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dimanche 15 décembre 2024

La Force des ténèbres - Night Must Fall, Karel Reisz (1964)


Danny, psychopathe et assassin, s'introduit dans une famille bourgeoise de la banlieue londonienne, non loin du théâtre de son dernier acte de barbarie. Peu de temps après son arrivée dans la somptueuse demeure, le jeune homme, qui a séduit la servante, devient l'amant d'Olivia, la fille de la maison. La jeune femme, aussi belle que névrosée, est étouffée par l'affection débordante d'une mère sénile et paralysée.

Second long-métrage de Karel Reisz, La Force des ténèbres reforme l’association avec Albert Finney, l’acteur qu’il révéla avec le succès de son célébré Samedi soir, dimanche matin (1960). Le film est la seconde adaptation de la pièce de Clive Exton après celle, hollywoodienne réalisée en 1937 par Richard Thorpe avec Robert Montgomery. On peut deviner ici en partie l’attrait de Karel Reisz pour cette histoire, avec son héros fantasque et excentrique dont la folie douce permet de fuir ses angoisses. C’était déjà l’emploi d’Albert Finney dans Samedi soir, dimanche matin en prolo rigolard surmontant sa condition sociale par la désinvolture. Reisz renouera plusieurs fois avec ce type de personnage, notamment dans Isadora (1968) où cette folie douce sert une quête d’absolu artistique, et le génial Morgan (1966) avec son amoureux farfelu cherchant en reconquérir sa belle par l’excès.

La présence d’Albert Finney dans ce type de protagoniste ramène donc aussitôt au souvenir de Samedi soir, dimanche matin. Danny (Albert Finney), par un sourire en coin, une grimace, un sens de la répartie hilarant, sait donc se mettre n’importe qui dans la poche. Il sait adoucir les personnalités les plus revêches, à la manière dont il conquiert l’acariâtre Madame Bramson (Mona Washbourne), la patronne de sa petite amie qu’il a mise enceinte. Il parvient aussi, par un mélange de rudesse et de séduction, faire ressortir la nature extravertie et lascive de la plus discrète Olivia (Susan Hampshire), vieille fille recluse dans la banlieue londonienne au domicile de sa mère. Au premier abord rien de fâcheux, sauf que la scène d’ouverture nous a montré un assassinat particulièrement sauvage exécuté par Danny, puis la manière détachée dont il s’est débarrassé du cadavre.

La recherche de la victime par la police dans la campagne anglaise forme une toile de fond lugubre à l’intrigue durant laquelle Danny s’immisce dangereusement dans le quotidien de Madame Bramson et sa fille. Albert Finney amène avec brio une dimension névrotique et inquiétante à la bonhomie de son personnage de Samedi soir, dimanche matin. La moindre pitrerie pour amuser la galerie paraît trop forcée pour ne pas être teintée d’ambiguïté, et cette dualité flatte également les bas-instincts de ses interlocuteurs. Karel Reisz s’attarde lourdement sur la tendresse se voulant maternelle de Madame Bramson pour Danny, mais quelques regards trop insistants et des rictus grossiers trahissent un désir moins avouable pour la vieillarde à la libido ravivée. 

La timidité plus que la peur d’Olivia à repousser les avances de Danny sert tout autant de révélateur, Reisz travaillant de surprenantes ruptures de ton. Ainsi à une scène de quasi-agression de Danny sur Olivia succède un moment rieur durant lequel tous deux s’amusent en conduire avec frénésie leur scooter et voiture dans le jardin. Plus tard Danny va de nouveau adopter une attitude trouble entre la brutalité et le jeu envers sa fiancée Dora (Sheila Hancock), les chatouilles et l’étreinte provoquant une réaction insaisissable chez la victime à la fois amusée, excitée et craintive. 

Il ne s’agirait cependant pas de prendre Danny pour une sorte de mâle alpha, son excentricité est le masque d’une personnalité torturée dont Reisz se garde bien de dévoiler les origines – tout en distillant quelques indices. La soudaine présence d’un autre homme avec le fiancé d’Olivia semble lui faire perdre de sa superbe, et lorsque ses bienfaitrices sortent du rôle dans laquelle son attitude les a assignés, il se liquéfie de la même façon, notamment lors des scènes où il est seul, sans "public" devant lequel parader. Madame Bramsom reprend ainsi par intermittences le ton autoritaire et dominant de sa classe sociale, Olivia échappe à ses approches insistantes. Albert Finney compose un protagoniste tout en tics maniérés, à la fois agresseur et victime, se retenant jusqu’à un certain point de faire le mal et cherchant paradoxalement à être puni.

La dernière partie nocturne et pluvieuse laisse donc se dévoiler les maux de façon plus crue, tant dans la violence physique que psychologique. Danny vainc sur le plan de la première mais se liquéfie au niveau de la seconde quand Olivia l’affronte droit dans les yeux, sans crainte mais avec pitié et un profond mépris. L’ultime scène est alors une pure perte de pied qui préfigure la conclusion fameuse de L’Etrangleur de Boston de Richard Fleischer (1968), avec cet environnement immaculé de blanc (somptueuse photo de Freddie Francis) signifiant la prison mentale de Danny dont les derniers verrous rationnels ont sauté. 

Vu lors de la rétrospective consacrée à Karel Reisz à la Cinémathèque française, et sorti en dvd zone 1 chez Warner sans sous-titres 

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