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vendredi 17 mai 2024

La Mort de Belle - Edouard Molinaro (1961)

Stéphane Blanchon, professeur en Suisse, mène une vie tranquille avec sa femme Christine. Ils logent chez eux une jeune Américaine, prénommée Belle. Un soir, pendant une absence de Christine, alors que Stéphane travaille au rez-de-chaussée, Belle est étranglée dans sa chambre, au premier étage. Au cours de l'enquête menée par un juge d'instruction et par un jeune policier, les preuves semblent s'accumuler contre Stéphane qui est bientôt accusé ouvertement par le juge d'avoir tué Belle.

La Mort de Belle est une œuvre qui vient en quelques sorte marquer la fin du Edouard Molinaro première manière. En effet le réalisateur abonné par la suite aux cimes du box-office grâce à ses comédies populaires (Oscar (1967) et Hibernatus (1969) avec Louis de Funès, L’Emmerdeur (1973), La Cage aux folles (1978)…)) débuta dans le pur registre du film noir avec de grandes réussites comme Le Dos au mur (1958), Des femmes disparaissent (1959), Un témoin dans la ville (1959). Adapté du roman éponyme de Simenon, La Mort de Belle s’avère d’ailleurs plus riche que ce simple registre du polar. L’argument criminel initial semble promettre un whodunit ou une trame hitchcockienne typique faisant de Stéphane (Jean Desailly) un accusé à tort devant prouver son innocence. Tout cela est escamoté par une approche façon étude de mœurs où le meurtre servira de révélateur social pour une communauté, et plus intime pour le héros.

Les suspicions envers Stéphane sont avivées par sa trop manifeste banalité, mais également annihilées pour ces mêmes raisons. L’enquête semble confirmer la banalité du personnage telle qu’entrevue lors de la scène d’ouverture, où il privilégie tranquillité à la vie sociale (son refus de rejoindre sa femme lors de sa partie de bridge) et la possible aventure amoureuse que l’on devine dans le regard languissant de Belle (Alexandra Stewart) qu’il ne voit pas. Les investigations semblent davantage révéler la perversion d’une communauté, la « normalité » de Stéphane leur semblant une aberration en regard de leurs propres travers. Les insinuations du juge Breckman (Jacques Monod) reposent sur sa vie adultère dissolue (avec sa secrétaire) et la définition qu’il se fait d’un homme, un vrai et de ses désirs. En effet, l’indolence de Stéphane apparaitra comme d’autant plus invraisemblable quand on découvrira que Belle était amoureuse de lui. Comment ? Un homme d’âge mûr et peu séduisant indifférent à une belle jeune fille vivant sous son toit et folle d’amour pour lui ? Impossible.

Jean Desailly semble offrir le miroir inversé du personnage qu’il tiendra dans La Peau douce de François Truffaut (1964) où il assumera sa liaison avec une jeune Françoise Dorléac. Les accusations et la vindicte publique frappent sa probité, mais l’incite à une remise en question. Un passé familial difficile explique son rejet des « plaisirs de la vie », mais le train raté d’une passion amoureuse et charnelle le bouleverse et l’amène à revisiter son passé. Edouard Molinaro avait initialement introduit de façon assez neutre la demeure familiale, dans la lignée de la normalité apparente de Stéphane. Le réalisateur reprend plusieurs mouvements de caméra instaurés au début pour effectuer un raccord mental, lumineux et romanesque du présent vers le passé où Stéphane revit les situations de proximité avec Belle, et ne peut que constater (et regretter ?) les actes manqués. Même avec cette sentimentalité et désir ravivés à rebours, notre héros semble néanmoins à part de la gent masculine dont Molinaro scrute les conversations chez les jeunes comme les vieux, les renvoyant dos à dos dans leur machisme rance. 

Alors que la pureté de Stéphane devrait apparaître comme une douce exception face à ses congénères (mais un motif d’attrait pour les femmes), elle s’avère une anomalie car reposant sur un destin qu’il a voulu fuir – et auquel les circonstances l’ont ramené Le thriller se déploie donc ainsi en construisant un rustre de plus, voire pire, pensant se fondre dans le moule collectif. Molinaro distille une angoisse silencieuse dans son filmage d’une intimité inquiète et d’un collectif malade, où la révélation du coupable paraît presque anodine face au drame final. Jean Desailly en pleine introspection anxieuse est impressionnant, et porte avec talent les forces contradictoires guidant La Mort de Belle.

Sorti en bluray français chez StudioCanal

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