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jeudi 22 août 2024

La Femme infidèle - Claude Chabrol (1969)

Charles est assureur, il a 40 ans et mène une existence bourgeoise avec son fils et sa femme Hélène. A 30 ans, Hélène est une belle femme qui ne travaille pas et semble s'ennuyer dans leur superbe villa. Bref, une vie de couple presque sans nuages. Un jour, Charles commence à avoir des doutes sur la fidélité de son épouse et engage un détective privé...

La Femme infidèle s’inscrit au sein de la filmographie de Claude Chabrol dans ce que l’on a appelé le cycle « pompidoliens » et comprenant Les Biches (1968), La Femme infidèle (1969), Que la bête meure (1969), Le Boucher (1970), La Rupture (1970), Juste avant la nuit (1971) et Les Noces rouges (1973). C’est à partir de ce cycle que le réalisateur développe son regard acéré et sa critique de la bourgeoisie, à ce moment-là plus spécifiquement associé à la France de Pompidou. Cette période est indissociable de la collaboration de Chabrol avec son épouse et muse Stéphane Audran qui joue dans tous les films à l’exception de Que la bête meure. La réussite mutuelle du couple se rejoint à ce moment là puisque cette série de films permet à Chabrol de renouer avec le succès commercial et critique après plusieurs échecs, tandis que Stéphane Audran, peu remarquée à ses débuts par son jeu d’une certaine spontanéité estampillé « Nouvelle Vague » va déployer à partir de là des interprétation plus froides et sophistiquées qui lui vaudront une vraie reconnaissance – tout en étant une véritable incarnation de cette femme « pompidolienne ».

Dans la première scène du film, lorsque Charles (Michel Bouquet) se voit conseiller par sa mère de perdre un peu de poids, il s’y refuse sous prétexte que le moindre changement dans son quotidien serait susceptible d’altérer son bonheur qu’il estime parfait. Toute la faillite future du personnage est résumée à ce moment-là. Une autre séquence s’avère déterminante lorsque le couple s’apprête à se coucher et que Hélène (Stéphane Audran), par son regard ardent et une pose alanguie dans sa nuisette sollicite implicitement Charles pour une relation sexuelle. Ce dernier ne le comprend pas et éteint la lumière, puis rate même une second fois le coche lorsque plus tard dans la nuit chacun comprend que l’autre est réveillé et que Charles passe à côté de l’attente de son épouse pour se rendormir. Chabrol laisse en tout cas bien voir la déception d’Hélène dans la pénombre de la chambre. Ce moment s’avérera déterminant lorsqu’on apprendra plus tard que la liaison adultère entamé par Hélène date des quinze derniers jours, et donc probablement de cette tranche de vie qui marque une rupture sourde dans le couple 

Davantage que la remarque sur sa ligne ou la frustration sexuelle, ces scènes nous font comprendre la satisfaction superficielle de Charles pour son bonheur bourgeois, une surface dont il se contente sans réellement se préoccuper des attentes d’autrui. Incapable d’empathie envers le dépit de son épouse, il ne découvre pas sa tromperie par l’observation d’Hélène mais par la suspicion progressive née d’éléments mineurs (un appel auquel elle ne répond pas, une réponse évasive sur le contenu de sa journée) qui grippent son tableau idyllique. Le constat d’adultère ne s’étant fait que par la surface et pas par l’intime, Charles ne cherche pas la confrontation avec Hélène et encore moins de reconstruire leur lien de manière commune. Non, l’idée est de rétablir l’image figée d’idéal familial bourgeois et pour cela, il faut éliminer l’importun qui brouille le tableau, à savoir l’amant. Chabrol marque la différence entre le mari et l'amant par le regard porté par chacun sur la sensualité de Stéphane Audran. Charles a d'elle la vision d'une beauté se fondant dans son idéal, mais pas ou plus comme une figure sexualisée. Dès lors Chabrol, dans l'espace de la chambre offre Hélène comme objet de désir au spectateur, mais hors du champs de vision de Charles. Au contraire, le réalisateur capture cette proximité charnelle et adopte le regard de Maurice Ronet qui lorgne avec envie la silhouette de Stéphane Audran en train de se rhabiller.

Il est intéressant d’observer que les seuls moments durant lesquels Charles joue le mari « moderne » et ouvert renforcent au contraire sa facette poussiéreuse et patriarcale. Lorsqu’il sort Hélène en boite de nuit, c’est une sorte de représentation de son ouverture d’esprit aux yeux de leurs amis, et lorsqu’ils rentrent chez eux, c’est lui qui sollicite et consomme ce rapport sexuel auquel il n’a pas su/voulu répondre quand il n’était pas de son fait. La confrontation avec Victor Pegala (Maurice Ronet), l’amant honni, est du même ordre puisqu’il se doit de faire croire qu’il a la main, qu’Hélène en voit un autre car il autorise une relation libre. La désinvolture de Victor va cependant lui faire perdre pied, Michel Bouquet jouant comme si les confidences goguenardes de l’amant ne l’atteignaient pas seulement moralement, mais physiologiquement, jusqu’à commettre l’irréparable. L’inspiration Hitchcockienne de Chabrol fait ensuite merveille pour accompagner tout le processus criminel de Charles, dans un registre froid et feutré des plus hypnotiques.

La pièce de puzzle manquante qui amènera une violente dispute familiale entre le couple et leur jeune fils est une véritable métaphore du vide de ce bonheur bourgeois et factice. Après la disparition de l’amant, il manque de nouveau quelque chose à Hélène, sombrant dans la dépression, mais aussi à Charles qui ne retrouve pas l’équilibre initial de son foyer. Cependant le drame criminel et le péril qu’il fait entrevoir par la présence insistante de la police va servir de pièce manquante pour exprimer implicitement ce que le couple n’a su se dire directement. 

Les dix dernières minutes, muettes, sont magistrales pour faire passer toutes cette gamme de sentiments. La découverte d’une photo révèle à Hélène que Charles demeure un époux ardent à sa manière, et Stéphane Audran exprime une satisfaction aussi ambiguë que vénéneuse dans son jeu froid tandis que la caméra de Chabrol accompagne ses pas. Enfin, Charles n’a jamais semblé aussi proche, aimant et en symbiose avec Hélène alors qu’un lent travelling arrière l’éloigne d’elle en caméra subjective, sans doute de manière définitive. Un exercice d’une subtilité et d’un brio rare, où Chabrol traverse tous les registres avec une grande réussite. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Opening
 

1 commentaire:

  1. La súbita rotura del equilibrado status de un matrimonio burgués es el vehículo para un frío análisis de los mecanismos de comportamiento de unas personas cuya aparente felicidad está sujeta a un estilo de vida que esquiva o domestica los elementos perturbadores. Cuando esto no es posible surge el conflicto. Estamos ante uno de los más calibrados trabajos de Chabrol.
    Un saludo.

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