vit dans une retraite, dans un hiver du cœur dont on discerne mal les raisons. Maxime tombe amoureux d'une jeune violoniste, Camille Kessler. Entre les trois personnages se noue une relation complexe.

Un cœur en hiver est un film qui poursuit le travail de réinvention entamé par Claude Sautet dans son film précédent, Quelques jours avec moi (1988). Sautet fut finalement souvent sujet à des périodes de doutes où, se sentant enfermé dans une case (le cinéma de genre avec Classe tous risques (1960) et L'Arme à gauche (1965)) ou étant arrivé au bout d'un cycle (les glorieuses années 70 avec Les Choses de la vie (1970), Max et les ferrailleurs (1971), César et Rosalie (1972), Vincent, François, Paul... et les autres (1974), Mado (1976), Une histoire simple (1978)), il ressentait le besoin de s'éloigner un temps de la réalisation. Cinq ans séparent ainsi L'Arme à gauche de Les Choses de la vie, ou encore Garçon ! (1983) de Quelques jours avec moi. Ce dernier avait marqué une rupture dans la méthode (les nouveaux venus Jacques Fieschi et Jérôme Tonnerre suppléant les fidèles Jean-Loup Dabadie et Claude Neron), le style formel ainsi que la troupe d'acteurs renouvelée avec en tête un Daniel Auteuil et une Sandrine Bonnaire symbole de modernité (même si cet élan était déjà perceptible même si moins radical dans Un Mauvais fils (1980)). Quelques jours avec moi entamait en fait une sorte de trilogie où Sautet revisiterait ses grands thèmes sous une forme plus épurée et intimiste, avec Un cœur en hiver comme pièce centrale et Nelly et Monsieur Arnaud (1995) en belle conclusion.

Un cœur en hiver fonctionne comme une sorte de continuité formelle de Quelques jours avec moi, tout en en étant le contrepoint sur le ton. Cela se ressent notamment dans la différence entre les deux personnages interprétés par Daniel Auteuil. Le Patrick Dewaere de Un Mauvais fils et Auteuil dans Quelques jours avec moi, représentaient de façon différentes les fragilités masculines si souvent observées par Sautet. Les héros des années 70 se montraient incapables d'exposer leurs sentiments car façonnés par une éducation machiste ne les y autorisant pas, masquant leurs failles sous les silences taciturnes (Michel Piccoli le plus souvent) ou une jovialité de façade (Yves Montand). Patrick Dewaere amène sa personnalité d'écorché vif dans Un Mauvais fils tandis qu'Auteuil livre une composition fascinante dans Quelques jours avec moi avec un personnage dont le masque repose au contraire sur l'excentricité, le bousculement des conventions. Sautet poursuivait ainsi son analyse de la masculinité, mais par le prisme de personnalités s'étant construite dans un autre contexte, une génération différente.

Le taiseux et distant Stéphane (Daniel Auteuil) est ainsi l'autre revers de la pièce que représentait Martial dans Quelques jours avec moi, et n'a pas grand-chose à voir avec le silencieux Michel Piccoli des seventies. Le tempérament expansif de Martial était un défi à la bienséance tout autant qu'une précaution, la réserve de Stéphane est de la même nature. C'est une manière de se démarquer, d'attirer l'attention sur lui par cet excès de réserve comme le montrera la scène du dîner où il se refuse à donner une opinion tranchée lors d'une discussion. Un cœur en hiver rejoue et détourne le triangle amoureux de César et Rosalie. Maxime (André Dussolier) semble l'enjoué charismatique prenant le relai de Montand, et Daniel Auteuil reprendre la place de l'effacé Sami Frey. Mais aux codes romantiques (s'effacer au profit de son rival par amour tel Sami Frey) et masculins de l'ancien monde se substitue une démarche plus trouble.

Les hommes de sa génération que filme Sautet durant les années 70 ne sont pas éduqués à manifester leurs sentiments mais restaient lisibles aux autres. Les figures des années 80, plus enclines à l'introspection,se perdent dans le poids des apparences. Sautet souligne le caractère manipulateur de Stéphane qui ne peut essayer de séduire Camille (Emmanuelle Béart) qu'en pensant la manipuler. Sa réserve trouble et attire la jeune femme, et lui croit contrôler la situation par ses attitudes ambiguës mais Sautet s'attarde suffisamment longuement sur les regards d'Auteuil pour que la notion de calcul s'estompe. Son attitude fuyante trouble Camille mais révèle aussi son trouble malgré lui, et Daniel Auteuil est aussi subtil qu'impressionnant pour faire passer ces nuances. Ce qu'il n'ose exprimer se révèle paradoxalement quand il se montre le plus mutique. Il n'est pas froid comme il pense l'être, mais pétrifié. Il n'est pas un handicapé sentimental comme il l'exprime presque fièrement, mais un homme qui s'égare en se posant trop de questions. 

Sautet estompe la dimension sociale présente dans plusieurs de ses films des années 70 et 80 pour ne pas faire reposer les failles de Stéphane sur un contexte, mais plutôt les rendre opaque. Pas de traumatisme d'enfance à chercher, c'est davantage dans la méticulosité du personnage dans son travail de luthier qu'il faut chercher une part des raisons de son écart du monde et des sentiments. Le vase-clos du milieu observé, la récurrence des lieux arpentés par les personnages (l'atelier, le restaurant sorte de "cantine" des musiciens, les studios d'enregistrement) sont une expression implicite de la prison dans laquelle s'est cloitré Stéphane. Emmanuelle Béart offre un pendant ardent et passionné qui perverti la fonction de ces lieux et par extension la fermeture de Stéphane, c'est par elle (et le couple vieillissant Myriam Boyer/Maurice Garrel) qu'on sort de ce cadre et des conventions qui le guide. L'exercice est assez envoutant et évite brillamment le risque de froideur, pour atteindre en définitive une touchante mélancolie. Les longs regards d'attente, d'amour et d'incompréhension de Camille tout au long du film rencontrent enfin celui de Stéphane lors de la dernière scène, mais cette fois uniquement pour exprimer le regret de ce qui aurait pu être.

Sorti en bluray chez StudioCanal

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