Durant la nuit de la
Saint-Sylvestre, deux figurants de cinéma se promènent en ville : ils échouent
d'un lieu à l'autre, d'une fête à une réception, sans pouvoir être admis et
respectés. Ils n'en perdent pourtant pas leur optimisme et leur courage...
Mario Monicelli avait changé de statut et était devenu le
fer de lance de la comédie italienne avec son cultissime Le Pigeon (1958) et avait transformé l’essai avec La Grande Guerre (1959). Ces deux
classiques était les récits d’errance de pauvres bougres, que ce soit des
braqueurs amateurs du Pigeon et les
soldats guère plus doué de La Grande
Guerre. Sous couvert de comédie se révélait le contexte misérable et hostile qui allait
servir la trajectoire d’éternel perdant, figure récurrente du réalisateur
puisque la séduction sans but du héros de Casanova 70 (1965) ou les farces des joyeux compères de Mes chers amis (1975) masquaient également un fond plus dépressif. Larmes de joie, venant après ces deux
succès fondateurs s’inscrit dans la même veine et vient même conclure une sorte
de cycle pour le réalisateur. La spirale de l’échec avait un objectif dans Le Pigeon (le butin) et dans La Grande Guerre (sortir vivant du champ
de bataille) alors qu’elle s’avère finalement plus ténu et amère dans Larmes de
joie ou les personnages cherchent tout simplement un bref moment de bonheur
capable de leur faire oublier les soucis.
En cette nuit de Saint-Sylvestre, Tortorella (Anna Magnani)
et Umberto (Totò), deux modestes figurants de cinéma, cherchent en cette soirée
de festivité à s’évader de leur quotidien difficile. Ce nouvel an sera pourtant
une suite de déconvenues les ramenant
constamment à leur statut de perdants. Le film adapte les deux nouvelles
d’Alberto Moravia Risate di gioia et Ladri in chiesa sur un scénario
conjointement écrit par Monicelli, les deux maîtres de la comédie Age et
Scarpelli et Suso Cecchi D'Amico, scénariste attitrée de Visconti entre autre.
Le trio avait déjà collaboré sur Le
Pigeon et on retrouve donc là ce rire jaune sur fond de d’environnement
assez déprimant avec un même équilibre. Les embûches se plaçant sur la route de
notre duo repose donc autant sur un contexte social difficile qu’une
irrépressible poisse. Pour le premier point l’absence de ressources économiques
va forcer Umberto à servir d’assistant au voleur Lello (Ben Gazzara) bien
décider à dépouiller le plus de fêtards nantis au court de la soirée.
Ce
dénuement sera une sorte de fil rouge cause de désagréments anodins dont la
répétitivité vont créer le comique (les poches désespérément vides du duo qui
empêchent de prendre un taxi et ce jusque dans la dernière scène), amorcé en
amont quand on verra Umberto malmené par sa logeuse pour se loyers de retard.
Pour ce qui est de la guigne ordinaire, il suffira pour Tortorella d’être la
treizième convive pour que ces superstitieux amis l’abandonnent à son sort pour
la soirée. Les situations pathétiques s’enchaînent donc, provocant
consternation et rire avec ce montage alterné ou Tortorella est coincée dans un
métro en route pour le dépôt tandis qu’Umberto et Lello, seules âmes en peine
dans la rue subissent la pluie du traditionnel lancer de projectile des
fenêtres durant le nouvel an. Toute une faune d’autres laissés pour compte se
révèlent d’ailleurs dans l’errance des personnages, que ce soit le conducteur
de métro obligé de travailler en ce moment de fête ou ce couple d’escrocs où
l’homme oblige sa fiancée à se prostituer pour détrousser un touriste
américain.
Tout le parcours des héros constitue un envers triste de la fête qui
bat son train de toute part, Monicelli offrant même un parallèle
cinématographique moqueur lorsque le touriste américain souhaite reproduire
avec Tortorella la légendaire baignade dans la fontaine de La Dolce Vita (1960) de Federico Fellini. Teinte en blonde pour
initier le changement attendu de cette nouvelle année, Anna Magnani par son
visage las offre un triste pendant à la rayonnante Anita Ekberg et en guise de
Marcello Mastroianni, on aura plutôt un américain arrogant et aviné lourdement
insistant. Le personnage sous ses dehors loufoque représente d’ailleurs encore une
figure de domination sur cette Italie d’après-guerre pas encore complètement
sortie du plan Marshall.
Nos deux héros constituent néanmoins des perdants magnifiques
qui ne baissent jamais les bras et croient en des jours meilleurs. Totò et Anna
Magnani forment un duo très attachant que l’on se plaît à voir se houspiller et
se taquiner, profitant du moindre instants de respiration pour se laisser
aller. On pense à cette magnifique scène de chant où les deux acteurs en
profitent pour reprendre leur numéros et mimiques de music-hall, navigant entre
l’anodin pour l’assemblée de fêtard et le référentiel pour le cinéphile qui
connaît le passif des stars dans ce registre.
Cette bonhomie et cet entrain
fait ainsi toute la différence avec le ténébreux Lello qui, plutôt que la
souriante résignation du duo choisit la voie un l’illégalité allant crescendo
dans l’absence de scrupule jusqu’à un vol dans une église. La spirale de
l’échec finit par faire disparaitre toute morale chez lui quand Umberto et
Tortorella garderont toute notre sympathie. Guère mieux lotis quand le récit
touche à sa fin, ils semblent pourtant toujours prêts à avancer. Ce mélange si
subtil d’espoir pourtant condamné et la manière si courageuse de le prendre à
la légère, toute la magie de Monicelli est là.
Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 Vidéo
Extrait
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