Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 23 septembre 2019

La Fièvre dans le sang - Splendor in the Grass, Elia Kazan (1961)


Kansas. 1928. Le fils d’un pétrolier, Bud Stamper, est passionnément amoureux de Deanie Loomis, une jeune fille d’une famille assez pauvre. Sa mère recommande à celle-ci de rester pure et lui parle du devoir conjugal comme d’une épreuve douloureuse qui fait partie de la destinée malheureuse des femmes. Dans le même temps, Ace Stamper, un fonceur obstiné n’écoutant jamais aucun conseil, oblige son fils qui veut devenir éleveur à faire ses quatre années d’études à l’Université de Yale avant d’épouser Deanie.

Le milieu des années 50 voit le mélodrame hollywoodien prendre des directions surprenantes, plus provocantes dans les sujets abordés. Il s’agit notamment d’écorner le vernis idéalisé de la société américaine d’alors et cela passera par une vision trouble de la jeunesse. La Fureur de vivre de Nicholas Ray (1955) introduit cette thématique du mal-être adolescent, tant existentiel que reposant sur la frustration sexuelle. La série de grands mélodrames juvéniles de Delmer Daves (A Summer Place (1959), Parrish (1961, Susan Slade (1961) et Rome Adventure (1962)) avait creusé un peu plus ce sillon dans lequel vient s’inscrire La Fièvre dans le sang. Le film est un scénario original du dramaturge William Inge dont cette jeunesse troublée est un des thèmes de prédilection comme on a pu le constater certaines sur adaptations de ses pièces comme Picnic et Bus Stop de Joshua Logan (1955, 1956). Ce qui intéresse Elia Kazan ici, c’est avant tout la dimension psychanalytique et la manière dont l’environnement americana s’avère oppressant pour les jeunes gens.

La scène d’ouverture donne le ton des contradictions qui agitent les personnages. Bud (Warren Betty) et Deannie (Natalie Wood) flirtent tendrement en voiture, un décor de cascade offrant un superbe arrière-plan romantique. Bud se montre plus insistant dans ses baisers, encouragé par la posture offerte et le ton tendre de Deannie, mais cette dernière finit par le repousser sous le prétexte « qu’ils ne devraient pas » aller plus loin. Le rapport charnel se refuse non par une absence de désir d’un des deux amoureux, mais par une forme d’épée de Damoclès morale qui pèse sur eux et les freine dans leurs élans. Le cadre familial de chacun illustre cette frustration commune par un déterminisme à la fois social et de genre. 

Face à cette agitation intime, Bud ne rencontre que la lourdeur d’une connivence masculine machiste chez son père (qui lui recommande de soulager sa frustration auprès de filles plus « faciles) pour qui il n’est qu’une marionnette à ses ambitions financières. Deannie rencontre également un mur auprès de sa mère pour qui le désir est une source de perdition, l’acte n’étant qu’un sacrifice de la femme pour satisfaire son époux et faire des enfants. Plus tard l’institution s’avéra tout aussi incapable lorsque Bud tentera de se confier au médecin local. Ce monde est binaire, la complexité des sentiments et du désir n’a pas sa place face à une bienpensance qui vous juge constamment – la rumeur médisante de l’espace du lycée, les regards curieux des voisins forme le tout médisant et inquisiteur de la foule.

Elia Kazan rend quasiment physiologique cette dichotomie pour les personnages, jusqu’à la rupture. En début de film, après son rendez-vous frustrant avec Bud, Deannie se love de manière lascive sur le sofa avant d’être surprise par sa mère. Cela se poursuit tout au long du récit, l’émotion à vif explosant de manière intense, parfois bouleversante et d’autres sans doute un peu lourdement psychologisantes (la crise dans la salle de bain) et hystérique. Le talent de Natalie Wood fait cependant la différence quand cela semble trop appuyé dans les attitudes maniérées de Warren Beatty cherchant ses marques pour son premier rôle au cinéma. En dépit de ses maladresses, Kazan façonne un coming of age douloureux et charnel qui sait exploiter la zone grise qu’autorise un Code Hays moins restrictif. C’est le cas notamment avec le personnage de Ginny (Barbara Loden compagne d’Elia Kazan) brisée dans ses élans de liberté et son besoin d’affection (dont une scène où elle fait écho à la Natalie Wood de La Fureur de vivre justement lors d’une réaction brutale de son père à une marque de tendresse) qui la pousse également vers un même excès et des situations scandaleuses. 

Ne reste que la nostalgie de ce qui fut et de ce qui aurait pu être dans la magnifique dernière entrevue entre Bud et Deannie, où les vers du poème William Wordsworth Splendour in the grass prennent tout leur sens : « Though nothing can bring back the hour Of splendour in the grass, of glory in the flower ; We will grieve not, rather find Strength in what remains behind ». 

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner


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