Deux fils de l'entreprise Mihara où ils sont directeurs se marient avec leurs secrétaires respectives, les soeurs Nonomiya. Chez les Mihara, il reste un cadet, Saburo, et chez les Nonomiya, une cadette, Kyoko. Les familles tentent un mariage arrangé malgré le refus des deux enfants.
Femme de champion est une œuvre se situant entre les deux pôles du Yasuzo Masumura première manière, soit le mélange entre la veine sociale, romantique et juvénile de Les Baisers (1957) et Jeune fille sous le ciel bleu (1957), et du ton plus caustique et bariolé inscrit dans le Japon capitaliste moderne de Géants et jouets (1958). C'est tout d'abord la veine cynique qui domine lors de la scène de mariage d'ouverture célébrant la seconde union entre une fille Nonomiya, d'extraction modeste, avec un dirigeant de la prestigieuse entreprise Mihara. Le supposé progressisme du rapprochement social de ces mariages (contredisant les mélodrames où le schisme social empêchait au contraire ce type de rapprochement) est contrebalancé par la mécanique intéressée d'une entreprise où les sentiments ont très peu leurs places. Momoko (Yatsuko Tan'ami), la sœur aînée des Nonomiya voit son mariage comme un simple marchepied social et un processus qu'elle a réussi à reproduire pour sa cadette, passée elle aussi de secrétaire à épouse d'un fils Mihara. Dès lors son objectif sera de réitérer une troisième fois ce schéma en mariant la petite dernière Kyoko (Ayako Wakao) au cadet des Mihara, Saburo (Hiroshi Kawaguchi).
Alors que la logique plus économique qu'amoureuse des deux premiers mariages en cimente les bases de façon calculée (la discussion des deux sœurs sur le fait de rapidement faire un enfant pour "piéger" leurs maris), ce sont paradoxalement les vrais sentiments que l'on devine entre Saburo et Kyoko qui freinent un rapprochement - ainsi que le poids du regard extérieur représenté par le beau personnage de père honteux de la "réussite" de ses filles. Les deux jeunes gens sont complices et peu dupes de la comédie cherchant à les lier, et cherche à tracer leur propre chemin quitte à fuir l'amour que l'on devine entre eux. Masumura observe à la fois la pression familiale et la comédie humaine pour favoriser les unions, mais aussi le théâtre que constitue le monde de l'entreprise, véritable agence matrimoniale larvée où hommes et femmes recherchent un époux davantage que l'avancement. Si dans Géants et jouets l'esthétique pop et sous influence anglo-saxonne moquait une certaine idée du capitalisme, Femme de Champion entrecroise dans son vernis de modernité la réalité de relations amoureuses plus libres ne subissant le diktat familial, mais reposant paradoxalement toujours sur un schéma patriarcal avec ces femmes cherchant un "bon parti" plutôt que s'accomplir professionnellement. On s'amuse ainsi beaucoup du marivaudage amoureux se jouant dans les commérages, les invitations des un(es) et des autres épiées par les prétendant(e)s jaloux, entre la promiscuité des bureaux et les bars voisins du quartier de Ginza superbement reconstitués en studio.
La facticité des sentiments dans cette institution du mariage (l'absence de communication et l'adultère au sein du couple Momoko/Chiro) tout comme les jeux de chaises musicales des employés de bureau dessine donc un univers peu enviable, mais la manière dont Kyoko et Saburo survolent avec amusement ces injonctions codifiées offre un ailleurs ludique parfaitement incarné par la jeunesse des deux acteurs, notamment une étincelante Ayako Wakao - pas encore passée dans sa phase séductrice sensuelle et sacrificielle chez Masumura. On est vraiment dans l'anti-Ozu dans cette manière de ne pas céder (même avec douceur) à la tradition et ce n'est que la contrainte inverse de céder à l'union moderne (tout aussi oppressante et dépourvue de sentiments) qui obligera notre couple à s'ouvrir l'un à l'autre sur le fil. Malgré la boucle que semble offrir la dernière scène par rapport à la première, quelque chose a donc désormais changé et rend les mariés plus maîtres de leurs destins.
Sorti en combo bluray/dvd français chez Jokers
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