Un vieillard qui a gardé le goût de l'amour
s'éprend de sa belle-fille, ancienne danseuse de music-hall à la morale
assez libre. Avec beaucoup d'intelligence, elle profite de son beau-père
pour lui arracher des libéralités extravagantes et mener une vie de
luxe. En compensation, elle lui accorde des privautés savamment limitées
et le maintient dans une excitation qui s'exaspère d'autant plus
qu'elle ne peut aboutir qu'à de lamentables démonstrations...
Journal d'un vieux fou est l'adaptation
d'un des derniers romans de Jun'ichirō Tanizaki. L'œuvre de l'auteur se
partage en plusieurs période. D'abord une première sous influence de la
culture occidentale émergente au Japon où le style et les thèmes du
jeune homme qu'il se caractérise par une volonté de modernité. Marqué
par le tremblement de terre du Kantô en 1923, Tanizaki bascule ensuite
dans une veine célébrant les valeurs traditionnelles du Japon en
opposition à cette influence occidentale, notamment dans un roman comme
Un amour insensé paru en 1924 - et adpaté bien plus tard par Yasuzo Masumura dans La Chatte japonaise (1967). Il signera également des œuvres plus
poétiques mais fera face à une censure féroce durant la guerre où son
style s'oppose aux virilistes et patriotiques attente du régime.
L'Après-guerre est celui du renouveau où son écriture se libère pour
aborder plus explicitement les thèmes du sexe, du désir et du fantasme
comme dans le très provoquant La Clé paru en 1956 - là aussi revisité plus tard par Tinto Brass dans le film éponyme (1983). Journal d'un vieux fou
est un roman marqué par la santé déclinante de Tanizaki où sans se
départir de son humour il scrute son désir intact face à la vieillesse,
ravivé par les provocations autorisées par ce Japon contemporain où les
mœurs se libère.
L'ouverture du film se distingue par le fait de longuement retarder du
patriarche Utsugi (Sô Yamamura) pour d'abord introduire les membres de
la famille. Les cadres, composition de plan et caractérisation des
personnages laissent l'impression factice d'une imagerie à la Ozu des
dernières œuvres en couleurs. Pourtant les petits égoïsmes et la
mesquinerie ordinaire se dévoile progressivement dans certaines
attitudes comme le fils venu au chevet de sa mère ayant fait une
mauvaise chute qui, voyant la douleur mineure de celle-ci prétexte de
devoir retourner au bureau pour retrouver sa maîtresse danseuse. Plus
tard la fille de Ustugi viendra lui réclamer un prêt d'argent et
essuyant un refus laisser brutalement tomber le masque de dévotion
filiale. Utsugi conscient du peu de cas hormis matériel qu'il suscite
chez ses proches décide donc de totalement s'abandonner à sa passion
pour sa belle-fille Satsuko (Ayako Wakao).
Façonnée par ses
collaborations avec Yasuzo Masumura, Ayako Wakao incarne à la perfection
la jeune femme japonaise moderne, frivole et pleine d'assurance.
Consciente de l'émoi qu'elle suscite chez son beau-père déclinant, elle
va en tirer bénéfice par de petites attentions bienveillantes en
surface, et plus perverses en coulisses. Le film sort bien avant l'essor
du pinku eiga et cinéma érotique (encore cantonné à l'underground, le
cinéma contestataire et l'expérimental au Japon) au sein des studios
japonais mais parvient tout en restant très fidèle au roman à en
reproduire le trouble. Le but est d'adopter le point de vue de ce
vieillard impuissant mais encore rongé par le désir qui dans sa
régression est finalement aussi émoustillé qu'un adolescent à la vision
de la moindre esquisse de jambe, d'épaule ou de poitrine dévoilée par la
peau blanche d'Ayako Wakao. Cela se joue dans des situations anodines
que Satsuko sait faire basculer pour rendre fou le vieillard et obtenir
ce qu'elle veut, de l'argent, un nouveau bijou, une voiture...
Keigo Kimura dans sa mise en scène parvient ainsi à idéalement
équilibrer érotisme feutré et pathétique. Utsugi descend plus bas que
terre et manque de perdre la raison quand Satsuko daigne lui offrir un
mollet à embrasser à travers un rideau de douche, le tout transcendé par
le jeu lascif et moqueur d'Ayako Wakao. Cependant la forme de journal
intime du livre manque (ne serait-ce qu'en voix-off) et rend la trame un
peu répétitive en faisant d'Ustugi un être grotesque sans susciter pour
lui la même empathie et tristesse que dans le roman où son ressenti
était plus prégnant (même dans ses actions négatives).
Néanmoins une
scène parvient à véritablement titiller le vertige du roman, lorsque
Utsugi décide de reproduire l'empreinte de pied de Satsuko qu'il
souhaite imprégner sous une statue de bouddha sur sa tombe. Le tête à
tête entre les deux "amants" se déleste soudain de tout second degré, la
photo de Nobuo Munekawa confère à la chambre l'intimité d'un boudoir
tandis que la composition de plan évoque la sensualité d'une estampe japonaise. Tout d'un coup le désir si grotesquement exprimé jusque-là (tant pour Ustugi que des séquences extérieures tapageuses dans les bars) acquiert une retenue, un érotisme feutré tout japonais. Ustugi
s'acharnant à peindre jusqu'à l'épuisement la plante de pied de
Satsuko, la manière dont cette dernière réclame grâce après plusieurs
heures de poses, puis la fuite et la honte quand ils seront découverts,
tout concourt à faire de la scène une analogie de l'étreinte sexuelle
qu'ils ne peuvent pas concrètement réaliser. Une séquence fabuleuse qui
nous mène vers un épilogue moins mélancolique que chez Tanizaki, mais
tout aussi pertinent avec le désir charnel comme force de vie pour un
Ustugi accroché à ses fantasmes.
Sorti en dvd japonais
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