Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 13 juin 2015

La Bataille de la Montagne du Tigre - Zhì qu weihu shan, Tsui Hark (2015)

En 1946, après la capitulation japonaise, la guerre civile fait rage en Chine. Des bandits sans foi ni loi en profitent pour occuper le nord-est du pays. Hawk est le plus puissant et le plus redouté de ces barbares. Avec ses hommes, il vit dans une forteresse imprenable, lourdement armée, au sommet de la Montagne du Tigre. L’Unité 203 de l’Armée de Libération traverse cette région lorsqu’elle tombe sur des hommes de Hawk en train de piller un village. Le Capitaine 203 décide alors de rester et de combattre le chef de ses criminels. Mais, cela n’est possible que si l’officier de reconnaissance Yang réussi à s’infiltrer d’abord dans le camp retranché de Hawk. Une bataille impitoyable, faite de force et de ruse, commence… 

La Bataille de la montagne du tigre témoigne à nouveau de la vitalité récente du cinéma de Tsui Hark avec une œuvre à l’équilibre audacieux entre velléités personnelles et cahiers des charges du gouvernement chinois. Depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, la donne a changé pour les anciennes gloires du cinéma hongkongais. Pour se voir allouer des budgets dignes de leurs ambitions, les réalisateurs sont donc obligés de signer des œuvres plus ou moins de propagande à travers de spectaculaires fresques historiques dont le regard sur le passé glorifie le régime en place. Pour le pire cela donna le Hero (2002) de Zhang Yimou qui initie cette approche et où quelques belles images ne sauraient rattraper le message clairement douteux. Le meilleur ce sera le monumental Les Trois Royaumes (2008), retour triomphal d’un John Woo plus sentimental que politique et qui esquive l’écueil de la propagande. On pouvait réellement se demander comment  l’imprévisible chantre de l’anarchie qu’est Tsui Hark pourrait s’adapter à ce système. La réponse viendra avec l’époustouflant Détective Dee (2010) où son héros constitue un double de lui-même, une figure indépendante qui n’hésite pas à mettre en garde l’impératrice sur l’égarement possible du pouvoir lors du final. La suite Détective Dee 2 : La Légende du Dragon des mers (2013) se délestera également de toute allusion politique pour miser sur une démesure spectaculaire brillante. Ces deux tentatives annonçaient donc le traitement de Tsui Hark sur La Bataille de la montagne du tigre dont le contenu est autrement plus difficile à alléger de sa teneur soumise au gouvernement chinois.

Le film relate un haut fait supposé de l’armée chinoise lorsque, au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale l’APL (armée de libération chinoise) vint à bout d’une bande de gangster qui avait transformé la province de Dongbei en zone de non droit. Installés dans une forteresse au sommet de la montagne du tigre, ils semaient ainsi la terreur parmi les villageois. Entre affrontements spectaculaire déséquilibré et vraie parie d’échecs stratégique l’armée et les bandits vont donc se livrer un combat sans merci. Cette histoire avait d’abord été transposée dans un roman de Qu Bo parut en 1957, ce dernier étant à son tour adapté dans un opéra faisant parie des huit œuvres modèles et seuls spectacle autorisés durant la Révolution culturelle. Enfin en 1970 un premier film réalisé par Xie Tieli en sera tiré, objet désuet mais vu par toute la jeunesse chinoise d’alors et dont Tsui Hark inclus certains passages dans sa relecture. Le début du film fait craindre le pire quant à la capacité de Tsui Hark de se sortir de la lourdeur idéologique. L’ouverture est en effet contemporaine avec le souvenir de la « légende » qui vient interrompre la fête de nouvel an de jeunes chinois oisifs puisqu’un extrait de l’opéra est lancé par erreur durant leur karaoké. L’un d’entre eux, petit-fils d’un des héros de l’odyssée et qui s’apprête à aller travailler aux Etats-Unis ressent alors le besoin de se ressourcer auprès des siens, lançant l’aventure en flashback.

La première demi-heure où Tsui Hark doit installer un certain réalisme à son contexte est assez laborieuse. Revisiter et s’approprier des œuvres et des personnages inscrits au cœur de la culture populaire chinoise constitue un des socles thématiques de Tsui Hark, autant comme réalisateur que producteur. Il offrira ainsi des relectures envoutantes de contes traditionnels avec les merveilleux Green Snake (1993), The Lovers (1994) et la saga des Histoires de fantômes chinois. Il relancera la figure alors désuète du héros national Wong Fei Hung (et le film de kung fu par la même occasion) dans la saga des Il était une fois en Chine et s’appropriera la figure du sabreur manchot inventée par Chang Cheh avec le furieux The Blade (1995). Chacune de ces œuvres étaient imprégnées d’une schizophrénie où la nostalgie déférentes se disputait à un modernisme bousculant ces institutions - le passéisme et la peur de l’étranger de Wong Fei Hung ou encore le thème de l’homosexualité insidieusement inséré dans The Lovers. Tsui Hark n’a pas la même marge de manœuvre ici mais va s’approprier le récit en en faisant une pure démesure de cinéma populaire plutôt qu’une épopée réaliste larmoyante. 

Le premier affrontement donne le ton avec ce gunfight aux effets 3D (magistralement utilisée tout comme le second Detective Dee) outranciers, à l’emphase héroïque et sauvetage improbable des soldats. Cet aspect serial d’aventure s’assume également dans la caractérisation des personnages avec un Tony Leung ka fai s’étant composé une sacrée trogne en pur en méchant échappé de James Bond et filmé comme tel. Nous sommes dans une grande bd extravagante dont le réalisme s’estompera peu à peu, la bascule se faisant définitivement lors d’une stupéfiante séquence face à un tigre numérique. Si les scènes au village où les soldats côtoient et sympathisent avec les locaux restent attachantes, Tsui Hark cherchent surtout à créer l’émotion par l’action et le suspense plutôt que le mélodrame. 

Ainsi bien que solidement interprétés (Lin Gengxin en jeune chef d’escadron) l’intérêt du réalisateur va aux figures les plus fantasques de l’histoire. Yang Zirong (Zhang Hanyu) constitue ainsi un personnage haut en couleur, homme à tout faire dévoué et plein de ressources qui prend le récit en main pour le meilleur moment du film. Il s’infiltre alors dans la forteresse en se faisant passer pour un allié, invoquant ruses et jeu de dupes pour découvrir les plans des méchants en risquant à tout moment d’être démasqué. On retrouve l’influence de Chu Yuan chez Tsui Hark dans cet art de l’intrigue de palais croisé à l’espionnage, le drame naissant dans l’action (la jeune mère séquestrée par le cruel Hawk) et rendant même certains acolytes du méchant plus nuancés.
L’épilogue apaisé donne dans cet humanisme poussiéreux et bienveillant évité tout au long du film et l’on craint que le réalisateur fasse néanmoins allégeance à la tradition. Qu’elle n’est pas la surprise du spectateur en voyant surgir un nouveau climax avant le générique (en fait la vraie fin refusée par les producteurs car trop irréaliste) qui conclut l’ensemble sur un moment aussi fou que grisant. Les hauts faits réels sont ainsi magnifiés avec une folie qui les dissocie de tout message si ce n'est celui de son auteur. Tsui Hark désamorce la commande avec le brio de ceux que Martin Scorsese se plait à appeler les « cinéastes de contrebande ».

En salle mercredi prochain



2 commentaires:

  1. La Bataille de la Montagne du Tigre n'est pas le meilleur film présenté lors du Festival du cinéma chinois cette année. Pour autant ça reste divertissant dans le genre film de commando, un peu patriotique par moment, à gros budget, avec quelques plans originaux. Critique complète du film et des autres films du festival ici: http://uneautreasie.com/5eme-edition-du-festival-du-cinema-chinois-en-france

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    1. Bon bilan du festival, à part le Tsui Hark j'ai beaucoup apprécié aussi Le Ferry et Blind Massage. Par contre les drames romantiques chinois le pire côoie le passable, Fleet of Time n'était pas désagréable même si too much (la bande son) et grande souffrance devant l'atroce Somewhere only we know. Festival sympathique néanmoins où l'on arrive toujours à faire quelques bonnes découvertes...

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