Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

vendredi 12 juin 2020

Histoire d'aimer - A mezzanotte va la ronda del piacere, Marcello Fondato (1975)


Gabriella Sansoni est une femme au caractère effacé, menant une vie monotone. Son mari, Andrea, ne lui prête aucune attention, totalement accaparé par son travail. Ce rythme est rompu par la convocation de Gabriella comme jurée. Elle doit siéger au procès d’une jeune femme, Tina, accusée d’avoir tué son mari, Gino. L’accusée est en prison depuis trois ans...

Histoire d’aimer est un véhicule spécifiquement écrit par Marcello Fondato pour réunir Monica Vitti et Claudia Cardinale. Le film se démarque ainsi de la comédie italienne d’alors dont la dynamique repose soit sur deux protagonistes masculins, soit sur un homme et une femme. Marcello Fondato, considéré à l’époque comme un des cinéastes italiens friand de récit au féminin n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai en la matière puisqu’il dirigeait en covedettes déjà Claudia Cardinale ainsi que Catherine Spaak dans le délicieux Certes, certainement (1969). Le parallèle est d’ailleurs intéressant à faire entre ce film et Histoire d’aimer par la trajectoire de ses héroïnes. Dans Certes, certainement, Claudia Cardinale et Catherine Spaak était deux jeunes filles aux objectifs amoureux diamétralement opposés, la première recherchant l’amour véritable et la seconde le confort matériel. Histoire d’aimer semble reprendre ces figures quelques années plus tard, marquées par l’expérience de la vie et les conséquences de leur choix.

Gabriella (Claudia Cardinale) est l’épouse d’Andrea (Vittorio Gassman), industriel aux affaires plus ou moins douteuses qui ne lui prête aucune attention. C’est une potiche au caractère effacé vivant dans l’ombre de la personnalité volcanique de son époux. La scène d’ouverture est magistrale dans cette idée, montrant l’abattage comique de Gassman arpentant l’appartement de long en large, les dialogues constamment autocentrés sur sa personne et ses affaires, tandis que Gabriella ne peux le suivre que ce soit sa pensée ou sa gestuelle énergique. Un évènement vient bousculer cet équilibre quand Gabriella est désignée comme jurée au procès de Tina (Monica Vitti), une femme d’origine modeste accusée d’avoir assassinée son mari Gino (Giancarlo Giannini). 

Dès lors se déploie en parallèle le récit des amours tumultueuses du couple Tina/Gino avec le quotidien plan-plan de Gabriella et Andrea. Tina et Gino forment un couple prolo, souvent abusif tant dans la subsistance du foyer (madame travaille pendant que monsieur se prélasse ou perd très vite ses emploi) que dans des rapports violents où Gino a la main un peu trop leste au moindre conflit où les gifles partent vite. Ce n’est pourtant pas une relation dominant/dominée mais plutôt une union toxique et passionnée où Tina succombe amoureusement à Gino quand cette violence se déclenche, et qu’elle cherche même volontairement à provoquer. Leur première rencontre est emblématique de cela, lorsque durant une fête Gino invite courtoisement Tina à danser et que cette dernière le raille avec dédain. La réaction de Gino est une gifle retentissante qui stimule Tina et lance alors leur romance agitée. Ces évènement se révèlent en flashback dans le cadre du procès et Fondato multiplie les idées narratives et formelle ludiques pour les dynamiser, comme Tina poursuivant son témoignage d’accusée au sein du flashback en prenant à parti la cour (et le spectateur) par des réflexions face caméra qui cassent le quatrième mur. 

Les faits frappent ainsi Gabriella dans son intime et la vie ennuyeuse qu’elle mène. Elle est désormais plus consciente de l’indifférence, de la libido éteinte et de la condescendance de son époux envers. Elle se réfugie dans un monde fantasmes où son couple entretien des rapports aussi hargneux et sensuels. Fondato élude tout commentaire dans ses séquences où la bascule ne se devine que par la soudaine outrance et la sensualité brûlante qui s’exprime, et il use d’un même découpage pour rejouer la réalité et normalité terne de la scène notamment quand Gabriella attendra le retour tardif de son époux à leur domicile. Pour résumer, la passion dans toute sa violence, sa folie et sa sensualité ne laisse jamais douter de sa réalité pour le couple Tina/Gino tandis que Gabrielle et Andrea n’existe que dans leur carcan bourgeois morne. 

Alors évidemment cette notion du couple est emblématique de l’époque du film ainsi que de la société italienne encore très patriarcale (l’amour exprimé et apprécié par la violence passerait moins bien aujourd’hui) mais Fondato dépasse la seule facette sociétale pour questionner les attentes sentimentales. Entre le couple aimant mais aux interactions brutales (à la muflerie souvent hilarante de Giannini succède toujours de torrides réconciliations) et le conformisme ennuyeux, il ne semble pas y avoir de juste milieu. Tina et Gina dans toute leur agitation semblent même paradoxalement entretenir un rapport moins machiste et plus libertaire (notamment dans l'adultère) les engourdis Gabriella/Andrea, étonnant. Les acteurs sont tous excellents pur faire échapper le film à une dimension caricaturale. Monica Vitti est parfaite en amoureuse en quête de sensations fortes, elle mena la vie dure à Marcello Fondato par ses caprices de star et le réalisateur se vengea en multipliant les scènes où elle recevait des gifles. 

Claudia Cardinale offre un beau contraste entre son phrasé éteint et ses pensées ardentes, dégageant une sensualité élégante (et que les cheveux courts lui vont bien) en opposition à la séduction plus agressive de Vitti. Giancarlo Giannini est toujours aussi génial pour incarner les amoureux faussement simplets mais vifs (se souvenir de son génie chez Lina Wertmüller dans Mimi métallo blessé dans son honneur (1972), Film d’amour et d’anarchie (1973) ou Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l'été (1974)) tandis que Gassman refait brillamment son numéro de goujat matamore. Le film est donc captivant dans ce qu’il dit du statut de la femme italienne d’alors (à la condescendance du foyer s’ajoute pour Gabriella celle des autres jurés masculins qui la prenne de haut) mais privilégiera néanmoins le romantisme boiteux et chaotique  à l’hypocrisie paisible dans sa conclusion douce-amère. 

Sorti en dvd zone 2 français chez ESC

Extrait

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire