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jeudi 27 novembre 2014

The Kingdom of Dreams and Madness - Yume to kyôki no ohkoku, Mami Sunada (2013)

 
A l’occasion de la sortie de Le Vent se lève (2013), Hayao Miyazaki annonçait celui-ci comme son dernier film et son départ à la retraite. Le réalisateur avait déjà maintes fois fait ce type d’annonce précédemment (notamment à l’époque de Princesse Mononoké (1997) avant de toujours se rétracter, ajoutant de nouveaux joyaux à son œuvre mais fragilisant aussi l’avenir de Ghibli en ne permettant pas l’émergence d’une vraie relève. Quelques mois plus tard le studio Ghibli annonçait la fin de la production de long-métrage, l’activité du studio semblant condamnée à se ralentir avec le retrait d’un de ses fondateurs. Dans le même temps, Isao Takahata sans annoncer sa retraite signait le magnifique Conte de la Princesse Kaguya au terme d’une interminable production et le producteur Toshio Suzuki semblait également amené à prendre un certain recul. La fin d’une époque à tout point de vue donc et que le ton pesant et funèbre du Vent se lève caractérisait bien.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le documentaire de Mani Sunada qui aura suivit les derniers mois de production et la sortie du Vent se lève, nous immergeant au plus près du fonctionnement du studio Ghibli. Loin d’un simple making-of, la cinéaste nous offre un vrai regard et point de vue sur Ghibli à travers le portrait contrasté d’Hayao Miyazaki. Les images de la confection en cours du Vent se lève s’accompagne d’archives emblématiques retraçant la fondation de Ghibli et apportant de précieuses informations sur les relations complexes qui lient les trois fondateurs à savoir le producteur Toshio Suzuki et les cinéastes Hayao Miyazaki et Isao Takahata. Takahata fut ainsi au départ le mentor d’un jeune Miyazaki fraîchement embauché à la Toei Animation au début des 60’s. Il l’aida à exprimer son talent dans diverses productions communes (la série TV Heidi ou encore le film Horus, le prince du soleil (1968)) où ils façonnèrent le futur imaginaire du Studio Ghibli entre folklore japonais et inspiration occidentale. Miyazaki pris son indépendance au moment de signer la série Conan, le fils du futur mais au moment de signer Nausicaä de la vallée du vent (1985), le film qui allait tout changer, il fit appel à son ami pour le produire et c’est sur les fondations de ce succès initial qu’il créèrent Ghibli, véhicule de leur créativité et indépendance. Bien qu’Isao Takahata quasi invisible du documentaire, son aura pointe en filigrane tout du long pour souligner les différences avec son ami et rival Hayao Miyazaki. 

La production en parallèle du Vent se lève et Le Conte de la Princesse Kaguya renvoie ainsi à celle houleuse qui eut lieu 25 ans plus tôt avec Mon voisin Totoro et Le Tombeau des Lucioles (1988). Autoritaire, organisé, méticuleux, doté d’un style précis et immédiatement identifiable, Miyazaki s’oppose ainsi constamment à Takahata au trait changeant d’un film à l’autre et dont les gestations chaotiques sont un moteur de créativité. Ces traits de caractères sont mis en avant à diverses reprises, les discussions des producteurs anxieux sur l’enlisement du Conte de la Princesse Kaguya s’enchaînant avec les décisions éclairs d’un Miyazaki capable de choisir en un coup d’œil l’affiche de son futur film ou de faire sur un quasi coup de tête un choix artistique périlleux (prendre le réalisateur Hideaki Anno pour doubler le héros du Vent se lève la séquence est savoureuse) sous le regard médusé de ses collaborateurs. Miyazaki se montre à la fois respectueux et admiratif pour son ami mais aussi très dur et critique face à sa méthode complètement opposé à la sienne.

L’usine à rêve qu’est le studio Ghibli apparait encore étonnamment artisanale, tant dans ses locaux restreints que son fonctionnement où chaque collaborateur se démène dans un recoin de cette salle de travail collective. Hayao Miyazaki symbolise cela à merveille, déambulant en tablier au milieu des artistes, travaillant d’arrache-pied à un story-board et imposant un fonctionnement où le manuel reste dominant (il n’aura commencé à céder à quelques effets numériques que depuis Princesse Mononoké). Dans ce cadre, le réalisateur reste un toujours un vrai contraste. Facétieux et rigolard avec ses collaborateurs, il n’en reste pas moins d’une exigence intraitable. Loin de l’image de colonie de vacances créative (un peu forcée certainement) que peut véhiculer Pixar, Ghibli apparait comme une vraie petite usine en soi (mais où la magie des films flotte à l'image de ce chat traversant les locaux) où les employés font plus figure d’ouvrier rigoureux que d’artiste. 

Certains d’entre en témoigneront, cette approche de leur travail est une forme de protection, y voir un métier plutôt qu’une passion permet de mieux répondre à l’immense exigence et au perfectionnisme de Miyazaki. Les plus investis ne font pas long feu et finissent inévitablement par quitter le navire après plusieurs années à ce rythme. On constate d’ailleurs à quel point l’aura de Miyazaki est grande pour ses collaborateurs puisqu’on ne le verra jamais hausser le ton ou se mettre en colère pour demander à certains d’accélérer ou revoir leur copie.

Il a une vision auquel chacun fait tous les efforts pour répondre, sachant que le maître se met une pression équivalente comme lorsqu’on le verra suer à dessiner le modèle d’avion japonais Zéro au centre du Vent se lève. Mani Sunada montre bien par son montage la dichotomie entre le rêveur et le travailleur acharné, justement dans un passage évoquant l’avion. Miyazaki raille ainsi les otakus et autres fan fétichistes du Zéro pour leur maniaquerie et manque de créativité pour quelques minutes plus tard s’amuser comme un enfant avec une maquette.

Même si une certaine nostalgie et mélancolie traversent le documentaire du fait de son contexte, jamais l’on ne ressent vraiment l’idée d’un adieu de Miyazaki ou Takahata. Les deux auront été un peu poussés à s’atteler à leur film en cours mais l’ébullition créative semble intacte, le septuagénaire Miyazaki semblant presque plus en forme sur les images contemporaine que dans les archives, vif et plein d’énergie. Son aîné de quatre Takahata fera son apparition à la fin du film marquer le coup de la fin de la production du Vent se lève et apparait aussi incroyablement fringant. Le travail semble être le moteur de ses vieux sages, jamais aussi heureux que dans cet élan créatif malgré l’énergie que puise un tournage. A l’inverse ce sont les plus jeunes qui semble marquer le coup, Goro Miyazaki rechignant à remettre le couvert lors d’une discussion sur un projet possible et l’assistant de Takahata évoquant avec humour son épuisement alors que le légendaire producteur Toshio Suzuki narrera des épisodes autrement plus harassant lorsqu’il mena simultanément Totoro et Le Tombeau des lucioles tout en supervisant la construction des bâtiments du studio. 

Dès lors malgré les annonces, on se dit qu’il suffira d’un rien pour que Miyazaki revienne une fois de plus sur sa décision (l’anecdote sur ce qui amènera la production du Voyage de Chihiro par un Miyazaki déjà supposé retraité est magnifique), Takahata n’ayant jamais déclaré arrêter d’ailleurs, le seul obstacle étant son rythme de travail laborieux. A voir les yeux brillant de Miyazaki imaginer toute une péripétie magique en observant un morne panorama urbain (que la réalisatrice met superbement en parallèle avec des images de ses films) on se dit que l’aventure Ghibli n’est sans doute pas réellement terminée. Un captivant et long documentaire qui passionnera en tout cas les nombreux admirateurs du studio.

Inédit en France pour l'instant mais pour les parisiens visible en ce moment dans le cadre du festival Kinotayo

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