Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 15 octobre 2018

La Dernière Séance - The Last Picture Show, Peter Bogdanovich (1971)


Anarene, petite ville perdue du Texas de l'Amérique profonde du début des années 1950. Deux adolescents, Sonny (Timothy Bottoms) et Duane (Jeff Bridges), découvrent la vie, le cinéma, le football américain, les filles, les petits boulots, l'ennui, etc. sur fond de musiques d'époque.

La nostalgie est un des thèmes récurrents de l’œuvre de Peter Bogdanovich. Elle s’inscrit dans son bagage d’historien cinéphile à travers les travaux, entretiens et amitiés noués avec plusieurs grands réalisateurs de l’âge d’or Hollywoodien (Alfred Hitchcock, Howard Hawks, John Ford…). Dans ses films, cette nostalgie peut s’exprimer dans une même veine cinéphile en revisitant un genre emblématique (la screwball comedy On s’fait la valise docteur ? (1972), la comédie musicale Enfin l’amour (1975)), mais aussi dans le fantasme du passé dans les nombreuses œuvres « rétro » de sa filmographie (La Barbe à papa (1972), Daisy Miller (1974), Nickelodeon (1976). Ce regard en arrière ne relève pas de la seule fascination et n’exclut pas la noirceur (le contexte de la Grande Dépression de La Barbe à papa). Cette approche correspond en tout point à l’œuvre littéraire de Larry McMurtry où la célébration d’un monde révolu se conjugue à la description de sa chute et de ses pans les plus sombres. C’est le cas dans le roman Horseman, Pass By et son adaptation par Martin Ritt, Le Plus sauvage d’entre tous (1963). On le voit également sur la série d’ouvrages Lonesome Dove et le feuilleton télévisé qui en fut tiré, et il y en eu une belle démonstration plus récente avec le scénario qu’il écrivit pour Le Secret de Brockeback Moutain

C’est sur les conseils de son ami acteur Sal Mineo que Peter Bogdanovich prend connaissance de The Last Picture Show, roman de Larry McMurtry paru en 1966. S’il est déjà une sommité critique (et a une petite expérience d’acteur) la carrière de cinéaste de Bodganovich se résume à deux œuvres de genres modeste avec La Cible (1968) et Voyage to the Planet of Prehistoric Women (1968). Le questionnement est donc immense pour lui quant à la manière d’adapter cette chronique texane, avec d’abord le choix radical d’un tournage en noir et blanc (après une discussion avec Orson Welles, autre de ses mentors) ainsi que celui d’un casting d’inconnus. L’histoire dépeint au début des années 50 le quotidien d’un groupe de personnages à Anarene, ville perdue du Texas. Bodganovich s’attache dans à premier temps à montrer sous un jour bienveillant cet environnement morne par le biais de la jeunesse. 

L’ennui ordinaire se surmonte par la camaraderie où même le jeune simple d’esprit Billy (Sam Bottoms) est intégré au groupe que forment notamment Sonny (Tim Bottoms) et Duane (Jeff Bridges). La sinistrose se propage jusqu’à la faible équipe de football lycéenne locale et est source de railleries – même si l’on ressent la déception de ne même pas pouvoir se raccrocher à ça – mais les rituels quotidiens permettent tout surmonter. Ils s’incarnent par des lieux et des figures bienveillantes qui font office de socle sociaux.  La salle de billard ouverte à toute heure est tenue par la présence tutélaire de Sam « the lion » (Ben Johnson), le snack aux horaires tout aussi élastiques bénéficie de l’accueil gouailleur de Genevieve (Eileen Brennan) et le cinéma où voir les dernières sorties (et flirter joyeusement) voit la douce Miss Mosey faire office d’ouvreuse. 

 Chacun de ces mentors a en quelques sorte réussi à surmonter ses espoirs déçus dans son activité où ils sont aux premières loges pour observer, anticiper et apaiser les soubresauts de la communauté. C’est particulièrement vrai pour Sam, Ben Johnson dégageant la présence paternelle qui manque à ces jeunes gens (dans le reproche comme le pardon avec la sobre et magnifique scène o il retrouve Sonny au snack) mais aussi l’histoire ancestrale de la région dans une dimension interne au récit et extra diégétique par son passif filmique (ses rôles dans la trilogie de la cavalerie chez John Ford notamment). Ces lieux semblent moins déprimant par sa seule présence quand il en raconte la genèse lors de la partie de pêche, la caméra de Bodganovich alternant le somptueux paysage avec le visage minéral de Sam et entrecroisant le récit des bouleversements géographiques avec ceux, intimes du personnage qui se laisse aller à la confidence sur un amour perdu. La dernière apparition du personnage, par sa nature sobre et touchante, est l’ultime expression d’un paradis perdu avant que tous les maux étouffés de la communauté éclatent peu à peu.

La Dernière séance est  l’illustration des espoirs déçus des adultes et de celles inaccessibles des enfants. Les deux constituent parfois un éternel recommencement avec la belle Lois (Ellen Burstyn) ayant choisi la réussite social plutôt que le vrai amour de sa vie et végète désormais entre ennui, alcool et amants. Sa fille Jacy (Cybill Shepherd dans son premier rôle) semble prendre le même chemin, mettant sa beauté au service du seul paraître, qu’il soit viril avec Duane, social quand elle se rend à une fête dénudée de jeunes gens nantis. L’actrice par sa minauderie virginale de façade révèle un envers plus sombre et provocant qui s’il prête à des scènes diablement sensuelle s’exprime par ailleurs de façon beaucoup plus dramatique – le fils de pasteur aux penchants pédophile. 

La relation physique qu’elle aura avec l’amant (Clu Gulager) de sa mère conjugue ainsi érotisme et culpabilité et est à mettre en parallèle avec la liaison plus sincère de Sonny avec Ruth (Cloris Leachman), femme marié. D’un côté une étreinte faisant office de trophée filmée avec une préciosité factice (quand les tentatives avec Duane soulignent le seul aspect gauche) et de l’autre des solitudes domestiques et existentielles capturée avec une vraie tendresse par Bogdanovich. Le premier baiser gauche un soir de noël, les larmes de Ruth d’éprouver à nouveau le contact charnel et tendresse simple de leur scènes communes, tout cela façonne la seule relation apaisée du film - pour un temps.

Pour les plus jeunes le rêve se limite à une présence et/ou un statut (Jacy pour Duane qui ne peut l’oublier) et chez les adultes à un regret des occasions manquées. La résignation cynique de Lois a pour miroir le désespoir de Ruth, Jacy qu’on imagine aussi délurée et superficielle à l’issue du film renvoie quant à elle à l’âme éteinte de Sonny bien conscient qu’il a tout perdu et gâché. Le noir et blanc de la photo de Robert Surtees paraissait au départ capturer un paradis perdu, le fondu enchaîné funèbre final semble au contraire éclairer un mausolée : celui des occasions manquées, des espoirs déçus et des illusions brisées. 

Le film eut le même impact dans la vie personnelle de Peter Bogdanovich. Le succès public et critique changea son statut, et sa romance avec Cybill Shepherd fit voler en éclat son couple avec Polly Platt (collaboratrice fidèle qui repéra d’ailleurs celle qui allait lui prendre son époux). La Dernière séance demeure un des étendards du Nouvel Hollywood et sans doute la plus grande réussite de son auteur. 

Sorti en bluray et vd zone 2 français chez Carlotta

 

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