Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 14 mai 2016

De Broadway à Hollywood - Marguerite Chabrol

Ce passionnant ouvrage de Marguerite Chabrol vient éclairer les liens assez méconnus (au sein de la cinéphilie française du moins) entre théâtre et cinéma, et plus précisément entre Broadway et le Hollywood de l’âge d’or. C’est à une vaste étude thématique, économique et richement documentée à laquelle nous invite Marguerite Chabrol. La réalité mais aussi une certaine forme de cliché oppose Broadway, symbole de la sophistication et culture new yorkaise dans sa tradition du théâtre au cinéma, art récent et destiné à des masses plus larges et populaires. L’équation n’est pas si simple comme va le démontrer l’analyse.

L’auteur se penche tout d’abord sur les liens économiques entre Broadway et Hollywood. L’adaptation de pièces de Broadway va s’accélérer fortement et constituer une manne considérable avec l’arrivée du parlant au début des années 30. On découvre que l’influence de Broadway s’étend notamment aux méthodes de promotion d’Hollywood reprenant certaines idées de lancement des pièces, que ce soit dans les slogans, l’association des stars hollywoodiennes aux grandes icônes du théâtre où aux modèles de sortie progressives dans le pays qui correspondent aux tournées nationales de pièces en guise de test avant les grandes scènes de Broadway. L’échange ne se fait pas que dans un sens, la possibilité d’une adaptation pouvant se faire avant que la pièce soit jouée et contribuant même au financement de sa production scénique. Le studio y repère une thématique en vogue ou un véhicule pour une star par cette aide au montage scénique pourra s’appuyer sur son succès au moment de lancer le film. On peut même avoir des exemples plus extrêmes avec L’Insoumise (1939) de William Wyler dont la pièce adapte remporta un succès très modeste mais dont le sujet correspondait à la star de la Warner, Bette Davis. Ce succès lance donc un cycle qui spécialisera Bette Davis dans la reprise de grands rôles théâtraux qui l’associeront à cette veine dans l’imaginaire du public bien qu’elle ne se soit jamais produite sur scène. 

L’auteur soulève d’ailleurs un pan méconnu des prestations les plus mémorables à l’écran, l’influence de l’interprète original de la pièce. Dans le cas de Bette Davis, on constate le mimétisme avec Tallulah Bankhead (dont la carrière au cinéma ne pris jamais réellement) dont elle repris souvent les rôles - avec quelques anecdotes sur la défiance de l’actrice de théâtre vexée d’être copiée -  comme dans les mélodrames Dark Victory (1939) ou The Little Foxes (1941). Ce fait n’est pas dévoilé pour amoindrir la prestation de Bette Davis qui amène ses propres nuances à cette inspiration initiale mais plutôt pour expliciter une logique et continuité à tenir entre la connaissance qu’a le public du matériau original auquel il faut rester fidèle mais aussi de maintenir sans le dénaturer ce qui a fonctionné sur scène. Cette idée est approfondie et étendue à la réalisation des films où l’on constate une reprise du dispositif et d’idées développé dans la mise en scène de théâtre. Marguerite Chabrol décrypte là aussi avec forte documentation à l’appui – des photos très rares  la manière dont certaines idées visuelles et/ou narratives sont revisitées à l’écran dans une logique cinématographique. 

Les perspectives du studio et des acteurs guident donc le choix mais aussi la fidélité fluctuante aux œuvres originales. La censure du Code Hays (s’opérant en amont en pointant les points sensibles des pièces) obligent à une certaine inventivité pour reprendre les sujets à problèmes de façons plus codées mais parfois les pièces sont dénaturées pour cette raison qu’afin d’être orienté vers un genre plus en vogue – la transition pouvant être spectaculaire du drame sur scène à la comédie à l’écran, le succès de New York – Miami (1934 et pourtant pas issue d’une pièce) ayant contribué à des mues inattendues vers la screwall comedy. La scène peut être également un instrument de reconstruction pour les acteurs avec ici l’exemple de Katherine Hepburn se réinventant dans The Philadelphie Story qui triomphe à Broadway et dont elle reprendra le rôle principal pour retrouver le succès à l’écran après de nombreux échecs au box-office. Une méthode qui ne marche pas toujours comme le constatera  Ingrid Bergman, interprète de Jeanne D’arc sur scène mais avec moins de réussite commerciale au cinéma. Cela peut être aussi un obstacle à l’adaptation quand l’acteur refuse de voir transformée l’œuvre qu’il a interprété au théâtre, en témoigne le conflit qui conduira à l’éviction de John Ford dans Permission jusqu’à l’aube (1955). Ce passage de la scène à l’écran pour les acteurs semble d’ailleurs surtout concerner les stars ou pour les interprètes plus modestes qu’on spécialise dans des rôles pittoresques – qui peuvent d’ailleurs incarner à eux seuls la provocation ou excentricité lissée dans l’adaptation. Cette transition au sens large est d'ailleurs abordé à travers les metteurs en scène de Broadway passant à la réalisation tel Joshua Logan sur Picnic et surtout Elia Kazan pour un des rares exemples où l'équipe reste grandement identique d'un support à l'autre dans Un tramway nommé désir (1951).

Ce ne sont que quelques pistes parmi celles nombreuses qu’explore Marguerite Chabrol dans un vrai travail de recherche (y compris les mémos des exécutifs de studios) passionnant. Il faudra néanmoins avoir une bonne connaissance du cinéma hollywoodien sans quoi les multiples références resteront un peu abstraites.

Paru chez CNRS Editions

mercredi 11 mai 2016

Le Bigame - Il bigamo, Luciano Emmer (1956)

Mario De Santis, un honnête représentant de commerce, voit sa vie bouleversée lorsqu’une femme qu’il ne connaît absolument pas l’accuse à tort d’être bigame. Il est défendu par un avocat très distrait.

Luciano Emmer signe une hilarante comédie avec Le Bigame où il retrouve Sergio Amidei (secondé par le duo Age et Scarpelli et un débutant nommé Francesco Rosi), scénariste de son classique Dimanche d'aout (1950). On est cependant loin du néoréalisme rose naissant pour plonger dans la franche comédie sociale dans une veine proche du Pigeon (1958). Mario De Santis (Marcello Mastroianni) est un séduisant représentant de commerce et père de famille qui va voir son quotidien bouleversé lorsqu'une inconnue va l'accuser de bigamie pour un mariage contracté sept ans auparavant. Marcello Mastroianni tout au long de sa carrière se plaira à détruire l'image de séducteur que son physique avenant peut évoquer, Le Bel Antonio (1960) en tête. Ici tout le film tend à détruire justement cette facette en la mettant en valeur au départ où l'on est admiratif du bagout et du charme de Mario pour vendre des tubes de dentifrice aux (épouses des) commerçants qu'il prospecte. Il en va de même dans son foyer où un baiser viril calme les ardeurs jalouses de son épouse Valeria (Giovanna Ralli).

Tout bascule donc lorsque la très lunaire Isolina (Franca Valeri) l'accuse de bigamie. Luciano Emmer manie à la fois la satire sociale et l'humour absurde pour dépeindre la déchéance du malheureux Mario. La morale inquisitrice teintée de bigoterie instaure ainsi une vindicte qui ne laissera aucune chance à Mario, toujours plus coupable quoiqu'il dise ou fasse, que ce soit dans les situations dont l'interprétation est constamment à son désavantage (une rencontre secrète avec son épouse devenant une tentative d'enlèvement pour la police) ou le regard des autres avec une belle-famille et des voisins qui ont tôt fait de se retourner contre lui. Cela pourrait tout à fait être les éléments d'un drame pesant mais Emmer y ajoute une outrance toute italienne qui élève l'injustice à des proportions hilarantes.

Une longue scène de vaudeville voit par une suite de hasards malheureux s'empiler dans l'appartement du couple tous les protagonistes n'ayant aucun intérêt à se rencontrer (les deux épouses, leurs familles et avocats respectifs) et se conclut en bagarre générale. La respectabilité perdue expose à tous les malentendus mais aussi aux vautours en tout genre. Vittorio De Sica nous offre ainsi un grand numéro comique en avocat plus intéressé par les paillettes que la plaidoirie. Le ton se fait grinçant à travers ce personnage reflet de la corruption ordinaire avec des running gags tordants, entre les poses qu'il prend dès que passe un appareil photo ou des sentences fatales à tous ses clients ivres de vengeance. Partant du principe que son client est de toute façon coupable, inutile de s'informer de l'affaire en détail et autant compter sur une éloquence creuse pour le défendre. La plaidoirie finale est absolument hilarante, De Sica plus théâtral que jamais calomniant, jurant, pleurant et vociférant tout en citant des poèmes de Gabriele D'Annunzio, grand moment.

Là où l'on sent que nous ne sommes pas encore entré dans la comédie italienne cruelle des années à venir, c'est dans la caractérisation du/des couples. Mario et Valeria ne cessent jamais de s'aimer, le dépit de cette dernière repose plus sur un sincère désespoir que la crainte du regard des autres et plus que l'accusation, c'est bien l'influence néfaste de leur entourage qui les sépare. Franca Valeri aussi parvient à être étonnamment attachante malgré son rôle négatif puisque les indices du scénario et son jeu décalé ne laissent jamais planer le doute quant à son mensonge. La solitude de la vieille fille, étouffée par un père autoritaire émeuvent sous les rires et comme souvent dans le cinéma italien la dimension régionale constitue l'identité de manière sous-jacente.

Les multiples allusions à ses origines de la petite ville de Forlimpopoli soulignent à la fois les mœurs sévères de la province du nord mais aussi une richesse qui permettra d'accuser et d'être crue plus facilement que le modeste Mario. Ces trois-là sont les seuls dont le film expose sincèrement les failles et les tourments quand tout le reste du casting est dans l'outrance et la caricature. On détache tout de même le truculent Memmo Carotenuto, grand second rôle italien de l'époque et excellent en acolyte de prison bienveillant. Il sera d'ailleurs récompensé d'un Ruban d'argent du SNGCI (Syndicat National des Journalistes du Cinéma Italien) pour son interprétation. Un très bon moment, plaisant de bout en bout.

Sorti en dvd zone 2 français chez René Chateau 

Extrait

mardi 10 mai 2016

La mort n'était pas au rendez-vous - Conflict, Curtis Bernhardt (1945)

Richard et Katherine Mason semblent former un couple heureux. En réalité, Richard est amoureux d’Evelyn, la plus jeune sœur de son épouse. Quand cette dernière découvre leur secret et déclare ne pas vouloir divorcer, Richard imagine alors une machination afin de s'en débarrasser.

Conflict est une tentative intéressante de film noir psychanalytique dont le scénario a pour base une histoire d'Alfred Neuman et Robert Siodmak, ce dernier étant bien sûr maître en intrigue labyrinthique et chargée d'atmosphère. On peut regretter qu'il ne l'ait pas réalisé lui-même puisque sans démériter, Curtis Bernhardt n'exploite pas tout le potentiel de cette histoire. Le problème est avant tout un manque de subtilité qui empêche de distiller une certaine ambiguïté au récit. Ici dès la scène d'ouverture le personnage de psychanalyste incarné par Sydney Greenstreet nous explique badin ce qui définit une pensée obsessionnel, annonçant la veine essentiellement psychologique des tourments de l'époux meurtrier joué par Humphrey Bogart.

La symbolique et les indices sont particulièrement grossiers, Bogart architecte voyant par exemple au détour d'un schéma papier la forme de la crevasse où git sa femme apparaître en surimpression. C'est bien dommage car la mise en scène de Curtis Bernhardt parvient par moment à créer ce doute et nous faire hésiter quant au genre dans lequel se situe le film. La réapparition d'objets appartenant à la disparue, les appels anonyme et l'atmosphère pesante suggère autant que l'épouse réalise une vengeance d'outre-tombe ou bien réelle, ou alors qu'un mystérieux manipulateur joue avec les nerfs de Bogart. L'apparition des objets et savamment amenée, le leitmotiv de la chanson Tango of Love associé à l'épouse laisse constamment planer une aura de surnaturel et Humphrey Bogart excelle à laisser sa tranquille assurance se désagréger face à la peur et la culpabilité.

Quelques séquences sont formellement superbes comme la scène de meurtre où l'époux surgit de la brume d'une forêt de studio pour en finir, on est presque dans le conte avant qu'une brutalité plus concrète vienne rompre le charme. L'enjeu du crime peine à intéresser avec une Alexis Smith transparente (pourtant capable de caractère dans ses rôles face à Errol Flynn) tandis que Rose Barr entre mégère et victime impose plus de personnalité malgré un faible temps de présence. La lourdeur de cette dimension psychanalytique estompe toute les nuances avec les longues tirades de Sidney Greenstreet et casse tout la vraie aura d mystère habilement installée. Du coup le twist final même si joliment amené ne satisfait pas vraiment tant nous avions été aiguillé vers une solution rationnelle, dommage.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner 

lundi 9 mai 2016

Le Signe du païen - Sign of the Pagan, Douglas Sirk (1954)

En l'an 450, alors que les rivalités entre les empereurs de Rome et de Constantinople fragilisent la toute-puissance de l'empire romain, Marcian, un centurion chargé d'acheminer un message vers Constantinople, est capturé par les Huns. Leur chef, Attila, le fléau de Dieu, a décidé de profiter de la décadence de l'empire pour faire tomber les murs de Rome.

Si durant sa carrière américaine Douglas Sirk signera des chefs d’œuvre dans son registre de prédilection qu’est le mélodrame, il n’en reste pas moins un artisan de studio se pliant à des commandes parfois bien éloignées de sa sensibilité. Il s’acquitte donc avec plus (le film d’aventure Capitaine Mystère (1955)) ou moins (le western Taza, fils de Cochise (1954)) de réussite à la tâche comme avec le péplum Le Signe du Païen. Après le succès du Quo Vadis (1951) d Mervyn LeRoy, le genre connaît son âge d’or à Hollywood à travers des fresques opulentes. Le Signe du Païen s’inscrit dans le péplum biblique, avec comme d’habitude un respect historique tout relatif. Contrairement au film, c’est entre l’empire Romain d’Occident en déconfiture qui avait cédé aux Huns des territoires contre la paix et celui d’Orient menacé d’invasion par Attila. A cette l’épopée d’Attila revisitée s’ajoute des figures bien réelles avec l’officier romain Marcian (Jeff Chandler) devenu empereur en épousant l’impératrice Pulchérie (Ludmilla Tcherina) et succédant à Théodose (George Dolenz). Le choc des civilisations se fait donc entre l’Empire Romain et les barbares et plus particulièrement entre le Christianisme représenté par Rome et le culte païen célébré par les Huns. 

C’est précisément lorsqu’il s’intéresse à cette opposition que Sirk offre les moments les plus intéressants du film. Le cinéaste, si apte à conférer une vraie emphase visuelle aux pics émotionnels de ses mélodrames est à l’inverse très brouillon pour mettre en scène les morceaux de bravoures et l’imagerie spectaculaire du péplum. Les moyens semblent pourtant là - en témoignent les quelques plans d’ensemble chargés en figurants lors des chevauchées des Huns et quelques décors studios – mais le résultat est très étriqué et finalement moins impressionnant que le pendant italien sorti la même année, Attila, fléau de Dieu de Pietro Francisi avec Anthony Quinn dans le rôle-titre. Les intrigues de palais permettent cependant au réalisateur de s’approprier le récit de manière intéressante. La révélation mystique est au cœur de l’œuvre de Douglas Sirk, dans une idée plus spirituelle que religieuse notamment dans l’éveil à l’amour qui se conjugue à celui pour la nature environnante pour la Jane Wyman de Tout ce que le ciel permet (1955).

Dans Le Secret Magnifique (1954) l’égoïste et richissime Rock Hudson allait enfin se soucier d’autrui dans une même révélation mystique. C’est un personnage voisin d’Attila qu’incarne ici Jack Palance, guerrier fier, plein d’assurance et avide de revanche envers l’Empire Romain. Toute la première partie tend à mettre en valeur son brio tactique, son arrogance et ses aptitudes guerrières hors pairs. On pense à son arrivée tonitruante lors du festin que donne l’empereur Théodose pour les barbares où il impose autorité et puissance en humiliant le champion romain. Malgré le manque d’ampleur de la mise en scène de Sirk – d’autant plus regrettable avec un acteur du charisme de Jack Palance - l’effet est bien là et se prolonge dans les interactions des autres personnages et Attila, pas plus impressionné par le prestige de l’empereur que séduit par les charmes de la princesse Pulchérie.

La révélation mystique rendait Rock Hudson meilleur dans Le Secret Magnifique, elle rendra ici Attila vulnérable. Les présages fendent son armure et le rendent craintif du vrai pouvoir de ce Dieu chrétien. Sirk use de cliché du péplum biblique avec la conversion béate de Kubra (Rita Gam) la fille d’Attila mais aussi d’une pure symbolique par l’image. Dans cette idée le ridicule un peu cheap (un éclair qui fend un arbre) alterne avec des visions sublimes telle cette apparition fantomatique de la barque du Pape Léon 1er, surgissant des brumes nocturnes du Tibre - dans une superbe photo bleutée de Russell Metty.  Si l’on ne sent pas une exaltation particulière de Sirk pour le Christianisme – malgré la multitude de compositions de plan faisant surgir la croix -, il s’en sert comme révélateur d’Attila redevenu humain et écrasé par une force qui le dépasse. 

Jack Palance excelle dans l’incarnation de cette force de la nature qui se désagrège et confirme que chez Sirk, d’Écrit sur du vent à la Ronde de l’aube en passant par Mirage de la vie, les vrais héros sont aussi les plus torturés. Jeff Chandler, figure de stabilité et de sagesse parvient néanmoins à exister par son charisme et le pivot que signifie son personnage face à la cupidité, lâcheté et folie que représentent les figures de puissances. C’est dans cette veine réflexive et intimiste que Le Signe du Païen captive, une ultime bataille indigente confirmant que l’intérêt de Sirk n’était définitivement pas là.

Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Films

 

samedi 7 mai 2016

Jin-Roh, la brigade des loups - Jin-Rô, Hiroyuki Okiura (1999)

Tokyo, fin des années 1950, après la défaite du Japon face à l'Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale. La ville est secouée par des troubles sociaux fomentés par un groupe d'opposition appelé La Secte. Les autorités, confrontées à des émeutiers de plus en plus violents créent la Posem (police de sécurité métropolitaine) une brigade d'élite de répression lourdement armée. Lors d'une émeute, le lieutenant Kazuki Fuse, une jeune recrue de cette brigade, se retrouve cependant incapable de faire feu sur une fille porteuse d'une bombe « un petit chaperon rouge ». L'enfant déclenche l'engin explosif et meurt devant ses yeux. Traumatisé par cet événement, Fuse se recueille sur la tombe de la victime et rencontre la sœur aînée de celle-ci.

Jin-Roh marque pour Mamoru Oshii un retour au fil rouge qui irrigue sa carrière, la saga Kerberos. Il s’y intéresse aux Kerberos Panzer Corps, une unité de soldat en armure dans un Japon futuriste totalitaire. Oshii développa cet univers dès ses débuts et sur différents supports : deux films live expérimentaux avec The Red Spectacles (1987) et Stray Dog Kerberos Panzer Cops (1991) et le manga Kerberos Panzer Cop publié entre 1988 et 2000. Jin-Roh était justement supposé adapter le premier volume du manga en film d’animation mais Oshii est débordé par le tournage de l’œuvre qui le consacrera à l’international, le classique cyberpunk Ghost in the shell (1995). Il décide donc de confier le projet au jeune Hiroyuki Okiura, son très doué directeur d’animation sur Ghost in the shell. Okiura flatté n’accepte la proposition qu’à condition de pouvoir réécrire le scénario et l’imprégner de sa sensibilité. L’un des changements majeurs sera donc l’histoire d’amour qui amène une tonalité différente à l’univers tortueux de Mamoru Oshii.

Jin-Roh revisite le conte du Petit Chaperon Rouge dans un Japon uchronique au lendemain d’une défaite face à l’Allemagne Nazie. Le film effectue ainsi un retour vers le passé par rapport à l’univers  futuriste de Kerberos tout en l’inscrivant dans l’imaginaire avec ce contexte politique. L’interprétation du conte par Oshii illustre bien l’hésitation entre anarchie et totalitarisme qui court tout au long de sa filmographie. Patlabor (1989) dépeignait une société japonaise dont les traditions étaient balayées sur l’autel de la modernité mais la seule réponse était un dangereux virus informatique semant le chaos. Patlabor 2 (1992) montrait la facilité du pays à retrouver ces réflexes totalitaire et militariste dès lors qu’il était menacé avec un terroriste provoquant la loi martiale. 

De manière générale la méfiance et la fascination d’Oshii pour l’imagerie militaire provoque souvent un sentiment ambigu. Dans Jin-Roh, cela se révèlera à travers une histoire d’amour tragique. L’anarchie est représentée par les « chaperons rouges », jeunes femmes transportant des bombes pour La Secte, groupuscule révolutionnaire en lutte contre le gouvernement. Le totalitarisme de cet Etat est symbolisé par la brigade POSEM et plus précisément par son unité la plus redoutable, les Panzer Corps. L’un d’entre eux, Fusé, vacille en pleine opération et hésite à abattre un « chaperon rouge » kamikaze. Ayant échappé de peu à la mort, Fusé est hanté à la fois par cette marque de faiblesse inattendue mais surtout par les traits juvéniles et déterminés de la disparue. En rencontrant et tombant amoureux de sa sœur Nanami, il pense peut être pouvoir apaiser son âme.

Tout au long du récit se fait entendre en voix-off une récitation de l’interprétation la plus tragique du conte où Oshii se trompe d’ailleurs en usant de la couverture du Rotkäppchen des frères Grimm qui lui donnait une fin heureuse au contraire de Charles Perrault . Le scénario brouille en effet les piste en montrant le « loup » Fusé incapable d’abattre/dévorer le Petit Chaperon Rouge et céder à la naïveté de ce dernier quand il tombe amoureux de Nanami dont la douceur de caractère ne fait pas oublier une première apparition où elle arbore le fameux imperméable rouge. Le conte va donc se rejouer cruellement pour servir des intérêts plus haut placés, une lutte de pouvoir quant au démantèlement des Panzer Corps. 

Fusé et Nanami, réellement amoureux semblent vouloir dépasser les archétypes modernes du conte dans lesquels ils s’inscrivent. Okiura instaure une atmosphère à la fois oppressante et romantique, l’imagerie hivernale servant une belle mélancolie portée par le score de Hajime Mizoguchi. La veine plus désabusée d’Oshii pèse également, les nombreuses allusions à la nature fourbe du Loup déguisé en homme laissant présager une interprétation plus sombre. La tenue des Panzer Corps rappelle cette parenté animalière, le masque et les yeux rouges évoquant le regard, la gueule et le museau du loup tandis que le casque rappelle la parenté militaire germanique de ce passé alternatif. La force interprétative tout comme le contexte politique imaginé par Oshii s’illustrent avec une force évocatrice puissante par ce seul uniforme.

Jin-Roh constitue également un remarquable thriller d’espionnage questionnant donc le Japon. Nos deux héros sont manipulés par deux factions se déchirant entre le maintien d’un joug militaire « nécessaire » ou un régime politique calculateur et guère plus rassurant. Oshii a une vision cynique du pays balloté entre oppression et corruption, le regard romantique d’Okiura semblant apporter une voie médiane par les sentiments. Le scénario ne choisit pas entre leurs deux interprétations et si le retour à l’ordre se fait dans une brutalité implacable en soumettant le collectif, le loup semble être redevenu un homme amoureux et brisé lors de l’épilogue sacrificiel. 

Sorti en dvd zone 2 français chez CTV 

vendredi 6 mai 2016

La Panthère noire- The Black Panther, Ian Merrick (1977)


La panthère noire relate l'histoire vraie de Donald Neilson, ennemi public n°1, braqueur, meurtrier et auteur d'un rapt qui choqua l'Angleterre dans le milieu des années 70...

Le polar est un genre qui a toujours été présent au sein du cinéma anglais, sans pour autant constituer - malgré quelques indéniables réussites – une réelle alternative thématique et/ou visuelle au cinéma américain comme pu le faire la France avec Jean-Pierre Melville et quelques autres. Au début des années 70, un vrai désir de polar se fait pourtant jour en Angleterre avec la production de trois réussites majeures : Get Carter de Mike Hodges (1971), The Offence de Sidney Lumet (1972) et Villain de Michael Tuchner (1972) – auxquels on peut ajouter l’ultime coup d’éclat d’Alfred Hitchcock, Frenzy (1972). Les films imposent une vraie patine faite de paysages industriels sinistres du nord de l’Angleterre, de violence crue et héros bordeline. L’accueil sera cependant mitigé voir hostile pour ces tentatives, enterrant toute production réellement ambitieuse jusqu’au succès du mémorable The Long Good Friday (1980). C’est dans ce contexte sinistré que s’inscrit La Panthère noire, tentative aventureuse qui choquera l’Angleterre.

Après avoir officié aux Etats-Unis à divers postes techniques Ian Merrick revient au pays en 1976 pour trouver cinématographie anglaise exsangue, à l’image de la crise économique que traverse le pays. Pensant être capable de monter des projets ambitieux à l’économie, il crée sa société de production et se lance dans l’écriture de son premier film. L’idée est de dépeindre l’impossible réinsertion dans la vie civile d’un ancien tueur de l’armée. Le projet s’enlise jusqu’à la rencontre avec le petit distributeur Alpha Films qui accepte de financer le film à condition que Merrick transpose un fait divers très proche de la trame qu’il a imaginée, l’affaire de « la panthère noire ». Il s’agit des méfaits de Donald Neilson, ex militaire, braqueur et auteur du rapt d’une adolescente à l’issue tragique qui vient de choquer le pays.  Merrick accepte, le sujet à sensation attirant même des financiers supplémentaires même si cela desservira le film à sa sortie. Le cinéaste profite de la situation précaire des studios anglais pour construire des décors à moindre couts au studio Elstree mais plus que la logistique, c’est le ton à adopter au niveau du scénario qui demande le plus d’effort. 

L’affaire étant encore fraîche dans l’opinion publique, Ian Merrick et son scénariste Michael Armstrong font le choix de rester au plus près de la réalité en s’inspirant des témoignages, interviews et compte rendus de procès disponible.  En enlevant tout le superflu Merrick cherche à la fois à s’éviter les accusations de racolage - d’une presse n’ayant pas vu une seule image du film -, mettre en arrière-plan les réelles failles de la police et endosser le point de vue du très perturbé Donald Neilson. On sait par exemple que, nostalgique de ses années au sein de l’armée, il en imposait la discipline dans son foyer et emmenait femme et enfant dans des excursions en campagne où il leur faisait simuler des actions commandos. Merrick résume magistralement cela au ton martial et sec qu’adopte Neilson pour dicter la moindre tâche domestique durant le quotidien familial.

Tout tire ainsi vers l’épure, La Panthère noire déployant tout à la fois le mystère et l’interprétation de ce qui façonne un monstre. Les premières images frappent ainsi avec cet homme arpentant la campagne anglaise le paquetage chargé de pierres, s’astreignant à de pénibles exercices physiques et équipé comme s’il était en mission d’infiltration. La banalité de son allure de quidam anglais ordinaire dénote d’ailleurs avec l’arsenal déployé et l’attitude farouche qu’il se compose. Cette dichotomie entre sa médiocrité et la virilité à laquelle il aspire coure ainsi tout au long du récit, dans des proportions de plus en plus dramatiques. La préparation militaire  méticuleuse jure avec la nature modeste de la cible de ses hold-up (de simple bureau de poste) et surtout avec la maladresse de l’exécution ainsi que le ridicule butin en jeu. 

Toute sa persona criminelle repose d’ailleurs sur l’apparat, avec cette cagoule sombre et ce ton glacial qui intimide ses victimes avant que se révèle l’amateurisme de la Panthère Noire et que chaque tentative tourne court. La panique le fait ainsi céder à la violence meurtrière, le surnom et statut d’ennemi public numéro 1 se créant des conséquences plus que du délit initial. Ian Merrick crée ce sentiment par la répétitivité des cambriolages suivant le même schéma désastreux et qui s’alterne avec la jubilation de Neilson de retour chez lui. On le voit s’admirer fièrement dans son miroir, collectionner tel un adolescent le récit de ses méfaits dans un cahier qui en rejoint d’autres exposant une carrière militaire qu’on devine modeste. Là encore la mise en scène nous met à distance de la psyché perturbée du personnage par un panoramique qui expose entièrement son bureau bondé d’équipement guerrier avant de s’arrêter sur la silhouette quelconque de leur possesseur.

Cette construction va prendre une tournure plus sordide lorsque Neilson va s’essayer à un crime dont il n’a pas l’envergure, l’enlèvement avec demande de rançon de l’adolescente Lesley Whittle. L’amateurisme de Neilson conjugué à la maladresse de la police et une suite de hasards malheureux conduisent ainsi au fait divers qui révoltera l’Angleterre. Donald Sumper est absolument magistral dans le rôle-titre, incarnant une paradoxale « normalité imprévisible ». Son visage insignifiant semble pouvoir se déformer à tout moment dans un rictus illustrant sa démence. Parfois l’armure se fend étonnamment lorsqu’on le verra pleurer devant un film ou en prendre une aptitude plus tendre pour convaincre sa victime alors qu’il l’emmène dans les égouts pour la séquestrer. Finalement Neilson est le reflet monstrueux de l’Angleterre des 70’s. 

Il vit dans le souvenir de son passé militaire exaltant tout comme le pays en crise fantasme la grandeur révolue de l’Empire Britannique. Pour répondre à son quotidien terne, il revit donc par le crime les sensations de campagnes guerrières mais sera toujours renvoyé à son incompétence. L’imagerie clinique et terne dépeint ainsi un ordinaire terne impossible à transcender, la photo de Joe Mangine scrutant avec crudité la désolation du réel dans une campagne dépressive, une urbanité grisâtre. Aucune fioriture psychologique dans un montage sec et un dialogue réduit au minimum, le malaise naît de cette approche frontale et sans maniérisme qui laisse tout à l’interprétation du spectateur. Ian Merrick pousse en quelque sorte à l’extrême les expérimentations de Richard Fleischer dans L’étrangleur de Boston (1968) L’étrangleur de la place Rilington (1971).

En fin de production les tensions s’exacerberont pourtant, la presse extrapolant sur le contenu supposé racoleur du film. Convié à s’exprimer lors d’une émission télévisée, Ian Merrick est pris au piège sans pouvoir se défendre et la diffusion a un effet désastreux alors que la sortie est imminente. Le distributeur procède alors a une sortie limitée pour observer les réactions à Liverpool, Norwich, Hull et Birmingham. La malchance s’en mêle à nouveau puisqu’une météo catastrophique dans le nord de l’Angleterre ne permet une sortie effective et triomphale qu’à Liverpool. Birmingham et Hull épargné par le climat voient leurs élus s’imposer avec la police à la première du film pour empêcher la projection. Cette initiative signera le glas d’une possible sortie et hormis une édition VHS au début des années 80, le film restera invisible de longues années. Ce classique dérangeant et maudit du polar, passé ce contexte explosif se doit d’être redécouvert aujourd’hui. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Ufo Distributions 


lundi 2 mai 2016

Crime Passionnel - Fallen Angel, Otto Preminger (1945)

Sans un sou Eric Stanton ne peut continuer son voyage, il descend d’un bus et échoue à Walton, une petite ville de la côte californienne. Il se retrouve dans un petit café sur la plage et fait connaissance de Pop, le propriétaire, de Mark Judd, un ancien policier new-yorkais, et de Dave Atkins. Tout ce petit monde gravite autour de la belle serveuse du bar, Stella. Stanton, attiré, courtise en vain Stella qui, lasse des aventures sans lendemain, n’aspire qu’à se marier. Mais la serveuse repousse toujours ses avances, Stanton lui propose alors de patienter en promettant de se procurer l’argent nécessaire pour la sortir de sa condition. Il a en effet le projet de séduire la riche June Mills pour extorquer sa fortune.

Un an après le classique du film noir Laura, Otto Preminger reconstitue une partie de l'équipe gagnante (Dana Andrews, le compositeur David Raksin : Joseph LaShelle à la photo) pour ce tout aussi réussi mais très différent Fallen Angels. Désireux de ne pas se répéter, Preminger va ici à l'encontre de tous les éléments qui firent la réussite de Laura. Toute la dimension onirique, le mélange de mystère et d'obsession amoureuse impossible est ramené à un aspect plus terre à terre. Les codes classiques du film noir sont pourtant bien là, l'étranger sans le sou (Dana Andrews) et proie idéale d'une femme fatale brune (Linda Darnell tout en élégance vulgaire et magnifiée en technicolor par Preminger l'année suivante dans Ambre) représentant l'ombre entre laquelle il hésite avec la blonde pure et lumineuse synonyme de rédemption (Alice Faye n délaissant son registre des comédies musicales).

Cependant la construction linéaire, le cadre provincial et la caractérisation des personnages ramène l'ensemble à une tonalité plus réaliste que sophistiquée. La femme fatale n'a pas de réclamation plus élevée qu'un mariage et une maison pour son amant, ce dernier dominé par son désir n'apparaît pas complètement comme la victime parfaite. L'enjeu de Laura reposait sur la quête d'une disparue, celui de Fallen Angels tient plutôt à la quête de lui-même par Dana Andrews. Ni gogo idéal ni manipulateur sournois, c'est un monsieur tout le monde qui n'ose aller au bout de ses desseins criminels tout comme il ne s'abandonne pas complètement à la fascination de Linda Darnell.

La première partie le voit ainsi jouer d'un cynisme de façade et joue des atmosphères du film noir durant les rencontres vénéneuses avec Linda Darnell tout en en renouvelant l'imagerie dans cette cité portuaire. A l'inverse la séduction courtoise avec Alice Faye offre le versant apaisé de ce cadre provincial. Là aussi le cliché n'est pas poussé jusqu'au bout avec une Linda Darnell peu pressante et n'attendant que le prétendant suffisamment nanti pour l'épouser et Alice Faye offre une prestation suffisamment impliquée pour incarner l'amoureuse sans être une oie blanche.

En ramenant les canons du genre à une échelle plus quelconque et réaliste, Preminger renforce l'approche humaine du récit. L'argument criminel ne doit pas être un piège écrasant et implacable pour le héros mais un révélateur. Cela tiendra à une belle scène de confession avec Alice Faye puis une conclusion où il va au-devant des ennuis plutôt que de les fuir et errer. La résolution ne tient d'ailleurs pas à un indice quelconque mais à la simple observation d'un sentiment très simple qui aura dérapé, et même ainsi Preminger arrive à créer la surprise et le suspense dans son final. Une belle réussite en forme de retour sur terre où Preminger redonne du sens à ces êtres écorchés et perdus qui donnent au film son titre original.

Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta 

Bande annonce qui joue de tous les clichés (voix-off désabusée, ambiance trouble) dont se déleste le film, amusant...