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samedi 31 août 2024

Il était une fois - A Woman's Face, George Cukor (1941)

Anna Holm, une femme qui avait été défigurée dans sa jeunesse par un père alcoolique, dirige une bande de maîtres chanteurs opérant sous le couvert d'aubergistes. Alors qu'elle est venue extorquer une grosse somme à Vera Segert, elle se trouve face à son mari, le Dr Gustaf Segert, un chirurgien esthétique. En l'opérant, celui-ci va lui restituer sa beauté, ce qui va transformer sa vie.

A Woman's Face est un des derniers rôles de Joan Crawford au sein de la MGM, avant son départ du studio et son éclipse de deux des écrans - puis le retour triomphal à Warner avec Le Roman de Mildred Pierce (1945). Ce "woman's picture" est l'adaptation de la pièce Il était une fois de Francis de Croisset, jouée en 1932, et le remake du film suédois Visage de femme de Gustaf Molander (1938) première adaptation qui convainquit Hollywood d'appeler à lui Ingrid Bergman qui en était l'héroïne. Joan Crawford y retrouve aussi pour la quatrième et dernière fois George Cukor, qui l'avait précédemment dirigée dans La Femme de sa vie (1935), Femmes (1939) et Suzanne et ses idées (1940). L'histoire conserve son cadre et ses noms de personnages suédois, et fait preuve d'une certaine stylisation formelle et narrative. Le récit tourne autour d'un procès dont la parole des témoins reconstitue en flashback le mystère autour de la culpabilité de Anna Holm (Joan Crawford) jugée pour de meurtre. 

Le visage d'Anna est masqué sous sa posture résignée sur le banc des accusés, et c'est bien au fil des différents récits que se dévoile, au propre comme au figuré, la véritable face du personnage. Défigurée par une tragédie d'enfance, Anna a décidé de fuir la société pour se tapir dans l'ombre et entretenir une carrière criminelle. Elle n'est que honte et ressentiment, cette haine de soi la voyant se lier à un Torsten Barring (Conrad Veidt), homme trouble sachant flatter ses complexes pour l'entraîner dans ses entreprises sombres. Toute l'esthétique mise en place par Cukor durant ce début de film correspond à ses ténèbres qu'Anna estime mériter, avec cette photo de Robert Planck lorgnant sur le film noir, et une direction artistique de Cedric Gibbons contribuant aux atmosphères gothiques tandis que les costumes conçus par Adrian pour Joan Crawford assument dans leurs teintes sombre la volonté du personnage de disparaître des regards, de se fondre dans le décor. 

Si Torsten Barring exploite à son avantage la part d'ombre d'Anna, le chirurgien Gustaf Segert (Melvyn Douglas) qui va l'opérer semble farouchement croire à son penchant plus lumineux et bienveillant. En refaçonnant son visage mutilé, il la ramène à la vie, la reconnecte au monde qui l'entoure. Barring flatte les bas-instincts et le désir si longtemps refoulé d'Anna une tendresse de façade, une nature tactile qui trouble et manipule la jeune femme alors qu'à l'inverse Segert la laisse exister et se découvrir, notamment lors de la belle scène d'enlevage de pansement. Joan Crawford est remarquable pour faire passer toute ces nuances, langage corporel crispé et visage fuyant dans un premier temps, avant d'exprimer un charme épanoui recherchant enfin la compagnie et l'affection des autres. Cukor le fait ressentir à travers les échanges complices et sarcastique entre Segert et Anna, puis peu à peu dans la manière dont il laisse l'héroïne investir l'espace de sa silhouette et de sa beauté, gagnant naturellement les cœurs et l'affection de ses interlocuteurs, dont une belle relation avec un petit garçon.

La structure narrative sert parfaitement cette réinvention progressive de l'héroïne, notamment quand les prémices de la révélation de son visage opéré s’amorcent en flashback pour se révéler dans le présent de la scène du procès, pour un effet dramatique saisissant. Cependant cela ajoute aussi quelques longueurs, la multiplicité des témoins servant juste à faire avancer artificiellement l'intrigue avec des scènes où ils ne figurent parfois même pas. Heureusement le brio formel de Cukor raccroche constamment les wagons de notre intérêt, notamment une dernière partie multipliant les prouesses entre une scène de suspense haletante en téléphérique, une superbe séquence de danse et une course-poursuite finale ébouriffante. Le réalisateur concentre cette dualité clair/obscur de l'héroïne dans un environnement unique représenté par les deux love interest Conrad Veidt/Melvyn Douglas, deux choix de vie lui faisant face et l'obligeant à faire son choix. On pardonne du coup les petites longueurs et facilités, pour apprécier la maestria de Cukor et le talent de Crawford. 

Vu à la cinémathèque française dans le cadre de la rétro George Cukor

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