Thomas, la cinquantaine, père de famille, arrive par hasard dans la ville de son enfance. Pris d'un malaise, il se réveille quarante ans plus tôt, dans son corps d'adolescent. Projeté dans le passé, il va non seulement revivre son premier amour, mais aussi chercher à comprendre les raisons du mystérieux départ de son père. Mais peut-on modifier son passé en le revivant ?
Jiro Taniguchi, par son trait influencé par la ligne claire européenne et l’universalité de ses œuvres les plus fameuses, s’est imposé comme une vraie porte d’entrée au manga auprès d’un public néophyte et plus adulte. Le mangaka est d’ailleurs plus populaire en France que dans son pays d’origine et c’est tout naturellement que ses mangas se prêtent idéalement à des adaptations occidentales. On a pu le constater très récemment avec le magnifique film d’animation français Le Sommet des dieux (2021), et avant cela il y eut donc ce Quartier Lointain adapté par Sam Gabarski. L’idée du manga vint à un Taniguchi qui, l’âge mûr venant, se demanda ce qu’il aimerait changer de son passé et la trajectoire parallèle qu’il aurait éventuellement aimé prendre dans sa vie. Dans Quartier Lointain, cette question concerne autant le héros adulte ramené à ses quatorze ans où il fut marqué par le départ du foyer de son père, que ce même père se détournant de sa famille pour vivre un destin qu’il désire vraiment.
Sam Gabarski dans sa mise en place allie une grande fidélité aux cases de Taniguchi dans les situations, compositions de plans et éléments thématiques introduits avec concision. En quelques plans, la distance de Thomas (Pascal Greggory) à sa famille et son sentiment de solitude sont superbement retranscrits, ajoutés à l’excellente idée d’en faire un auteur de bd (alors qu’il n’était qu’un salaryman ordinaire dans le manga. Dès lors sa vie personnelle morne se conjugue à son inspiration asséchée dans son art jusqu’à cette erreur de trajet qui le ramène dans le village de son enfance puis à sa condition d’adolescent en 1963. Sam Gabarski transpose donc le récit dans un contexte passé typiquement français où au-delà de la reconstitution soignée, la nostalgie ne repose pas sur l’apparat vintage. La photo de Timo Salminen est baignée d’une teinte immaculée qui se mêle aux mouvements de caméra lents de Gabarski qui confèrent à l’ensemble une atmosphère flottante de rêve éveillé accentuée par la bande-originale aérienne et hypnotique de Air.Le but est d’accompagner le sentiment de sidération du jeune Thomas (Léo Legrand), choqué et ému de retrouver un père qu’il n’a jamais revu, et une mère morte jeune de chagrin après le départ de celui-ci. Sam Gabarski conclut d’ailleurs chaque scène par un long fondu au noir, comme un sommeil dans lequel on plonge lentement en espérant se réveiller de retour à sa réalité, sa temporalité d’adulte. Cette bascule ne s’effectuant pas, Thomas décide alors de comprendre et d’empêcher le drame qui bouleversa son enfance, le départ de son père. Alors que Taniguchi s’attardait plus longuement au retour en adolescence du héros et amenait les explications plus tardivement, cette angoisse de la perte est un véritable fil rouge du film. La mise en scène isole le père de sa famille que ce soit dans les cadrages, les situations (ces dimanches où il se rend seul à la pêche sans pêcher) et le jeu fragile et fuyant de Jonathan Zaccaï. L’acteur avait d’ailleurs refusé dans un premier temps le rôle car il était pour lui impossible d’effectuer pour son personnage le transfert de sentiment qui l’amènerait à abandonner sa famille. C’est justement ce déchirement qui a intéressé Sam Gabarski qui a demandé à l’acteur de le traduire dans sa prestation et cela fonctionne à travers ce père réellement aimant, mais consciemment pas à sa place dans une vie qu’il n’a pas choisie, imposée par les circonstances. L’apport du film est d’également enrichir le personnage de la mère (Alexandra Maria Lara), Thomas ayant été particulièrement marqué par le dépérissement et la mort prématurée de sa mère. On observe ainsi une femme au foyer des années 60 ne vivant que pour les tâches quotidiennes sans penser à elle, et que Thomas tente constamment d’étendre le regard et les envies. La tendresse gestuelle de l’adolescent se nourrit de cela car en esprit il n’est pas à cet âge (et époque) où pour s’affirmer en tant que garçon il fallait s’émanciper de tout sentiment trop visible. On pense notamment à ces moments tout simples il danse avec elle, où lorsqu’il l’incite à sortir faire une promenade ce à quoi elle lui réplique « On n’est pas dimanche » comme si l’évasion se limitait à ce jour. La famille est une prison qui s’ignore pour elle, tandis que son époux n’en est que trop conscient. Le réalisateur traduit dans un contexte français le sentiment que tout enfant et notamment garçon a pu ressentir à cette période avec une figure de père taiseuse, n’exposant pas ses sentiments et symbole d’autorité avant tout. Thomas passe le film à percer le mystère de ce père à travers de magnifiques séquences de non-dits qui ne rendent que plus belles les instants de confessions qui annoncent malheureusement l’inéluctable séparation (la partie de pêche, l’entrevue nocturne dans la chambre, l’adieu à la gare…). Gabarski privilégie plus le cadre éphémère du cocon familial (la relation avec la petite sœur étant aussi beaucoup tendre et bienveillante que dans le manga) et rend plus anecdotique l’arrière-plan adolescent même s’il le rend moins pudibond que le manga avec une jeune fille plus féminine et entreprenante envers Thomas – et les questionnements potaches et sexuels des garçons plus marqués. Le jeune Léo Legrand est particulièrement convaincant, traduisant à merveille la réserve sage et les interrogations de l’adulte dans le cadre familial, et le dédain de se même adulte confronté de nouveau à un cadre autoritaire notamment scolaire. Le regard et la mélancolie de ses traits juvéniles font harmonieusement le lien avec son incarnation adulte par Pascal Gregorry malgré le peu de ressemblance physique. Le film fut tourné dans le village de Nantua (dans le département de l'Ain et région Auvergne-Rhône-Alpes) et Sam Gabarski en exploite superbement l’urbanité rurale et les somptueux environnements naturels qui contribuent grandement au sentiment d’ailleurs, à l’atmosphère contemplative et introspective qu’instaure le film – et disons-le encore la musique de Air fait décoller les images avec une puissance rare. Si l’on ne peut changer le passé, sa compréhension saura nourrir ce qui peut être corrigé dans le présent à travers une belle conclusion où notre héros retrouve l’apaisement et l’inspiration dans sa famille et son art. Un beau film qui fait honneur au manga d’un Taniguchi (qui se fend d’une petite apparition) qui manifesta d’ailleurs son admiration devant cette adaptation à la fois fidèle et personnelle.Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side et le manga est édité chez Casterman
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