Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

vendredi 13 décembre 2024

Conte cruel de la jeunesse - Seishun zankoku monogatari, Nagisa Oshima (1960)


 Makoto use de son charme pour se faire raccompagner chez elle par des quadragénaires lors de ses sorties nocturnes. Lorsqu'un soir, l'un d'entre eux tente de la ramener de force à son hôtel, l'arrivée de Kiyoshi, un étudiant délinquant, lui permet d'échapper au pire. Désormais attachés l'un à l'autre, Makoto et Kiyoshi entament une relation amoureuse ambiguë et troublée par les accès de violence de ce dernier...

Second film de Nagisa Oshima, Conte cruel de la jeunesse est une œuvre faisant office de véritable manifeste de la Nouvelle Vague Japonaise. C’est le film qui entérinera le terme pour ce courant, notamment par le fait qu’il soit produit au sein du studio Shochiku, vrai terreau de cette Nouvelle Vague en lançant parallèlement des cinéastes comme Masahiro Shinoda ou Yoshishige Yoshida. Néanmoins plusieurs films sortis à la fin des années 50 peuvent y être associés, tant les thématiques en posent les fondations, notamment dans la description d’une jeunesse rebelle et/ou en plein doute comme Passions juvéniles de Ko Nakahira (1956), Les Baisers de Yasuzo Masumura (1958).

Ces éléments se retrouvent donc dans Conte cruel de la jeunesse, récit d’une romance tumultueuse dans un Japon aux abois. L’un des grands élans rassembleur de la défiance de cette jeunesse japonaise est politique, notamment l’opposition des étudiants aux côtés des travailleurs pour protester contre la ratification du traité de sécurité américano-japonais. Oshima semble y faire allusion indirectement et globaliser ce climat de défiance de la jeune génération en montrant des images d’actualités d’émeutes d’étudiants coréens à Séoul. La dimension politisée de Conte cruel de la jeunesse est cependant plus implicite mais bien réelle. 

La superbe photo couleur de Takashi Kawamata donne à voir une atmosphère estivale radieuse lors des scènes de jours, magnifie les nuits illuminées de néons et capture l’énergie festive des bars pour instaurer une tonalité hédoniste à souhait. Ces espaces sont pourtant le théâtre de déambulations d’une jeunesse ne sachant pas où elle va, ou plutôt sachant très bien où elle ne veut pas aller avec Makoto (Miyuki Kuwano) retardant les retours chez elle en se faisant raccompagner en voiture par des hommes mûrs libidineux et prompts à faire un détour pour la posséder. Le film s’ouvre sur un de ses voyages périlleux et prêt à mal tourner, avant que Kiyoshi (Yūsuke Kawazu), étudiant, arrache Makoto à son agresseur.

A cette errance géographique se fait existentielle dans l’incapacité de Kiyoshi et Makoto de s’aimer de manière paisible, formant ainsi un couple toxique. Kiyoshi ne sait témoigner son amour que par une domination violente, s’attachant les sentiments de Makoto après deux viols et cette dernière ne s’abandonnant à lui qu’après ces agressions, « témoignages » d’amour selon elle. Mais que fuient-ils exactement ? L’ensemble du monde des adultes ne leur renvoie qu’un reflet de violence et de renoncement. La liberté morale et sexuelle assumée par Makoto suscite l’envie de sa sœur aînée Yuki (Yoshiko Kuga) que son propre passé complexe empêche de poser des garde-fous à sa cadette. Les adultes paraissent ainsi impuissants à l’image du père, effectivement envieux pour ce qui est des jeunes adultes (la directrice de l’école renonçant à réprimander Makoto de son attitude pour regretter ne pas avoir connu pareille liberté de son temps), ou prêt à croquer dans cette chair juvénile à l’image de tous les nantis hommes ou femmes mûrs et amants occasionnels de nos héros moyennant finance.

Les modèles n’existent plus, la société n’a aucune perspective à offrir, invitant Kiyoshi et Makoto à une vie de sexe et de larcins par lesquels ils profiteront des travers des adultes. Oshima désamorce toute velléité romantique dans sa mise en scène et les situations. Une sortie ensoleillée en mer du couple pose les bases nocives de leur relation, l’acte héroïque initial de Kiyoshi perd de sa force en étant reproduit et scénarisé pour voler quidam, et même sa défense sincère de Makoto face à trois voyous débouche sur une rixe sans gloire. Le réalisateur oscille entre un style figé étouffant par lequel l’étirement des scènes fait grimper le malaise (une séquence alcoolisée où de cruelles vérités sont prononcées) et une esthétique plus confuse et mouvementée notamment durant les bagarres, métaphore de l’état d’esprit chaotique des personnages.

La dernière partie pousse jusqu’au bout ce nihilisme, avec l’exemple d’un heureux recommencement volant en chez les adultes lors d’une séquence sordide. S’ils ne peuvent s’aimer ensemble sereinement, Makoto et Kiyoshi choisiront de se rejoindre dans la mort en se consumant chacun de leur côté de façon irrémédiable. La radicalité de cette conclusion traduit autant la nature définitive de ce désespoir que l’ardeur de l’amour unissant le couple, même si de façon terriblement morbide par un saisissant plan final. 

Sorti en bluray français chez Carlotta

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire