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lundi 19 août 2024

Le Garde du corps - Yojimbo, Akira Kurosawa (1961)


 À la fin de l’ère Edo, un samouraï solitaire nommé Sanjuro arrive dans un village écartelé entre deux bandes rivales, menées d’un côté par le bouilleur de saké Tokuemon, de l’autre par le courtier en soie Tazaemon. Pendant que les deux bandes s’entre-tuent pour régner en maîtres sur les lieux, les villageois terrorisés n’osent plus sortir. Lorsque Sanjuro découvre la situation, il décide de mener en bateau les deux clans rivaux en travaillant alternativement pour l’un et l’autre…

Yojimbo et sa suite Sanjuro (1962) sont deux jidai-geki s’insérant entre des œuvres au cadre contemporaines et moins « commerciales », Les salauds dorment en paix (1960) et Entre le ciel et l’enfer (1963). C’est fonctionnement que semble avoir assumé Akira Kurosawa dans sa collaboration avec le studio Toho, entrecoupant les fresques historiques couronnées de succès à l’étranger et au box-office local de films plus difficiles d’accès. Les Sept samouraïs (1954) succède ainsi à Vivre (1952), Le Château de l’araignée (1957) précède Les Bas-fonds (1957) qui est quant à lui suivi du picaresque La Forteresse cachée (1958). Il n’y a cependant pas de différence à faire en termes d’implication et de profondeur du propos chez Kurosawa entre ces deux versants. Il y a au contraire une remarquable cohérence à observer dans son approche, qu’il s’applique à du divertissement explicite ou à une œuvre plus âpre. 

Dans Les salauds dorment en paix (1960) et Entre le ciel et l’enfer (1963), Kurosawa entremêle le drame humain et un certain regard cinglant envers le Japon du boom économique des années 50, et sa dévotion au capitalisme, au profit et à l’esprit d’entreprise. Yojimbo, puis Sanjuro (ce dernier se faisant davantage la métaphore de la corruption politique du Japon contemporain) traitent de la même chose par le prisme du passé. Kurosawa avait déjà mis en scène une figure de samouraï « rônin » venant au secours de la veuve et de l’orphelin avec Les Sept Samouraïs, mais ce dernier se déroulait au 16e siècle, au début de l’ère Edo (1603-1868 ) au moment de la toute-puissance du shogunat et des seigneurs de guerre. Le geste des samouraïs représentait ainsi un rempart contre un pouvoir qui s’égare et laisse le sort du peuple aux mains du plus fort. Yojimbo se situe au contraire à la fin du 19e siècle et de cette ère Edo, alors que le pays s’apprête à adopter le capitalisme occidental et basculer dans l’industrialisation. Il y a ainsi un parallèle à faire entre la renaissance de la puissance japonaise par le vecteur économique durant les années 50, et cet « éveil » de la fin du 19e qui se concrétisera avec les avancées de l’ère Meiji (1868-1912). 

Logiquement les méchants de Yojimbo ne sont plus des bandits tyranniques, mais des commerçants, respectivement bouilleur de saké et courtier de soie, ayant mis un village sous leur coupe. Les antagonistes tout comme les antihéros s’adaptent donc à cette évolution, les sbires patibulaires des commerçant étant des yakuzas tandis que Sanjuro (Toshiro Mifune) se présente comme un sauveur des plus atypiques. La quasi-unité de lieu avec cette grande rue et les demeures alentours se présente comme un théâtre dont Yojimbo est tour à tour le spectateur, l’acteur ou le metteur en scène. S’alliant avec un camp pour mieux le trahir avec l’autre, son cynisme et appât du gain apparent en font un individu faussement intéressé pour davantage détruire les rivaux oppresseurs. Toshiro Mifune par son allure débraillée, son attitude désinvolte et ses regards rusés invente un type de héros novateur. La noblesse d’âme se dissimule sous les airs pince-sans-rire, posant les bases du futur Homme sans nom de Clint Eastwood façonné par Sergio Leone à partir de Pour une poignée de dollar (1964). 

Leone reprendra en effet la trame et les situations du film de Kurosawa pour poser les bases du western spaghetti et en paiera le prix devant les tribunaux. Cependant Kurosawa assume de son côté l’emprunt à certains codes du western américain, ainsi que la relecture et les thèmes de La Moisson rouge et La Clé de verre, deux roman de Dashiell Hammett qu’il admirait. Le principe des deux clans opposés au sein d’une ville vient de La Moisson rouge tandis que la dimension sociale est davantage issue de La Clé de verre. L’innovation vient du ton rigolard instauré par Kurosawa, avec son intrigue peuplée de personnages grotesques, de personnages haut en couleurs, la vilénie des méchants les tirants vers une incarnation bouffonne réjouissante. Cette mentalité cupide et répugnante des antagoniste inscrit le film dans la modernité, notamment avec le personnage de Uno (Tatsuya Nakadai), homme de main redoutable et opportuniste adepte du revolver.

La mise en scène de Kurosawa exprime bien cette distance à travers le regard démiurge de son héros, les compositions de plan et cadrage le plaçant souvent en observateur des évènements, des actes des uns et des autres, ne le faisant entrer en action qu’après de savants stratagèmes. Ce recul du héros n’en rend que plus puissants et impliquant les morceaux de bravoures, que ce soit le sauvetage d’une famille ou cette arrivée finale grandiose de Sanjuro.  Silhouette vengeresse et menaçante apparaissant dans la fumée et les cendres, Mifune est mis en valeur comme une figure mythique et goguenarde par Kurosawa, dans cet équilibre constant entre héroïsme et cynisme. Le grand duel avec Tatsuya Nakadai (qui recroisera le fer avec Mifune dans Sanjuro et Rébellion de Masaki Kobayashi (1967)) tourne court avec une chute surprenante, et l’action de Sanjuro pacifie certes le village, mais le laisse à l’état de ruines. Yojimbo est une des œuvres les plus populaires d’Akira Kurosawa, posant les bases d’un nouvel  ère de héros dans le cinéma contemporain.

En salle le 21 août

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