À New York, dans les années 20, une femme noire voit sa vie bouleversée lorsqu'elle retrouve une ancienne amie d'enfance qui se fait désormais passer pour blanche.
On pourrait croire que la production d’un film comme Clair-Obscur relève grandement du contexte de contestation actuelle dans le sillage du mouvement Black Live Matters, mais ce n’est qu’à moitié vrai. Clair-Obscur, et surtout sur l’on s’appuie sur son titre original Passing, s’appuie justement sur le phénomène culturel du passing qui vit lors de la ségrégation raciale certaines femmes noire à la peau suffisamment claire pour passer pour blanche s’immiscer dans cette couche plus nantie de la société. Ces faits vont nourrir une certaine tradition tout d’abord littéraire américaine notamment avec le roman Imitation of Life de Fannie Hurst publié en 1933 ou justement Passing de Nella Larsen paru en 1929 et dont est adapté Clair-Obscur. Sous le progressisme des sujets une certaine ambiguïté entourait ces œuvres puisque ses femmes noires ayant voulut transcender leur condition y connaissait le plus souvent un destin dramatique leur faisant endosser le statut de mulâtresse tragique. Cette tradition se prolonge dans les adaptions cinématographiques de ces livres ou dans les films abordant le sujet comme les deux versions de Mirages de la vie (John Stahl (1934), Douglas Sirk (1959)), des œuvres comme Cœurs insondables de Robert Stevenson (1951, Show Boat de George Stevens (1951) ou encore L’Héritage de la chair de Elia Kazan (1949) qui se distingue par le fait que son héroïne se détourne de la tentation de se faire passer pour blanche pour rester avec les siens.
Clair-Obscur s’inscrit donc dans cet héritage tout en en offrant des variantes subtiles. Le film s’ouvre sur Irene (Tessa Thomson) jeune femme noire s’offrant un passing furtif le temps d’une après-midi où elle s’installe notamment dans un salon de thé réservé aux blancs. C’est là qu’elle va croiser Clare (Ruth Negga) une amie d’enfance pour lequel le passing est concrétisé puisqu’elle est mariée à un riche homme blanc ignorant ses origines. En apparence Irene pourrait passer pour celle qui est restée digne et a accepté sa race et son place dans la société, tandis que Clare plus vénale a choisit le mensonge pour accéder à un statut social plus élevé. Le spectateur connaissant mélodrames classiques évoqués plus haut pourrait être surpris et déçu au premier abord par le rang social de Irene, vivant certes dans le quartier noir de Harlem mais épouse de médecin et habitant une maison cossue qui l’inscrit dans une sorte de bourgeoisie afro-américaine. L’enjeu est donc moins crucial que pour les pauvresses de Douglas Sirk ou Elia Kazan où passer pour blanche était un véritable passeport pour échapper à la misère. C’est pourtant là toute la subtilité du film, Irene a un rang plus élevé que la moyenne des afro-américains mais sa couleur de peau la situe finalement à un étage de la condition plus aisée qu’elle pourrait occuper en passant pour blanche. Sa dignité est en grande partie de façade tandis que la mise en scène de Rebecca Hall ne cesse de souligner sa frustration contenue. La répétition des travellings la suivant quand elle rentre chez elle traduise la monotonie de son quotidien, le montage, les cadrages et les compositions de plans ne cessent de l’isoler au sein du foyer familial dont elle semble extérieure. Le déni feutré de sa condition se devine à travers les dialogues où elle suggère à son époux d’aller vivre à l’étranger, où lorsqu’elle s’oppose à lui quand il cherche à évoquer à leurs enfants la réalité de la société ségrégationniste dans laquelle ils vivent tandis qu’elle veut les maintenir dans un cocon - notamment par le privilège blanc par excellence, les envoyer en pension en Suisse. A l’inverse Clare étouffe littéralement dans son identité factice d’aristocrate blanche, et profite de ses retrouvailles avec Irene pour revenir s’immiscer dans la vie nocturne de Harlem, ses dîners mondains et autres soirées dansantes. Clare dispose à la fois du naturel et bagout de la femme noire qui la rend complice avec tout le monde, mais aussi de l’aisance naturelle et du port de la femme blanche ce qui lui amène une distinction supplémentaire. Irene observe ainsi les mensonges de son amie et plusieurs dialogues sous-entendent un regret latent de ne pas avoir « passée » à son tour quand elle le pouvait. Clare souffre d'avoir perdue ses racines, Irene à l'opposé rumine d'y être réduite. Tout le film navigue dans une atmosphère feutrée (portée par la somptueuse photo noir et blanc d'Eduard Grau) et teintée de non-dits même si certains dialogues s’avèrent parfois trop explicatifs alors que le jeu subtil des deux actrices fait magnifiquement passer toutes les nuances. C’est l’occasion d’observer des éléments peu abordés au cinéma comme la collusion entre les bourgeoisies américaines blanches et noires, et une illustration de ce que l’on a appelé la « Renaissance de Harlem » soit l’émergence dans l’entre-deux guerre d’une bourgeoisie noire dans le quartier créant un vrai vivier culturel et artistique dont le roman Passing est justement le produit tout en en faisant le portrait. Une position qui amène d'ailleurs une condescendance envers leurs congénères pauvres qui les rapprochent de l'oppresseur blanc, notamment lorsque le mari d'Irene se plaint de la saleté de ses malades.Le film sort donc des sentiers battus en offrant un regard nouveau sur ce sujet, même si la conclusion abrupte retombe cependant dans la tradition de la mulâtresse tragique. C’est en tout cas une première réalisation prometteuse pour l’actrice Rebecca Hall sur un sujet qui devait lui tenir à cœur puisque son grand-père afro-américain dû également à son époque se faire passer pour blanc.
Disponible sur Netflix
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