Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 30 octobre 2018

Les Camarades - I Compagni, Mario Monicelli (1963)


En 1905, à Turin, un ouvrier des filatures perd sa main dans les rouages d'une machine. On travaille alors quatorze heures par jour sans aucune assurance en cas d'accident. Ses camarades partent une heure plus tôt pour protester. Quand le meneur est mis à pied sans salaire, le professeur Sinigaglia, un intellectuel militant, pousse les hommes à la grève.

Dans nombre des meilleurs films de Mario Monicelli, il est souvent question d’un groupe d’individus engagée dans une entreprise qui s’avérera vouée à l’échec. Ce sont les cambrioleurs pieds-nickelés de Le Pigeon (1958), les fêtards malheureux du nouvel an dans Larmes de joie (1960) et les déserteurs de La Grande Guerre (1959). Ces films forment une sorte de tétralogie de l’échec avec Les Camarades, parcourus d’une même voie sociale et humaniste où l’humour sert à atténuer la noirceur. Avec le tournant plus nihiliste de la comédie italienne des années 70, Monicelli revisitera la question dans une voie plus désespérée où l’entreprise collective est discutable (les putschistes rétrogrades de Nous voulons les colonels (1973)) voire sans but avec les farceurs dépressifs de Mes chers amis (1975).

Les Camarades est encore doté de ce mélange entre espoir et résignation, humour et mélancolie qui caractérise Monicelli. Le scénario (cosigné par Age et Scarpelli) s’inspire d’une grève dure qui secoua une usine textile de Turin à l’ère de l’industrialisation. L’approche de Monicelli est plus humaniste que politique pour dépeindre les évènements. Le film s’ouvre ainsi sur le réveil laborieux d’Omero (Franco Ciolli), jeune adolescent travaillant déjà à l’usine pour nourrir sa famille. L’espace précaire du foyer permet de deviner ceux des autres ouvriers, soumis à des conditions de travail précaires. Les travellings arpentent les travées de l’usine, le rythme métronomiques des machines s’opposant à l’usure et l’attention défaillante de travailleurs soumis à des journées de quatorze heures. Les inserts et fondus sur l’horloge s’enchaînent lentement durant le labeur, et sont furtifs à l’heure de la pause où l’on ressent la brièveté de ce répit à la fois dans la description de ce quotidien mais surtout dans la lassitude des travailleurs. Les vignettes amusantes sont d’ailleurs plus parlantes qu’un misérabilisme absent pour le comprendre, avec cette scène où un père demande à son épouse d’amener leur nourrisson durant son déjeuner puis qu’il part trop tôt et rentre trop tard pour le voir éveillé.

Tout le film oppose et questionne la notion de l’individu et du collectif. Le collectif ne fonctionne dans un premier temps que pour l’entraide (les collectes quotidiennes pour les accidentés de l’usine) et courber l’échine. L’habitude de la soumission et l’avenir incertain annihile ainsi les timides tentatives de rébellion. Monicelli fragmente l’unité fragile par sa mise en scène, avec un montage séparant les ouvriers lorsqu’ils s’allient pour terminer une heure plus tôt. Le malheureux Pautasso (Folco Lulli), désigné pour sonner l’alarme de ce départ anticipé est dans une composition de plan saisissante  associé à un enfant prise en faute par les adultes pour cette initiative finalement solitaire. Les entrevues (ou du moins tentatives) entre les travailleurs et les patrons relèvent de ce rapport de force biaisé que Monicelli traduit également par l’image. 

La première rencontre se fait avec un sous-fifre méprisant et voit les revendications (avancées de manières trop respectueuses) obstruées dans une dimension spatiale où leur est interdit l’accès au bureau par la simple parole d’un individu « supérieur ». Lorsqu’ils reprennent le cours de leur demande, il s’agira d’un monologue dans le vide puisque l’interlocuteur s’est éclipsé à leur insu. La seconde entrevue est plus vicieuse encore, jouant d’un dialogue paternaliste et condescendant des patrons avec à nouveau un rapport spatial plus classique mais significatif (les patrons assis à leur bureau et les ouvriers debout et penaud) témoignant du déséquilibre de ce rapport de force. C’est d’ailleurs une notion qui se prolonge à toutes les strates du pouvoir, le vieux patron d’entreprise faisant preuve d’un mépris qui passe par les mêmes idées formelles. Il domine ses subalternes tout en étant cloué dans son fauteuil roulant et il interdira à l’un d'eux l’espace d’une fête au sein de son foyer (pour tenue inappropriée) tout comme celui-ci avait plus tôt bloqué son bureau aux ouvriers. 

Le collectif semble donc plus être un prolongement de la peur qu’un espace de lutte. L’individu se manifestera d’abord dans une forme de survie résignée avec le personnage du sicilien, objet de rejet social même au sein des ouvriers, puis avec Niobe (Annie Girardot) ayant préférée vivre de ses charmes plus du labeur de l’usine – et elle victime d’un rejet moral. Il faudra donc l’arrivée de l’intellectuel Sinigaglia (Marcello Mastroianni) pour affirmer la révolte. Le personnage est sans attache (ou du moins les a quittée) et entièrement dévoués à l’idéologie de gauche, les ouvriers étant surtout une manière de la propager. La scène où il s’immisce dans la réunion des travailleurs est des plus parlantes. Dormant dans une pièce annexe, il comprend la nature revendicatrice e l’entrevue et pousse à la grève par ses mots savants, sans avoir totalement saisi les tenants et aboutissants du conflit. Seul compte le « combat », quelle qu’en soit les conséquences.

Le propos de Monicelli est passionnant car engagé sans être politisé. Ce sont les incongruités et ambiguïté de la nature humaine qui l’intéresse. Les ouvriers semblent ainsi avoir besoin d’une figure « supérieure » pour réellement sonner la révolte, tout comme celle-ci était également là pour les asservir. C’est paradoxalement une forme d’égoïsme mais aussi de courage qui confère à Sinegaglia l’autorité pour stimuler les travailleurs. Marcello Mastroianni est parfait de nuances dans une exaltation tour à tour sincère et forcée, entre petites mesquineries et réelles bienveillance. Il n’y a pas de saint ni martyr de la cause, seulement des protagonistes qui cherchent leur place. La détermination propre des ouvriers doit alors rejoindre l’implication sincère de Sinegaglia pour que les récriminations s’affirment pleinement dans un discours puis un assaut final de l’usine puissant. La récompense sera maigre dans les faits mais immense dans l’idée. Le personnage le plus individualiste (Renato Salvatori) est désormais guidé par la cause et inoculera à son tour l’instinct de rébellion sur son passage.

Ressortie en salle le 31 octobre et disponible en BR chez TF1 Vidéo 

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