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mercredi 3 août 2022

Avanti ! - Billy Wilder (1972)


 Wendell Armbruster, Jr. est un PDG américain venu en Italie pour faire rapatrier le cadavre de son père, mort dans un accident de voiture dans l'ile d'Ischia. Il apprend à cette occasion que son père avait une maîtresse, morte dans l'accident, et tombe amoureux de la fille de cette dernière.

Il y quelque chose de très touchant dans la dernière partie de la filmographie de Billy Wilder, qui le rapproche grandement de son mentor Ernst Lubitsch. Ce dernier dans ses ultimes films se délestait de la mécanique comique huilée et du cynisme réjouissant de sa Lubitsch’s touch pour laisser entrevoir un visage plus tendre, bienveillant et parfois autobiographique dans des œuvres comme The Shop around the corner (1940), Le Ciel peut attendre (1943) ou La Folle ingénue (1946). Billy Wilder dans les années 70 suit le même chemin (avec d’ailleurs la même volonté de retour en Europe que son mentor dans ses derniers films) en se délestant de la contrainte de l’efficacité narrative, de l’écriture savamment charpentée et du timing comique parfait. Toutes les qualités du réalisateur sont toujours là, mais osent s’aventurer sur un terrain recherchant moins la perfection, osant exposer une langueur, une mélancolie moins soumise à la perfection scénaristique. 

Cela n’a jamais été aussi vrai, beau et réussi que dans ce Avanti .!  On retrouve plusieurs motifs du réalisateur ici, à commencer par celui du fantasme qui finit par constituer un mimétisme troublant avec la réalité des personnages. Dans Sept ans de réflexion (1955), les rêveries adultère du héros se confronte à sa culpabilité et aussi à forme de morale en sous-texte, le fantasme n’est pas assouvi. Sous couvert loufoque dans Certains l'aiment chaud (1959), le couple Tony Curtis/Marilyn Monroe surmonte le rapprochement initial reposant sur un faux-semblant quant à l’identité de genre et le statut social pour vraiment s’aimer, tout comme le Jack Lemmon travesti pour lequel un prétendant déclame un savoureux nobody’s perfect. Dans le brillant Embrasse-moi idiot (1964) la provocation est encore plus grande puisque le faux-semblant d’une relation maritale transcende la condition sociale, la présence et l’opinion d’elle-même d’une Kim Novak passant de la prostituée à l’épouse respectable et respectée. Dans Avanti ! Wilder adapte là pour la seconde fois une pièce de Samuel Taylor (également coscénariste) après Sabrina (1954), Taylor qui fut également scénariste de Vertigo (1959), soit des œuvres là aussi de cette superposition entre fantasmes/rêves et réalité. Wendell Armbruster (Jack Lemmon) et Pamela Pigott (Juliet Mills) marchent sur les pas de leurs parents décédés, couple adultère qui se retrouvait une fois par an en Italie avant de tragiquement périr ensemble en voiture. Tout le récit les invite malgré eux à un mimétisme des disparus, qui va les amener à se révéler à eux-mêmes. 

Wilder avant cela fait feu de tout bois dans le cliché. Tout d’abord celui de l’américain pressé et conquérant se croyant maître en tout lieu, et ce dès la scène d’ouverture où il convainc un passager d’avion d’échanger ses vêtements avec lui, le départ précipité l’ayant obligé à partir en tenue de golf. Cette urgence va se confronter à la langueur latine et estivale, au rythme quotidien très personnel des Italiens : pause de midi à 16h, obligations administratives aussi alambiquées que vaines, employés distraits et nonchalants… Jack Lemmon incarne un jumeau arrogant et qui aurait réussit de son personnage de La Garçonnière (1960), l’œil constamment rivé sur le futur et les affaires qui l’attendent, au point de ne jamais prendre le temps de faire son deuil. A l’inverse Pamela se montre bien moins exubérante, effacée et à l’inverse pose un regard attendri sur le passé amoureux de sa mère puisque son présent morne n’a guère d’intérêt. Wendell est un électron libre entravé par ce cadre italien quand Pamela est à la traîne et complexée par un corps qu’elle estime trop en embonpoint. 

On pourrait dire aussi que le cliché concerne aussi toute la caractérisation des mœurs italiennes mais cela n’est pas totalement vrai. Wilder fait sa mue en estompant comme évoqué plus haut l’efficacité de la comédie « à l’américaine » pour la fondre dans le rythme et les codes de la comédie italienne qui vit alors son âge d’or. Le motif du poisson citadin hors de l’eau se confrontant aux spécificités des mœurs d’une région provinciale est typique de la comédie italienne, et Wilder en reprends plusieurs facettes en amenant ce schisme sur un terrain national. Même des éléments supposément grossiers comme la femme de chambre sicilienne à moustache et adepte du crime d’honneur correspondent totalement aux particularismes comiques (et reposant souvent sur une réalité) usités dans des grandes comédies comme Mafioso d’Alberto Lattuada (1962) ou Divorce à l’italienne de Pietro Germi (1961). Tous les seconds rôles haut en couleurs (le valet de chambre adepte du chantage) sont également des figures typiques de Wilder tout en correspondant à un canon humoristique de la Commedia all'italiana.

Tous ces éléments amènent une porosité dans la confection du film, dans la progression du récit et dans l’évolution des personnages. Les évènements les plus absurdes empêchent Wendell de quitter au plus vite les lieux, et le hasard, une volonté d’hommage aux disparus et une forme de jeu amènent le personnage à mimer les habitudes de son père au côté de Pamela. Cela ne constituera pas un carcan mais au contraire une désinhibition qui lui feront comprendre ce que recherchait son père durant ses séjours annuels, et lui fera savourer à son tour le moment présent. Wendell est contraint de ralentir et profiter, Pamela au contraire y trouve une énergie nouvelle et s’enhardit. Wilder traduit cette communion progressive des deux par de sublimes idées formelles tel cette scène de bain de soleil nus au petit matin sur un rocher, où Pamela se déleste un temps de ses complexes physiques et Wendell fort difficilement de son puritanisme anglo-saxon – tordant moment où il tente de cacher les tétons de Pamela aux marins avec ses chaussettes.

Cela passe aussi par ce mélange si beau et typique de Wilder entre quiproquos comiques et lâché prise romantique. Un concours de circonstances ans l’hôtel amène Wendell à inviter Pamela dans sa chambre, ce qu’elle prend avec joie pour une avance. La clairvoyance et les pieds sur terre d’un Wendell au courant de qu’il se passe s’oppose à la distraction d’une Pamela toujours en décalage. Dans cette séquence, Pamela dévoile ainsi ses sentiments avec maladresse avant de comprendre son erreur. Wendell jusque-là si droit et tout à ses objectifs, prend enfin le temps de la regarder et lui avouer que malgré le malentendu, il la désire bel et bien. Le rythme, le jeu des deux acteurs et l’inventivité de la scénographie (Wendell qui fait monter Pamela sur la balance pour qu’elle soit à sa taille afin de l’embrasser, l’objet symbolisant le complexe devient la marche vers l’épanouissement amoureux) font de ce moment un des sommets du film et de la carrière de Wilder. 

C’est en fait exactement le cheminement de nombre de ses comédies romantiques, mais sans la « mécanique » parfaite qui les guide habituellement. Wilder s’autorise un récit traînant (le film dure 2h24), un rythme à l’européenne plutôt qu’américain, et en définitive le brinquebalant du réel plutôt que l’efficacité de la fiction. On peut répercuter cela dans le physique des acteurs loin des stars glamours et jeunes premiers d’antan. Les corps sont imparfaits, vieillissants, et c’est ce vécu qui les rend si beaux et séduisants. Juliet Mills embellit littéralement sous nos yeux à l’écran, ses kilos en trop définissent au contraire tout son charme et ce qu’elle est. Si le talent de Jack Lemmon était déjà reconnu, c’est bien elle la révélation et le cœur émotionnel du film. Difficile d’oublier son allant, ses sourires et regards après visionnage du film. Avanti ! est un Wilder qui contrairement à ce que l'on a pu penser montre le réalisateur en prise avec son temps (le clin d'oeil parodique leitmotiv musical à l'appui du Love Story de Arthur Hiller), pour faire évoluer son fond (plus en adéquation avec la libération des moeurs) et sa forme tout en se montrant fidèle à son humour corrosif et sa tendresse romantique. La dernière scène, entre rire gras envers l'Oncle Sam et sublime adieu, est là pour le démontrer.

Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Rimini

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