Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 12 août 2022

The Discarnates - Ijintachi to no Natsu, Nobuhiko Obayashi (1988)

Harada est un scénariste dont le travail rencontre un franc succès. Son meilleur ami lui d'annonce alors qu'il a l'intention de fréquenter son ex-épouse. Harada supporte mal cette annonce. Tandis qu'il est en repérage pour l'un de ses scénarios, il retourne dans sa ville natale. Il assiste à un spectacle et croise dans le public un homme qui ressemble trait pour trait à son père, décédé trente ans plus tôt dans un accident avec sa mère. Ce dernier l'invite chez lui. Une fois chez l'homme (son père), il y fait la connaissance de sa propre mère...

Sous sa forme la plus extravagante comme dans House (1977), la plus épurée et poignante pour The Deserted City (1984) ou le plus à fleur de peau avec Chizuko's Younger Sister (1991), les thèmes du poids du passé, de la nostalgie et des fantômes qui nous hantent sont au cœur de la filmographie de Nobuhiko Obayashi. Plus il avance dans son œuvre, plus les excès de l'inaugural House se distillent avec davantage de finesse et de sensibilité à l'image de The Discarnates. Il s'agit d'une adaptation du roman Présences d'un été de Taichi Yamada (publié en France aux édition Picquier) où Obayashi, une fois n'est pas coutume durant cette période des 80's, a pour protagoniste un adulte quarantenaire. Il s'agit d'Harada (Morio Kazama) scénariste à succès mais homme peu avenant. Bourreau de travail, il s'est consacré à sa carrière au point d'être fraîchement divorcé de son fait et il vit désormais seul dans une résidence tokyoïte dont il est le seul locataire. L'isolement symbolique rejoint la solitude concrète et recherchée par Harada dont la nature antipathique nous apparaît d'autant plus quand il rejette la compagnie de Kei (Yûko Natori), sa jolie et manifestement dépressive voisine qui cherchait à nouer contact avec lui. Mais bien sûr cette misanthropie vient d’une douleur passée plus profonde à laquelle des évènements extraordinaires vont obliger le héros à se confronter.

En repérage dans le métro pour un futur scénario, Harada se perd et bascule dans le quartier d'Asakusa où il n'avait pas mis les pieds depuis ses douze ans. Son monologue en voix-off nous avertit aussi que c'est à cette période dont il se souvient avoir pleuré pour la dernière fois, affirmation d'une capacité d'émotion dont il est aujourd'hui incapable. Il va dans ce qui semble une temporalité parallèle recroiser son père jeune, qui va l'inviter dîner avec sa mère dans l'ancienne demeure familiale. Les séquences "réelles" et contemporaines arborent une imagerie grise, terne et impersonnelle à la manière froide dont Harada traverse sa vie quand la photo de Yoshitaka Sakamoto baigne dans des teintes chaleureuses et colorées à chaque fois qu'il retrouve ses parents dans ce monde parallèle.

La promiscuité et la modestie de l'ancien appartement crée un cocon bienveillant où Harada se déride et s'émerveille de la présence de ses parents qu'on devine décédés en réalité. Obayashi se déleste de tout onirisme dans ces moments pour façonner des moments de vie où la bonhomie du père (Tsurutarô Kataoka) et la gentillesse de la mère (Kumiko Akiyoshi) sont palpables, comme une véritable recréation d'un passé heureux et oublié. A l'inverse le présent semble de plus en plus abstrait à travers la romance que va nouer Harada avec sa voisine, le vide de la résidence, les douloureux secrets que semble garder Kei et leurs rencontres et étreintes essentiellement nocturnes. On devine peu à peu que Harada a trouvé une sorte d'interstice entre le monde des vivants et des morts, l'un qu'il accepte comme tel avec ses parents et un autre plus ambigu avec Kei mais qui de toutes les manières le rend plus heureux que ses interactions avec la réalité.

Obayashi déploie une atmosphère envoûtante, tour à tour bienveillante ou inquiétante mais toujours au diapason des émotions de son héros. On a ainsi l'étrangeté du songe dans le montage, les transitions, ou lors de moments surréalistes où Obayashi introduit puis désamorce une tension sexuelle quand la mère d'Harada le déshabille pour le mettre à l'aise par cette chaleur, la gêne d'Harada paraissant incongrue face à cette mère le traitant encore tel que le garçon de douze ans qu'elle a laissé. Cela amène dans le film de vraies discussions existentielles et une remise en question pour Harada face à des parents bien conscients de faire face à un adulte. Par extension ces réflexions se répercute sur le spectateur imaginant les échanges possibles avec des proches disparus s'il avait l'occasion de les retrouver momentanément. Harada imagine ainsi qu'il aurait pu devenir un homme meilleur que celui hautain et distant qu'il est désormais s'il n'avait pas perdu ses parents si jeune. Toutes les scènes familiales se teintent d'ailleurs d'une candeur et innocence qu'il a perdue et cherche à retrouver.

Cependant ce bonheur à un prix et à chaque retour au réel, le visage d'Harada vieillit, se fait plus spectral et putride quand il s'observe dans un miroir, comme si l'au-delà cherchait à l'aspirer définitivement. Le deuil qu'il a prématurément dû faire enfant, il devra donc l'accepter adulte, ce qui nous occasionnera une scène d'adieu absolument bouleversante. Morio Kazama livre une performance poignante tandis qu'Obayashi filme dans un onirisme retenu et poétique les morts s'estomper délicatement de la perception d'Harada. Il fait face et surmonte là ses maux d'enfant, mais il lui reste également à se faire pardonner ses errements d'adultes avec le personnage de Kei. 

Là Obayashi exécute un pur récit de fantôme gothique dans un environnement urbain, sans la luxuriance et la fantaisie de House mais plutôt dans un élan baroque, étouffant et tourmenté. Harada désormais exsangue se doit de se relever et tout reconstruire, renouer les liens avec ses proches bien vivants dans un réel tangible. Tout en ayant un protagoniste adulte, le passif de celui-ci l'inscrit pleinement dans les récits d'apprentissage de ses œuvres adolescentes, mais avec la gravité et le sentiment du temps qui passe de ses films les plus matures d'alors comme le magnifique The Deserted City - l'union parfaite entre ces deux penchants viendra avec Chizuko's Younger Sister. The Discarnates est en tout cas un de ses films les plus touchants et habités, le crescendo émotionnel de la dernière demi-heure étant là pour en témoigner.

Sorti en bluray et dvd japonais

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