Neuf soldats Américains de la garde Nationale partent effectuer une marche de reconnaissance dans une région sauvage et marécageuse de la Louisiane. Perdus dans les dédales d'un labyrinthe oppressant, ils deviennent tour à tour la proie des étranges et invisibles habitants de ces marais (les Cajuns) qui leur livrent une cruelle chasse à l'homme.
Après deux premières réalisations marquées par l’individualisme de leur héros solitaire et taciturne (Le Bagarreur (1975) et Driver (1978)), Walter Hill allait signer trois films consécutifs s’inscrivant dans une logique de groupe avec Les Guerriers de la nuit (1979), Le Gang des frères James (1980) et Sans retour (1981). Si les trois films partagent cette dynamique de collectif, ils sont bien dissemblables dans le fond et la forme. Les Guerriers de la nuit transpose un postulat potentiel de western dans une urbanité contemporaine et stylisée, notamment les contours pop et comics-book dégagés par l’extravagance du look des différents gangs. Le socle émotionnel fonctionne par la fougue juvénile et les amitiés viriles qu’installent l’écriture efficace de Walter Hill sous le côté bariolé. Le Gang des frères James se situe à l’autre bout du spectre en étant un pur western, par son inspiration réaliste et sa volonté de pousser cette notion de groupe à son paroxysme à travers son choix de dépeindre des fratries à l’écran interprétées par d’authentiques fratries en coulisse (les Carradine, les Keach, les Quaid et les Guest). Après avoir inscrit le groupe dans son pendant soudé selon un mythe moderne et bariolé (Les Guerriers de la nuit) puis complexifié la chose en oscillant entre le conflit et les liens du sang dans un authentique mythe de l’Ouest (Le Gang des frères James), Walter Hill va emprunter une troisième voie passionnante dans Sans Retour.
L’idée du film naît entre Walter Hill et son associé/coscénariste David Giler lorsqu’ils décident d’étendre à un récit entier l’arrière-plan d’une péripétie de Le Bagarreur se déroulant en Louisiane, au sein de la communauté Cajun. L’argument sera de montrer des protagonistes pris au piège par les Cajuns dans un récit qui rappellera forcément le Délivrance de John Boorman (1972), mais duquel Walter Hill va brillamment réussir à se démarquer. Après la célébration fantasmée du groupe dans un présent pop puis dans un passé mythique, place à sa dislocation dans l’épure moite de la Louisiane sauvage. Walter Hill était conscient de l’allégorie à la guerre du Vietnam que ne manquerait pas de relever critiques et spectateur, et va d’ailleurs en partie en jouer par certains partis-pris esthétiques comme la photo de Andrew Laszlo s’inspirant de clichés de la guerre de Corée. Cinéaste frontal et avare en afféteries thématiques, Hill ne laisse exister cette interprétation que par la caractérisation des personnages et sa mise en scène, jamais par un propos inutilement appuyé. Les gardes nationaux par leur inexpérience, leur impréparation dans cet environnement et leur irrespect envers les locaux, sont ainsi facilement assimilables à des bleus parachutés au Vietnam ou un front quelconque. L’introduction, sous couvert d’humour et d’un semblant de comédie de régiment, dessine toutes les fêlures du groupe par son observation du machisme, sexisme et homophobie latente de certains. La boussole morale fragile que représente l’autorité du plus haut gradé (Peter Coyote) étant rapidement éliminée, les défauts entrevus ne demanderont qu’à s’exacerber dans l’adversité et face à un danger invisible. Walter Hill fait des garde nationaux les seuls responsables de leurs pertes, et ajuste l’environnement à leur dérive mentale. Plus le film avance, plus les plans larges et l’imagerie privilégiant les grands espaces s’estompe, notamment celle du groupe remontant le lac dans les pirogues. Par la suite, le labyrinthe à ciel ouvert de la forêt égare géographiquement comme mentalement les personnages, jouant de la similarité des différents lieux de cette nature humide et sans fin. Les Cajuns sont des silhouettes anonymes et fantomatiques qui au premier abord semblent filmées comme les indiens dans le western américain d’avant les années 50. Ce serait un mauvais procès car nous sommes davantage ici proche du traitement d’un John Carpenter, la nature abstraite des assaillants n’est là que pour mettre en lumière les démons agitant les gardes nationaux, dans leur stupeur terrorisée pour la catatonie de Bowden (Alan Autry), l’hystérie de Simms (Franklyn Seales) ou la violence froide de Reece (Fred Ward). Walter Hill renoue avec le tempérament « maverick » de ses personnages de Le Bagarreur et Driver avec Spencer (Keith Carradine) et Hardin (Powers Boothe). Tout deux font preuve d’un recul différent, celui entretenant une distance lucide et responsable face aux évènements (Spencer), et celui tristement trop habitué à la bêtise humaine et tentant de survivre tant bien que mal (Hardin). Cela confère un équilibre intéressant entre le tempérament désabusé de l’un et celui plus philosophe de l’autre, mais les rendant tout deux plus aptes à réagir que leurs compagnons bien plus instables. La mise en scène et le montage accompagnent ces sentiments contradictoires, le jeu sur les ralentis notamment qui par l’étirement de l’action renforce la sidération et la terreur agitant les personnages au fil de leurs sanglantes déconvenues. La dernière scène dans le village cajun par son montage alterné entre une scène de fête et un sanglant règlement de compte est à ce titre particulièrement impactante, matérialisant enfin l’objet de la terreur et lui opposant cette fois la résistance des deux protagonistes les plus équilibrés. Jusqu’à une ultime image marquante, Walter Hill nous aura fait ressentir par une fascinante économie de moyen que les menaces que les Etats-Unis sont partis défier à l’extérieur son avant tout intérieures, dans une dimension topographique, sociologique et mentale.Sorti en bluray français chez L'Atelier d'Image
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire