Une jeune fille de
bonne famille, Francesca, dix-sept ans, se réveille un matin consciente de son
attirance pour Enrico, un architecte qui a vingt ans de plus qu'elle. Une
attirance qui va hanter cette journée d’été au cours de laquelle la jeune
fille, de rencontres en rencontres, va décider de ne pas résister à l’appel de
la vie adulte. Au risque de subir une douce désillusion…
Après le succès de Guendalina
(1957), Alberto Lattuada poursuit son portrait de la jeune fille dans Les Adolescentes. Malgré quelques élans
sensuels fonctionnant plus sur l’imagerie que les vrais actions des
personnages, Guendalina était un film
sur l’éveil amoureux, l’abandon définitif de l’enfance pour l’adolescence et
ces premiers émois sentimentaux. Les
Adolescentes a une ambition différente pour Lattuada, celle de capturer l’éveil
et l’assouvissement charnel chez l’adolescente, ou plus précisément les atermoiements
d’avant l’acte puis la perte de repère d’après. La scène d’introduction dévoile
brillamment cette idée. Nous y observons la jeune Francesca (Catherine Spaak)
endormie, sa chemise de nuit épousant les formes de sa poitrine soulevée par
une respiration inégale, tandis que son visage poupin s’agite étrangement. Un
mouvement de caméra nous la révèle dans une pose lascive qui nous révèle ses
jambes, avant qu’elle ne se réveille en sursaut, les traits troublés. Elle
adopte alors une posture typiquement enfantine en remontant ses genoux sur son
visage, ne laissant voir que ses yeux perdus dans la confusion de ses pensées.
Les mots sont inutiles pour comprendre que Francesca vient de faire un rêve
érotique, et par la seule image Lattuada explicite tout le questionnement du
film quant à l’expression inconsciente de ce désir : l’assouvir ? L’étouffer ?
Le film se déroule sur l’unité de temps d’une journée où
chaque rencontre et situations rencontrées par Francesca reposera sur cette
hésitation. La première étape servira à nous montrer l’objet de l’attention de
Francesca, celui qui agite ainsi ces nuits, à savoir Enrico (Christian
Marquand) un ami de la famille de vingt ans son ainé. Lattuada traduit par sa
mise en scène la mue de Francesca de la fillette à la femme dans le travail sur
l’espace et le regard changeant d’Enrico sur elle. La distance entre les
personnages se fait dans les déambulations des personnages au sein de la maison
où ils échangent de loin. Lorsqu’ils sont plus proches les regards insistants et
les appels du pied des dialogues d’une Francesca en quête d’attention ne
trouvent en contrechamps que les réponses allusives et le visage d’un Enrico
plus obnubilé par son chien mort que sa charmante interlocutrice. Pourtant une
conversation téléphonique avec une fiancée jalouse à laquelle il décrit
Francesca pour la titiller laisse entendre qu’il n’a rien perdu de l’élégante
silhouette de sa visiteuse. C’est là que notre héroïne voit l’ouverture et se
montre audacieuse, et que Lattuada brise toutes les frontières formelles
initiales avec un gros plan où Francesca pose sa main sur celle d’Enrico, puis
un autre où elle l’embrasse. Pourtant après cet élan qui avive le désir d’Enrico,
Francesca va fuir. La quête du contact et sa crainte, encore et toujours.
Le trouble sensuel et amoureux s’exprimera aussi avec les
adolescentes entre elle, le temps d’un détour par le lycée. Le mystère de la
lettre d’amour adressée à l’une des camarades exprime donc le rapprochement
lorsque la destinataire provoque et tente d’embrasser Francesca qu’elle
soupçonne d’en être la rédactrice. On découvrira pourtant qu’il s’agit d’une
autre fille, attirée par la beauté mais fuyant et/ou craignant la passion
physique. Toute cette ambiguïté repose aussi sur l’érotisme feutré avec lequel
Lattuada filme le groupe d’adolescentes, les robes remontant légèrement et
révélant jupons qui dépassent et haut des cuisses, ou une scène de vestiaires
où les interactions enfantines sont contrebalancées par les corps désirables et
dénudés. Le réalisateur sait équilibrer la forme et le ton pour ne jamais
rendre redondante la répétition de ce mouvement sous toutes les formes qu’il
prend tout au loin du film. La comédie enlevée intervient ainsi lorsque
Francesca rend visite son amie Maria Grazia (Juanita Faust) dont l’attitude
introvertie et solitaire est l’inverse de celle de sa truculente mère (Milly).
Lorsque Francesca exprime à son amie son désir pour Enrico, celle-ci y voit une
possible fin de leur amitié, donnant à nouveau à voir la face inversée où cet
attrait sexuel est craint et/ou fuit par une camarade de son âge. Sa mère
pourtant recommande avec délectation cet assouvissement à Francesca, la seule
manière de connaître un homme dans son entièreté.
Après avoir scrutée cette poursuite/fuite de manière retenue
ou abstraite, Francesca peut l’observer au sein d’un couple dysfonctionnel. Ce
recul peut être une manière de rendre l’étreinte de la réconciliation plus
ardente encore entre le fougueux Renato (Jean Sorel) et la froide Princesse (Donatella
Erspamer), qui s’invectivent de la plus cruelle des manières avant de se
retrouver dans une des scènes les plus élégamment excitantes du film. Catherine
Spaak est absolument fascinante, narratrice volubile ou observatrice
silencieuse autour d’un acte autant appelé que ressenti avec appréhension.
Lattuada explicite le tabou qu’était la perte de virginité d’une jeune fille à
l’époque, mais aussi la difficulté d’en discuter. Ainsi hormis la provocation
évidente du propos à la sortie du film (les foudres d’une censure et d’un
public puritain s’abattront sur le film mais n’empêcheront pas son succès), c’est
la subtilité du rapport frère/sœur entre Francesca et Eddy (Oliviero Prunas)
qui interpelle. La dernière partie du film voit Francesca interrompre
insidieusement la virée entre copains pour qu’Eddy ramène celle-ci auprès de
Francesco. La fuite et l’assouvissement concerne aussi ce frère qui devine l’attirance
de sa sœur, l’encourage et la réprouve dans un même silence ambigu et qui fuit
la discussion possible lorsqu’il sait « l’irréparable » commis.
Jugement moral ? Patriarcal ? Impossibilité à échanger sur un sujet
si sensible au sein d’une fratrie au vu des mœurs de l’époque ? – Sur ce
dernier point lorsque Francesca déplore qu’ils ne parlent jamais de leur
problème de « garçons » ou de « fille », Eddy la rabroue
par un « Mes problèmes de garçons, je les résous seuls ».
L’ambivalence du désir est superbement affirmée dans le
dernier acte, notamment par le travail sur la photo dont les jeux d’ombres
laissent voir les gestes tendre, mais masque l’expression des visages. L’attrait
ne s’exprime que par les mots neutres et l’union tant attendue passe par l’ellipse.
Ce n’était pas (encore) un désir physique explicite pour une Francesca déçue,
mais une curiosité, une étape, ce que n’a pas su voir (ou trop tard) son amant
plus âgé – l’écart d’âge participant à la provocation du film et qu'on retrouvera dans La Fille du même Lattuada (1978). Lattuada boucle la boucle avec le retour de Francesca
dans sa chambre d’adolescente. Le découpage et la progression sont similaires à
la séquence initiale de son réveil, mais entre les lueurs du matin et l’obscurité
de la nuit tardive, c’est comme si un siècle s’était écoulé. La démarche est
moins hésitante, les traits sont plus mûrs lorsqu’elle s’observe dans le miroir,
et le regard moins dans l’expectative. Francesca a appris de l’attrait qu’elle
exerce et ressent pour les hommes, elle saura désormais en jouer et s’y
abandonner, comme l’exprime ce regard face caméra final plein de froide
assurance.
En salle le 29 juillet
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