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mardi 11 juin 2024

Chanteuse de cabaret - Torch Singer, Alexander Hall et George Somnes (1933)

Sally Trent a un enfant illégitime, mais ne peut pas s'en occuper et le donne pour être adopté. Elle obtient un emploi de chanteuse, change son nom en Mimi Benton et devient célèbre pour sa consommation d'alcool et d'hommes. Elle participe à une émission radiophonique pour enfants dans lequel elle incarne le personnage de « Tante Jenny », chantant et racontant des histoires. Elle finit par utiliser l’émission pour retrouver sa fille…

Torch Singer est un mélodrame Pré-Code au féminin participant à l’ascension de Claudette Colbert, qui gagnera définitivement ses galons de star l’année suivante avec le succès de New York-Miami de Frank Capra (1934). Nombre de productions Pré-code se caractérisent par une démarche que l’on peut qualifier de féministe, portée par des héroïnes fortes subissant les affres de la gent masculines et des vicissitudes de la Grande Dépression. Des films comme Baby Face (1933), La Divorcée (1930), Blondie Johnson (1933), consacrent entre autres des actrices comme Barbara Stanwyck, Norma Shearer ou Joan Blondell en figures modernes défiant les bonnes mœurs, les carcans moraux par leur liberté sexuelle, ambition les menant à des sphères de pouvoirs inédites pour le « sexe faible ». Les drames Pré-Code avaient cependant un revers, celui de boucler la boucle par un certain retour à la morale après nous avoir fait savourer toutes ces provocations. 

L’un des arguments était de faire rentrer les héroïnes dans le rang à travers un final tragique où elles meurent, ou alors les rappeler à leur devoir par le mariage ou la maternité. Ruth Chatterton figure d’autorité dans Female (1933) découvre ainsi les joies de céder à l’autorité virile d’un homme, Illicit questionne l’institution du mariage mais y maintient néanmoins ses personnages, Joan Crawford est la grande sacrifiée aux ambitions politique de son amant dans Fascination (1931). Pour ce qui est de l’absolution par la maternité, la pièce de théâtre La Femme X d’Alexandre Bisson jouée en 1906, et de multiples fois adaptées dans le cinéma hollywoodien sous le titre Madame X, servira pratiquement de modèle dans sa structure dramatique. 

On y trouvera une figure maternelle déchue et contrainte d’abandonner son enfant qu’elle recroisera dans des circonstances tragiques à l’âge adulte, hésitant à lui révéler son identité. C’est un schéma que l’on trouve dans plusieurs Pré-Code, dont Frisco Jenny de William A. Wellman (1932) reprenant presque à l’identique la trame d’Alexandre Bisson, le rôle étant interprété par Ruth Chatterton qui joua en 1929 dans une adaptation officielle de Madame X réalisé par Lionel Barrymore.

Torch Singer semble donc marcher en tout point sur ce modèle, avec le personnage de Sally (Claudette Colbert), fille-mère livrée à elle-même et devant accoucher en solitaire dans une institution. Son quotidien précaire ne lui permettant pas d’élever sa fille dans les meilleures conditions, elle est contrainte de l’abandonner. Elle semble par cet acte déchirant abandonner une partie d’elle-même, de son humanité à travers cette maternité déchue, ce qui lui permet d’endosser sans remords une sulfureuse carrière de chanteuse de cabaret. On trouve dans ce registre une Claudette Colbert typique de la modernité et de la sensualité qu’elle représentait en début de carrière dans des films comme Honor Among Lovers de Dorothy Arzner (1931), Le Signe de la croix (1932) et Cléopâtre (1934) de Cecil B. DeMille. Lorsqu’elle endosse accidentellement le rôle de présentatrice pour enfant à la radio, elle retrouve par procuration ce rôle de mère à une échelle collective en capturant l’attention de tous les enfants, fidèle au rendez-vous avec « Tante Jenny ». La réminiscence se joue notamment lorsqu’elle chante au micro une comptine autrefois fredonnée à son bébé, ce qui ravive ce souvenir douloureux de son passé et ses regrets.

Claudette Colbert excelle à passer du registre le plus frivole à celui, authentique et magnifiquement affecté de mère. La scène où elle va à la rencontre d’une jeune « Sally » du même âge que sa fille et ravale sa déception pour amuser l’enfant est un moment poignant, renforcé par la dimension progressiste puisque « Sally » et noire sans que cela altère la bienveillance de notre héroïne. Le film s’éloigne d’ailleurs du modèle de Madame X en ne différant pas à un futur à l’âge adulte les retrouvailles mère/fille, mais en en faisant un enjeu du présent lorsque Sally use sans succès de l’émission pour ses recherches. L’enjeu de ses retrouvailles n’est donc pas seulement un apaisement tardif, mais la reconstruction d’un lien et d’une structure familiale tuée dans l’œuf, puisque les circonstances initiales de sa grossesses et l’identité du père se révèlera par la suite. Si l’on ferme les yeux sur l’énorme raccourci narratif qui permet la réunion tant attendue, Torch Singer s’avère un très beau mélo qui annonce implicitement la persona filmique plus rangée de Claudette Colbert dans les années à venir. 

Sorti en bluray américain chez Kino, mais une édition française est attendue prochainement 

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