Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 10 juin 2020

Lola - Jacques Demy (1961)

Lola, danseuse de cabaret, élève un garçon dont le père, Michel, est parti depuis sept ans. Elle l’attend, elle chante, danse, et aime éventuellement les marins qui passent. Roland Cassard, un ami d’enfance retrouvé par hasard, devient très amoureux d’elle. Mais elle attend Michel…

Jacques Demy est, à la manière d'un Alain Resnais ou Philippe de Broca (chacun dans des style très différent), l'un de ces cinéastes français gravitant autour des jeunes turcs de la Nouvelle Vague mais qui ne s'y intègre pas totalement par leur style singulier. C'est le sentiment que l'on a devant cette merveille de premier film qu'est Lola. Le film pose les jalons de l'univers du cinéaste avec en premier lieu le cadre de cette ville de Nantes, celle de son enfance que où il reviendra pour Une chambre en ville (1982). Le film pose surtout des ramifications avec des œuvres à venir par ses personnages amenés à être récurrents dans une trilogie que forme Lola, Les Parapluies de Cherbourg (1963) et Model Shop (1968).

Roland Cassard (Marc Michel) évoque ainsi ses amours déçus avec Lola le temps d'une chanson dans Les Parapluies de Cherbourg, et une Lola (Anouk Aimée) que l'on recroisera aux Etats-Unis dans Model Shop. C'est au départ un projet très ambitieux pour Demy qui imagine une comédie musicale en couleur et cinémascope mais son onéreux scénario ne trouve preneur que chez Georges de Beauregard (producteur emblématique de la Nouvelle Vague) qui va le ramener à de plus modestes proportions budgétaires. La comédie musicale disparait tout comme la couleur, et l'on renonce à Jean-Louis Trintignant initialement envisagé en Roland Cassard pour Marc Michel engagé trois jours avant le début du tournage.

Jacques Demy entrecroise son univers en construction à la somme de ses influences et expériences personnelles d'alors. Le squelette du récit est une libre adaptation des Nuits Blanches de Dostoïevski, à laquelle Demy mêle des souvenirs intimes et un cadre français traversé par l'envie d'ailleurs, l'évasion. C'est notamment le cas pour Roland Cassard traînant son spleen entre petits boulots insignifiants dont il est vite congédié et ennui existentiel. Il ne rêve que de partir et éprouve comme toute une jeune génération ayant grandie dans la France des 50's une fascination pour les Etats-Unis. Cet ailleurs auquel d'autres rêvent d'accéder, il vient à la danseuse Lola par procuration via l'amourette sans lendemain avec le matelot américain Frankie (Alan Scott), substitut de par sa ressemblance physique à son grand amour Michel (Jacques Harden) disparu depuis sept ans et la laissant avec un enfant. Autour de Roland et Lola, amis d'enfance qui vont se retrouver, gravitent un groupe de personnages dont les destins entrelacés traduisent le motif de la boucle formelle et émotionnelle du film, entre rêve, interrogations et désillusions.

L'ombre de La Ronde (1950) plane sur le film de Jacques Demy qui le dédicace à Max Ophüls. Cette boucle repose notamment sur l'indécision et les revirements des personnages. Roland aspire à partir, en trouve l'opportunité puis y renonce avant de retrouver Lola pour finalement bien quitter sa ville de Nantes. Lola s'invente un départ possible à travers le retour improbable de son aimé disparu, renonce à sa chimère avant de la voir miraculeusement se réaliser et partir. La redite et variante d'un même lieu dans des découpages similaires (la galerie marchande, le café, le cabaret, l'appartement de Lola...), la répétition des situations (le jeune Yvon se faisant offrir deux fois une trompette), les coïncidences (la petite Cécile rencontre le marin en voulant acheter le même comics), l'effet miroir de certains personnages (Mme Desnoyer et Lola toutes deux mères célibataires et anciennes danseuses) et les actes manqués jalonnent une narration à la fois urgente sur son échelle de temps réduite, et ralentie par le surplace hésitant des personnages.

La boucle existe aussi de manière implicite et référentielle comme lorsque Roland explique avoir renoncé au violon entre autre parce que son ami Poiccard s'est fait descendre, soit le patronyme de Jean-Paul Belmondo dans A bout de souffle (clin d'œil à Godard qui transmis son scénario à George de Beauregard). Si ce cercle est une impasse pour les personnages adultes, l'adolescente Cécile (Annie Duperoux) par son charme mutin représente le versant lumineux de cette hésitation. Passant de la candeur enfantine à l'intérêt pour les éléments adultes, silencieuse ou volubile, future danseuse ou coiffeuse selon ses humeurs, elle exprime l'innocence et la foi en tous les possibles qu'on perdus les autres personnages - la toile de fond de la guerre n'y étant pas étrangère. Jacques Demy l'exprime à travers la scène virevoltante de la fête foraine où s’expriment la vitesse et l'émerveillement dans un pur élan d'abandon enfantin.

Cette échappée n'existe que dans un imaginaire source de joie et de douleur pour Roland, avec cet île du Matareva dans le Pacifique où se déroule un film de Gary Cooper qu'il va voir, et d'où revient précisément l'amour providentiel qui va définitivement lui arracher Lola. La photo de Raoul Coutard passant des contours diaphanes du conte de fée aux teintes détaillées du réalisme urbain nantais traduit ce va et vient de ton. Il en va de même pour la bande originale percutante et jazzy de Michel Legrand (pour sa première collaboration avec Demy) qui alterne avec des morceaux de musiques classiques qui pose une atmosphère plus éthérée, flottante et rêvée à l'atmosphère du récit.

Ce s'incarne bien évidemment aussi par les acteurs et plus particulièrement une magnifique Anouk Aimée entre proximité innocente et séduction inaccessible. Elle est dans son coeur une Pénélope attendant son Ulysse mais symbolise aux yeux des hommes une Hélène de Troie pour laquelle ils sont prêt à tout risquer. Jacques Demy exprime là toute la dualité de son œuvre à venir, où l'imaginaire sert de fuite ou d'expression adoucie à des problématiques toujours rattachée à une réalité intime et sociale. C'est d'ailleurs ce schizophrénie qui guide la magnifique conclusion, parfaite et inespérée pour Lola, pleine d'amertume pour Roland réduit à une silhouette - et encore ouverte pour la petite Cécile. Premier essai et presque déjà un coup de maître.

Sorti en bluray et dvd zone 2 hez Arte et actuellement disponible sur Netflix 

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