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dimanche 17 mai 2020

Le Groupe - The Group, Sidney Lumet (1966)


En 1933, huit femmes, qui forment un groupe populaire parmi leurs camarades, sortent diplômées d'une prestigieuse université. D'origines et de conditions diverses, chacune s'engage dans une voie différente et va devoir prendre son destin en main, en se positionnant par rapport à leur carrière et aux hommes.

Le Groupe voit Sidney Lumet adapter le roman éponyme de Mary McCarthy, immense best-seller publié deux ans plus tôt. Le roman se situait dans les années 30, ère de mues sociétales et idéologiques qui trouve son écho à la période de parution du livre (et donc de sortie du film) avec la résurgence des courants féministes, l’avènement de la contreculture. L’histoire est un récit choral suivant huit femmes fraîchement diplômées universitaires et qui s’apprête en embrasser chacune des carrières pleine de promesses dans ce contexte progressiste. Seulement leurs ambitions seront intrinsèquement liées à leurs vies personnelles et plus précisément le rapport aux hommes, ce qui sera sources de déconvenues.

On connaît depuis Douze hommes en colère (1958) le talent de Lumet pour dresser de captivants portraits de groupe et ce film ne fait pas exception. L’idéal que s’imaginent les jeunes femmes passe encore par le mariage et voit notamment Kay (Joanna Pettet), la plus en vue du groupe, épouser Harald (Larry Hagman) un dramaturge prometteur. De même Priss (Elizabeth Hartman) et ses convictions politiques marquées sera une des premières mariées, avec Sloan (James Congdon) fervent militant républicain. Ce tableau trop idyllique dissimulera des maux domestiques terribles en violence conjugale, alcoolisme, et un foyer vu comme un terrain d’application d’une idéologie avec Sloan imposant à Priss un allaitement naturel pour le nouveau-né. Tout le récit fonctionne ainsi, à travers les obstacles rencontrés par les héroïnes qui représentent un courant de ses années 30.

C’est notamment vrai à travers le personnage de Polly (Shirley Knight), confrontée à l’avènement de la psychanalyse par son père maniaco-dépressif, ce qui la poussera dans les bras d’un homme marié (Hal Holbrook) se complaisant dans sa thérapie puis enfin d’un psychiatre (James Broderick) plus bienveillant qu’elle va épouser. Le recul de l’écriture du livre et de la production du film dans les 60’s permet un regard passionnant sur le sujet, la psychanalyse se présentant à la fois comme un prétexte à tergiverser (la thérapie d’Hal Holbrook qui lui autorise toutes les lâchetés masculine, et cela anticipe certains personnages de Woody Allen), des mots qui autorisent excentricité et irresponsabilité pour le père de Polly et enfin le vrai salut intime avec le fiancée psychanalyste. L’autre aspect intéressant est que sous l’amitié réelle qui lie les protagonistes, toute sororité idéaliste est absente pour laisser s’exprimer petites bassesses et méchancetés gratuites entre elle.

Le film avance ainsi sous forme de gazette dont les anciennes camarades d’université sont le sujet, chaque ellipse fonctionnant au rythme des mariages, naissances et autres réussites professionnelles. Lumet glisse les moments-clés entre ces annonces solennelles à l’inverse des célébrations de groupes festives, on retrouve les héroïnes en plus petit comité et où entre conversation téléphoniques ou déjeuner au restaurant, les langues se délient pour vilipender les absentes en difficultés. Le but n’est pas de fustiger une vague mesquinerie féminine, mais surtout de dénoncer le paraître qui s’impose aux femmes et les poussent à masquer leur fêlures dans le commentaire et la critique d’autrui. Kay est ainsi la plus prompte à conseiller les autres sur leur vie sentimentale alors que son mariage est un désastre. Sa seule déconvenue à la fin du film alors qu’elle est aux abois sera que Polly « sache » qu’elle est internée plutôt que la joie de recevoir sa visite d'un visage ami.

Le personnage de Libby (Jessica Walter) est à ce titre fascinant de contradiction, dégageant un sex-appeal ravageur et se vantant de ses multiples conquêtes masculines mais qui s’avère en fait frigide et rétive à leur contact (ce qui occasionnera une scène d’agression marquante). Le destin de chacune est si intéressant et représentatif en soi que l’on regrette que l’histoire en abandonne certaines en route comme Dottie (remarquable Joan Hackett) et son traumatisme sentimental initial ou encore la mystérieuse Lakey (Candice Bergen) et son homosexualité assumée. Lumet baigne l’ensemble dans une photo pastel de Boris Kaufman dont l’écrin chatoyant tisse un tableau nostalgique et idéalisé illusoire. Le réalisateur construit à l’inverse des montées dramatiques en quasi temps réel où la violence psychologique comme physique frappent de plein fouet. C’est notamment vrai pour les joutes domestiques de Kay et Harald (Larry Hagman qui prépare son JR de Dallas en époux alcoolique et abusif) où la perfection du cadre - les couleurs blanches des murs, la géométrie parfaite et l’ameublement raffiné de l’appartement – est trahie par les panoramiques et mouvement de caméras vif qui accompagnent les débordements du couple. 

La scène de dîner amical dans le même décor est également une merveille de malaise progressivement distillé, entre révolte muette et éclats de colère. Les scènes réunissant le groupe constituent tout au long du film une manière de faire le point faussement positif de la vie de chacune, même si la lassitude précède désormais ces retrouvailles avec la répétition des scènes où se négocient l’achat collectif du cadeau de l’évènement à venir. La dernière scène collective tombe le masque et accepte la faillite des espérances puisqu’il s’agira d’une scène d’enterrement, et d’autant plus de celle qui avait ouvert l’opportunité de cet avenir radieux. Un Lumet méconnu mais vraiment à découvrir, notamment grâce à la brillante interprétation collective d’actrices qui (hormis Candice Bergen) n’auront pas forcément la carrière escomptée par la suite.

Sorti en dvd et bluray français chez BQHL 

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