Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

mardi 18 février 2025

Buffalo Bill et les Indiens - Buffalo Bill and the Indians, or Sitting Bull's History Lesson, Robert Altman (1976)


 L'histoire se déroule en 1885, Buffalo Bill monte un spectacle, le Wild West Show, sur l'Ouest américain pour cela, il achète Sitting Bull, un des prisonniers de l'armée. Lors d'un spectacle auquel le président des États-Unis Grover Cleveland vient assister, Sitting Bull veut lui présenter des doléances pour son peuple, il est éconduit.

Avec Buffalo Bill et les Indiens, Robert Altman semble au premier abord creuser le sillon démythificateur et politisé de l’histoire de l’Ouest alors en effervescence depuis la fin des années 60, notamment dans le western pro-indien avec des œuvres comme Little Big Man (1970), Un Homme nommé cheval (1970) ou encore Soldat bleu (1970). La grande différence qu’apporte Altman, c’est justement de ne pas faire un western, de se délester de toute la narration classique et parfois picaresque de ces films, tout en dépeignant pourtant des évènements ou du moins le contexte de ces derniers. L’idée sera d’en faire une œuvre en grande partie chorale, la vision d’un arrière-plan du monde du spectacle dans la lignée de Nashville (1975), son film précédent plébiscité par la critique et le public. Le film part pourtant sur les bases évoquées plus haut puisqu’il s’agit de l’adaptation de la pièce Indians d’Arthur Kopit, écrite en 1969, et évocation au vitriol de la vie de Buffalo Bill faisant explicitement l’analogie entre le Vietnam et les indiens.

La pièce traitait de différents moments de l’existence de Buffalo Bill, de ses sanglantes campagnes contre les indiens à sa période d’homme du spectacle exploitant opportunément l’histoire de l’Ouest. C’est uniquement cette facette qui intéressera Altman dans son film, même si le Buffalo Bill » entertainer » a déjà été traité au cinéma, notamment dans Annie Oakley, reine du cirque de George Sidney (1935). Dès la première scène, nous l’approche anti-western est explicite. Une voix-off nonchalante et distanciée évoque avec solennité les guerres indiennes, tandis que nous assistons en plan large à l’assaut d’une ferme par les indiens. Soudain la séquence s’interrompt, les morts et les blessés se relèvent, il s’agissait d’une répétition.

Avant l’apparition effective de William Cody alias Buffalo Bill (Paul Newman), sa légende nous est dépeinte comme une pure fiction par son « créateur »,  l’écrivain Ned Buntline (Burt Lancaster) qui façonna de toutes pièces l’aura héroïque de Bill. S’attachant ensuite à cette observation chorale d’une troupe de spectacle, Altman fait de son Buffalo Bill un être caractériel et égocentrique dont il n’aura de cesse d’égratigner la supposée grandeur. L’un des éléments appuyant cet aspect sera la présence du vrai chef indien Sitting Bull (Frank Kaquitts), qu’il achète à l’armée pour contribuer à son spectacle.

Quand Bill aura besoin des artifices du monde du spectacle pour prouver sa grandeur au public dans des reconstitutions orientées, de grandes batailles, Sitting Bull incarne cette mythologie de l’Ouest par son seul être, sa seule présence. L’une des scènes les plus marquantes vit Bill tenter d’humilier un Sitting Bull récalcitrant, en l’envoyant seul à cheval face au public, sans artifices, sans musiques, coup de feu ou cascades spectaculaires. Après quelques secondes de circonspection, les spectateurs font un triomphe au chef indien dont l’authenticité ne fait aucun doute, auréolé d’un charisme et d’une dignité incontestable. 

Parallèlement, Buffalo Bill sera régulièrement ridiculisé quand ses aptitudes devront être démontrées hors de l’espace du divertissement. Altman désamorce avec brio la poursuite qu’entame Bill après la fuite de Sitting Bull, alternant d’abord entre son départ glorieux aux côtés de ses hommes et les regards/remarques admiratifs de sa troupe certains de le voir revenir avec sa proie, puis filmant un piteux retour les mains vides dont la révélation de l’échec est dilatée dans la poussière soulevée les poursuivants à cheval. Auparavant l'impossibilité de faire cohabiter sur une photo Buffalo Bill et Sitting Bull (soit l'Ouest authentique et sa parodie) sera aussi une note d'intention implicite forte quant au propos d'Altman. 

Altman étend en définitive cette facticité de la légende de l’Ouest au nouvel ordre moderne avec l’apparition du président des Etats-Unis Grover Cleveland (Pat McCormick) durant la dernière partie. Diverti comme un enfant face aux facéties de la troupe de Buffalo Bill, il se montre fuyant et lâche face à la réalité qu’il doit gouverner en repoussant les demandes de Sitting Bull sans même les écouter. Comme un symbole la légende mensongère vacille d’ailleurs dans ce contexte, la précision imparable de la gâchette d’Annie Oakley (Geraldine Chaplin) faisant faux-bond durant la représentation. 

Comme le faisait dire John Ford dans L’Homme qui tua Liberty Valance (1962), « Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende ». Dès lors, la disparition de Sitting Bull autorise Buffalo Bill à enfin le « mettre en scène » et se glorifier à ses dépens, empêché qu’il était lorsque le digne chef indien le toisait encore de son regard. Un grand Altman et une formidable prestation d’un Paul Newman ayant déjà su se délester de ses oripeaux héroïques dans un western atypique avec Juge et hors-la-loi de John Huston (1972).


 Ressortie en salle le 19 février et disponible en bluray chez StudioCanal

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire