Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 29 janvier 2019

Kaïro - Kiyoshi Kurosawa (2001)


Taguchi, un jeune informaticien, est retrouvé pendu dans son appartement. Sous le choc, ses collègues cherchent à en savoir plus sur ce suicide inexplicable. La victime a laissé un mystérieux message contenu dans une simple disquette. De toute évidence, celle-ci recèle un virus qui contamine ses utilisateurs et a de graves répercussions sur leur comportement.

Ring de Hideo Nakata (1998) avait révolutionné le cinéma fantastique japonais (et par extension mondial par la suite) en croisant le folklore surnaturel local avec une forme de modernité se fondant dans le quotidien. La terrifiante Sadako apparaissait ainsi à ses malheureuses victimes à travers une cassette vidéo maudite, une frayeur ancestrale traçant son chemin vers les mortels grâce aux technologies contemporaines. Kiyoshi Kurosawa part d’une même idée avec cette fois internet comme canal guidant les morts vert les vivants pour les tourmenter.

Le traitement de Kurosawa diffère cependant, les fantômes profitant des maux façonnés par les vivants eux-mêmes pour les assaillir. Le film distille un malaise croissant rattaché à une profonde solitude urbaine où le réalisateur nous dépeint l’apathie ordinaire des citadins raccrochés aux mondes virtuels d’internet plutôt qu’à leur entourage. Cette existence diffère finalement peu de l’errance éternelle que l’on entraperçoit des fantômes, et c’est ce mimétisme qui va créer une passerelle d’un monde à l’autre. Kurosawa excelle à instaurer une désolation qui part de l’intime pour s’étendre à une société entière. Le premier fantôme apparait ainsi comme dans un rêve, une ombre se révélant en amorce derrière un rideau lorsque Michi (Kumiko Aso) se rendra chez son collègue porté disparu. La séparation morts/vivants se révèle par le cadrage qui sépare la pièce où elle cherche une disquette et celle où s’est isolé Taguchi, la mort de ce dernier ne se révélant que par une tension sourde et indicible. 

Le réalisateur jouera par la suite du montage et du champ contre champ pour les glaçants face à face avec les spectres. Le regard médusé du vivant s’oppose ainsi à l’avancée du fantôme, ce dernier se fondant dans un décor normal où son teint vitreux et sa démarche incertaine créent un décalage qui affirme sa nature inhumaine. Peu à peu Kurosawa signifie cette contamination du monde normal en rendant de plus en plus trouble ce contrechamp sur les fantômes, d’abord dissimulés dans un recoin de décor (l’apparition à la bibliothèque) puis de plus en plus visible tout en étant paradoxalement plus insaisissable avec l’image numérique. Les fantômes constituent un virus qui  gangrène la technologie où leur présence défie la raison. La bascule se fera lorsque l’écran d’ordinateur passera de vecteur infecté et altéré du réel à un miroir où c’est au contraire la réalité qui semble matérialiser le cauchemar de pixel (la magistrale scène où Harué (Kato Koyuki) observe puis rejoint le regard qui l’observe de dos sur son écran d’ordinateur). 

L’apathie urbaine sert de révélateur à une véritable pulsion de mort qui va gagner la population progressivement aspirée dans les ténèbres par une superbe idée formelle. C’est un élément récurrent dans l’œuvre de Kurosawa où le personnage et/ou l’élément surnaturel, que ce soit l’hypnotiseur de Cure (1997), l’arbre maléfique de Charisma (1999) ou le manipulateur de Creepy (2017), profite des failles existantes de ses victimes pour semer le chaos. 

L’atmosphère délétère fonctionne ainsi en creusant le vide des personnages (Harué et Junko (Kurume Arisaka) qui se répercute dans la désolation du décorum (un talent qu’on retrouve toujours dans les plus récents Shokuzai (2012) dans une veine réaliste, ou Invasion (2017) dans le même élan parano fantastique). Dès lors les quelques tentatives de spectaculaire jure à la fois par les effets spéciaux médiocres (un crash d’avion numérique très laid) mais la rupture de ton que cela amène à cette apocalypse silencieuse. Ni l’amour possible, ni l’amitié ne semble entraver l’avancée d’un désespoir omniprésent et d’une profonde solitude de l’humanité manifeste dans un dernier plan saisissant. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Condor 

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