Au XVIème siècle, François Cenci, seigneur cruel, vit dans un château avec sa femme, Lucrèce, sa fille, Béatrice et son fils, Giacomo, issus d'un premier mariage. Lucrèce, devenue la maîtresse de Giacomo, complote avec celui-ci l'assassinat de son mari. Tous deux laissent accuser à leur place Béatrice et celui qu'elle aime, l'intendant Olympio.
Tout au long de sa carrière, Riccardo Freda porta haut les couleurs d’un cinéma populaire porté sur l’évasion et l’imaginaire. Sa carrière traverse toutes les mues du cinéma d’exploitation italien où il se pencha avec talent sur tous les genres en vogue du moment. Il brille dans les films de cape et d’épée produits entre la fin du fascisme et l’après-guerre (Don Cesare de Bazan (1942), L’Aigle noir (1942), Le Chevalie mystérieux (1948), Le Fils de D’Artagnan (1949)), le péplum historique (Spartacus (1952), Theodora, impératrice de Byzance (1954)) ou mythologique (Le Géant de Thessalie (1960)), ainsi que le thriller urbain ou gothique (Les Vampires (1957), L'Effroyable Secret du docteur Hichcock (1962) et Le Spectre du professeur Hichcock (1963)). Des années 50 au début des années 60, Freda atteint sans doute son pic d’inspiration, se posant avec d’autres réalisateurs comme Pietro Francisci ou Vittorio Cottafavi comme une belle alternative au néoréalisme et ses évolutions, prisées par la critique.
Le Château des amants maudits se pose, avec son adaptation de Les Misérables (1948) comme un projet ambitieux et prestigieux se prêtant parfaitement à sa fibre romanesque. Il s’agit d’une évocation de la figure controversée et tragique de Béatrice Cenci, jeune noble italienne qui défraya la chronique pour sa condamnation au crime de parricide au cour du XVIe siècle. Par l’aspect à la fois sordide, criminel et émancipatoire de son acte, elle inspira largement la fiction par la suite que ce soit la littérature chez Stendhal ou Alexandre Dumas (un roman pour le premier, une nouvelle chez le second), le théâtre, l’opéra et bien sûr le cinéma. Le film de Freda est le quatrième sur Béatrice Cenci, suivant deux adaptions muettes et une parlante (produite en 1908, 1909 et 1941) et précédant celle de Lucio Fulci sortie en 1969. La marge de manœuvre n’est pas forcément grande sur ce type de récit, et l’apport de Freda reposera davantage sur la tonalité de l’histoire et l’atmosphère visuelle.Un des changements majeurs est ici de faire de Béatrice Cenci une innocente, ce qui orientera toute l’approche d’ensemble. En effet, fort de cette injustice annoncée qui se dessine progressivement, toute l’esthétique du film doit tendre vers une fatalité et tragédie qui se traduira essentiellement par l’image. Le scénario (coécrit entre autres par Jacques Rémy, père de Olivier Assayas) s’oriente de façon assez mécanique et grossière vers cette issue dramatique dans une construction où se multiplient les redites (Olympio s’enfuyant sans Béatrice malgré ses demandes, pour revenir la chercher deux scènes plus tard car l’intrigue nécéssite son implication dans la mort du père) et les trous (quelle raison justifie la reprise de l’enquête puis du jugement après l’abandon initial ?) pour parvenir au forceps du point A romanesque au point B de la réalité des évènements.Ces écueils s’estompent fort heureusement en grande partie grâce à l’imagerie chatoyante du film. La reconstitution est soignée mais, tout dans la direction artistique semble nous plonger dans une rêverie, ou plutôt un cauchemar imprégné de la destinée funeste de Béatrice (Mireille Granelli) et ce dès la tonitruante scène d’ouverture où nous suivons sa fuite éperdue en forêt durant une nuit d’orage. Les cadrages et compositions de plans constituent des tableaux dans lesquels Béatrice apparaît figée dans sa beauté triste, écrasée par son sa tragédie en marche à la manière d’un modèle de peinture préraphaélite. Freda y travaille soit le vide opaque (le gris des murs du château puis de la géôle de Béatrice) symbolisant l’avenir tracé et bouché de l’héroïne, soit une surcharge de couleurs à travers les éléments de décors et les costumes symbolisant les sentiments tourmentés des personnages. La proximité et l’affection incestueuse de Francesco Cenci (Gino Cervi) envers sa fille dans sa chambre se voit ainsi auréolé en arrière-plan de teintes roses et vives romantiques en totale inadéquation avec la situation. Dans l’ensemble, plus la photo de Gábor Pogány se gorge de filtre et manifeste explicitement son artificialité, plus les émotions s’avèrent troubles et torturées. Les amours tendres et chaste entre Béatrice de Olimpio (Fausto Tozzi) se déroule ainsi dans de sompteux extérieurs naturels, en plein jour. Lorsque cet amour se nourrit de noirs desseins, ce sera lors d’une scène de retrouvailles nocturnes dans le château où, lorsque les blessures de Béatrice se révèlent progressivement dans l’obscurité, les instincts meurtriers et le désir de vengeance d’Olimpio s’accentuent.Le propos va loin avec son double postulat incestueux, l’un contraint et inassouvi (Béatrice et son père), l’autre assumé et provocant (Lucrezia Cenci (Micheline Presle) et son beau-fils Giacomo (Antonio De Teffè)). Riccardo Freda pousse les situations aussi loin que le lui permet la censure, mais c’est bien de son approche baroque et de l’incarnation des acteurs que se distille le malaise et la provocation. A ce petit jeu Gino Cervi, brutal et concupiscent, ainsi que Micheline Presle, à la fois glaciale et languissante, qui s’en sortent le mieux. Le film parait vraiment bien plus nanti que son budget réel, par une science des trucages visuels qui confèrent une majesté baroque à des décors se partageant entre matte-paintings et véritables constructions. Chaque vision extérieure du château est d’un enchantement funèbre, une séquence nocturne nous exposant le Colisée est sidérante – Mario Bava, collaborateur régulier de Freda ayant apporté sa contribution non créditée à certains de ces moments.Ces partis-pris culminent lors de la somptueuse séquence finale, celle de l’exécution de Béatrice. Ce travail thématique et sensoriel sur la couleur se traduit par la dominante rouge traversant ces ténèbres, travaillant une omniscience sanglante et morbide en se reflétant sur la hache du bourreau. Les plans en plongée de l’avancée vers l’échafaud exprime une vision supérieure, grandiloquente et fataliste de ce drame annoncé et enfin sur le point de se concrétiser – précédé d’une image tout aussi puissante et évocatrice d'Olimpio gisant et livrant son ultime message. A l’inverse, les comploteurs sont capturés dans un intérieur qui les fige et les renvoie à leur petitesse, leur impuissance. Le Château des amants maudits est une œuvre véritablement relevée par le talent de Riccardo Freda, qui livre là, du point de vu plastique, un de ses meilleurs films.
Sorti en bluray français chez Gaumont
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