Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Jeune fille sous le ciel bleu - Aozora musume, Yasuzo Masumura (1957)
Une jeune fille, élevée à la campagne à la
différence de ses trois frères et sœurs, s'apprête à rejoindre sa
famille à Tokyo quand elle apprend une nouvelle qui va bouleverser sa
vie.
Deuxième film de Yasuzo Masumura, Jeune fille sous ciel bleu est déjà une œuvre intermédiaire dans la carrière du réalisateur. L'inaugural Les Baisers
(1957) avait constitué une démonstration de l'influence européenne de
Masumura et notamment le courant du néoréalisme rose italien, tout en
s'inscrivant dans le courant japonais du taïo-zoku (« saison du soleil
»). Ce terme désigne une série de films japonais des années 50 se
penchant sur les préoccupations adolescentes entre mélancolie et
hédonisme en faisant le pendant nippon d'œuvres occidentales comme Monika d'Ingmar Bergman (1953) ou Les Adolescentes d'Alberto Lattuada (1960). Jeune fille sous ciel bleu est dans cette veine et peut être considéré comme le pendant lumineux (l'usage de la couleur accentuant cet aspect) de Les Baisers
dont il partage le thème d'avoir des enfants marqués par les erreurs
passées de leurs parents. La jeune Yuko (Ayako Wakao) apprend de sa
grand-mère mourante les raisons pour lesquels elle a été élevée à la
campagne, loin de sa famille et de ses frères et sœurs. Elle est une
enfant illégitime, fruit des amours de son père et de sa secrétaire.
Désormais installée chez cette famille à Tokyo elle va se confronter à
la rancœur de sa belle-mère ainsi qu'à l'hostilité et la jalousie de ses
demi-frères et sœurs.
Le film est porté par la prestation attachante d'Ayako Wakao encore
innocente face à la caméra de Masumura avant les collaborations plus
troubles et sensuelles à venir dans Passion (1964), Tatouage (1966), L'Ange Rouge (1966) ou La Femme de Seisaku
(1965). Sa conviction et la vulnérabilité qu'elle dégage éveille une
empathie de chaque instant, tout en ayant une personnalité affirmée lui
permettant de faire face dans une résignation taiseuse à tous les
obstacles sur son chemin. Néanmoins le film ne parvient pas tout à fait,
faute d'une vraie noirceur ou d'une romance plus convaincante, à égaler
l'émotion et la portée mélodramatique de Les Baisers.
L'intérêt réside donc à observer encore timides ici, les éléments qui
feront la réussite des films à venir de Masumura. La découverte de
l'urbanité tokyoïte par de la provinciale Yuko nous fait découvrir la
tentaculaire ville de néons, sa population grouillante et sa vie
nocturne à travers des instantanés de toute beauté.
L'agitation du
quartier de Ginza, les lumières tamisées d'un bar à hôtesse, l'énergie
d'un salon de danse, tout cela est capturé avec une élégance rare par la
caméra de Masumura et une superbe photo stylisée de Michio Takahashi.
Cette modernité accompagne aussi les loisirs occidentalisés des frères
et sœur de Yuko, féru de jazz qu'ils jouent en groupe ou adepte des
après-midis de ping-pong (ce divertissement-là recouvrant une facette
plus traditionnelle puisque prétexte à chercher un mari parmi les
joueurs issus de bonnes familles). Toute cette touche hédoniste et
contemporaine gagnera en regard critique et sordide dans Géants et
jouets (1958) ou Black Test Car (1962) annoncés ici par le cadre des
corporations où évolue le père, le métier de dessinateur publicitaire de
l'ancien instituteur. Le cadre familial et plus précisément conjugal
nourrit de non-dits et de rancœurs annonce les cadres étouffants et les
couples dysfonctionnels de Passion, La Femme de Seisaku ou La Femme du Docteur Hanaoka (1967).
Masumura à l'image de la candeur de son héroïne ne fait cependant
qu'effleurer le potentiel plus inquiétant de ces différents éléments. On
est ici dans un registre de bienveillance exprimé par ce leitmotiv de
toujours chercher du regard le bleu du ciel, quelques soient les maux et
situations rencontrées. Observer ce ciel bleu ou le faire apparaître
intérieurement en fermant les yeux, telle est la leçon de vie pour Yuko
qui au bout du chemin retrouvera ses racines et rencontrera l'amour. On
trouvera sans doute cela un peu lisse par rapport à Les Baisers et les réussites à venir mais Jeune fille sous le ciel bleu est une œuvre de transition prometteuse et attachante.
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