Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 9 septembre 2025

Chantage - Blackmail, Alfred Hitchcock (1929)

 Alice White est la fille d'un commerçant londonien. Son petit ami, Frank Weber, est policier. Alice s'ennuie avec Frank et rencontre secrètement un autre homme, Tracy, qui tente de la violer. En se défendant, elle le tue avec un couteau de cuisine. Quand le corps est découvert, Frank est sur l'affaire et se rend compte qu'Alice a commis le crime. Et quelqu'un essaie de la faire chanter...

Chantage marque un passage important dans la carrière d’Alfred Hitchcock puisqu’il s’agit de son premier film parlant. La relative simplicité du récit (adapté d’une pièce de Charles Bennett) se conjugue à la complexité et stylisation qu’y apporte Hitchcock pour exploiter cette nouvelle possibilité technique. L’introduction, montrant la mécanique d’appréhension d’un suspect par des policiers de Scotland Yard, fonction sur une pure logique de muet, par la seule image. Approche véhiculée des lieux, concertation, introduction dans la demeure et immobilisation du coupable, tout brille par la limpidité du processus et l’installation de la tension – ce panoramique du suspect apercevant les policiers dans un miroir et s’apprêtant à user de son arme. 

Les sons diégétiques sont absents dans cette pure démonstration de force d’un corps de métier, et la musique ne s’estompe et ne laisse entrer le bruit que quand la vie hors de la fonction s’amorce. Cela marque les retrouvailles entre le policier Frank (John Longden) et sa petite amie Alice (Anny Ondra). Lorsque l’existence ordinaire s’invite, elle introduit les petites inconséquences et incompréhensions des relations humaines, ici exprimées par la dispute entre Frank et Alice. Lorsque le premier, excédé, laisse sa compagne à son sort dans un restaurant, celle-ci se console en compagnie du peintre Crewe (Cyril Ritchard). Mal lui en prendra quand, invitée dans l’appartement de celui-ci, il tentera de la violer.

Hitchcock fait glisser, doucement mais sûrement, le marivaudage et la séduction vers l’agression sexuelle avec brio. Le verbe est justement très important entre les intonations candides d’Alice (l’actrice tchèque Anny Ondra étant en fait doublée par Joan Barry) et le phrasé plus sournois et charmeur de Crewe. La distance chaste et amicale installée entre eux dans le décor de l’appartement s’estompe au fil des paroles rassurantes de Crewe, le sommet étant atteint lorsqu’il entame une chansonnette au piano tandis que la composition de plan montre Alice se changer littéralement à côté de lui. Après avoir modelé une silhouette nue sur une toile pour amuser Alice, son cheminement l’amène à exécuter son geste sur l’intéressée qui ne devra son salut qu’au couteau à portée de main avec lequel elle va tuer son agresseur, hors-champ.

Hitchcock travaille le motif de la frayeur et de la culpabilité de la même façon, en alternant la force évocatrice du muet avec la puissance de la parole. Ainsi le retour hébété d’Alice se fait par la réminiscence de son acte où la moindre main gisante lui rappelle celle du cadavre qu’elle a abandonné. Le martèlement du mot couteau aboutit à une séquence presque subliminale traduisant la confusion mentale de l’héroïne. Le récit est vraiment un terrain de jeu aux expérimentations du réalisateur, qui saura néanmoins se montrer plus sobre mais pas moins virtuose durant la longue joute verbale introduisant le maître-chanteur (Donald Calthrop). Hitchcock jongle entre ce bagage du muet et l’explicite du parlant, l’imagerie expressionniste côtoyant un relatif naturalisme, sans jamais tomber dans l’aspect figé et théâtre filmé qui plombe encore certains des premiers films sonores. 

C’est particulièrement vrai durant le grand morceau de bravoure qu’est la course poursuite dans le British Museum. La pure énergie de cette séquence bascule en montage alterné à la douleur figée d’Alice désormais décidée à se dénoncer à la police. Le travail sur la lumière amène d’ailleurs un saisissante image à la portée implicite, lorsqu’un jeu d’ombre dessine la forme d’une corde sur le cou d’Alice. Hitchcock ne pourra cependant pas totalement aller au bout de sa démarche, puisque l’introduction procédurale devait se rejouer de manière moins neutre et plus dramatique en ayant désormais Alice comme suspecte à arrêter. Hitchcock se pliera à ses producteurs pour une happy-end plus convenue mais Chantage n’en reste pas moins un plaisant thriller voyant le maître du suspense dompter les nouvelles possibilités techniques de son média. 

Sorti en luray français chez Carlotta 

lundi 8 septembre 2025

Il était une fois en Chine 6 : Dr Wong en Amérique - Wong Fei Hung: Chi sai wik hung see, Sammo Hung (1997)

Accompagné de son disciple Pied-bot et de Tante Yee, le Dr. Wong Fei-Hung se rend en Amérique pour visiter une succursale de sa fameuse clinique. A la suite d’une attaque d’indiens, Wong est frappé d’amnésie. Il est recueilli par une tribu de peaux-rouges pacifistes. Mais alors que ses amis tentent de le retrouver, des bandits qui terrorisent la région cherchent à faire accuser la communauté chinoise...

Ce sixième et dernier volet de la saga Il était une fois en Chine s’avère être une conclusion mitigée et mal-aimée. Sur le papier, les promesses étaient grandes entre le retour de Jet Li dans son rôle fétiche, et la présence d’un réalisateur aussi chevronné que Sammo Hung. Tout cela va cependant grandement s’avérer être un mariage de raison. Jet Li avait quitté la saga après le troisième volet, et plus globalement le giron de Tsui Hark et de la Golden Harvest suite à des mésententes. Malgré quelques authentiques réussites comme Fist of Legend de Gordon Chan (1994), Jet Li n’a pas retrouvé ailleurs le lustre de son passage chez Tsui Hark qu’il singe d’ailleurs péniblement dans Claws of Steel de Wong Jin (1993) et un peu plus honorablement dans le diptyque La Légende de Fong Sai-yuk de Corey Yuen (1993). De son côté Tsui Hark a produit un Il était une fois en Chine 4 : La Danse du Dragon (1994) inégal mais audacieux, puis réalisé le bondissant Il était une fois en Chine 5 : Dr Wong et les pirates (1994) avec Chiu Man-cheuk en nouveau Wong Fei-hung. Le succès mitigé de ces deux opus fait basculer la production de la compagnie Golden Harvest à la Win’s, faisant de ce sixième film de la saga un mariage de raison entre Jet Li et Tsui Hark pour retrouver les faveurs du public.

Avec un Sammo Hung aux commandes, Dr Wong en Amérique s’avère très solide sur la forme à travers quelques joutes fort plaisantes, mais assez boiteux sur le fond. Une première sous-intrigue montrant un Wong Fei-hung amnésique et réfugié chez les Indiens offre un visage plus vulnérable, farfelu et imprévisible du personnage. Le côté incontrôlable et brutal que peuvent avoir ses aptitudes martiales dépourvues de son stoïcisme renforcent à rebours toute la noblesse dont il pu faire preuve dans ses précédentes aventures où il ne donnait sa pleine mesure que contraint et forcé. Malheureusement cette trame est assez vite expédiée, en plus d’introduire des Indiens d’Amérique de pacotille. La quête d’intégration et le racisme dont purent souffrir les migrants chinois aux Etats-Unis constitue l’autre intrigue potentiellement intéressante, mais les habituels rôles occidentaux caricaturaux ainsi que des enjeux sommaires plombent rapidement l’intérêt.

Les qualités à souligner sont donc avant tout formelles, Sammo Hung entremêlant plutôt bien l’imagerie western avec le film martial. Le film est l’héritier d’une longue série de films tentant cette fusion entre l’Orient et l’Occident, autant produits en Asie qu’en Europe et aux Etats-Unis (Soleil Rouge de Terence Young, la série tv Kung-fu avec David Carradine entre autres) sans pouvoir en sortir une réussite majeure néanmoins. Hung installe une brutalité qui lui est coutumière, notamment envers les femmes (Rosamund Kwan malmenée par des yankees libidineux, et même par un Wong Fei-hung amnésique), et le film est plus sanglant que ses prédécesseurs dont les écarts étaient plus surprenants – le Wong Fei-hung de Chiu Man-cheuk usant d’une arme à feu notamment. 

Les chorégraphies sont inventives, les coups hargneux et les situations régulièrement périlleuses, en particulier le climax. Le problème est malheureusement le manque d’antagonistes crédibles, forçant à étirer des joutes face à des adversaires ne faisant pas le poids. Le combat entre Wong Fei-hung et le grotesque chef des hors-la-loi est ainsi gâché par le jeu absurde de l’acteur et ses capacités limitées. Dr Wong en Amérique demeure un divertissement relativement bien conçu, mais très éloigné des ambitions et de la qualité de ses prédécesseurs. Il sera d’ailleurs la cause d’une querelle entre Sammo Hung et Jackie Chan, estimant que son « frère » lui avait volé l’idée qu’il exploitera néanmoins plus tard à Hollywood dans Shanghai Kid (2000) paradoxalement plus réussi. 

Disponible en bluray chez Metropolitan

dimanche 7 septembre 2025

Les Yeux de Laura Mars - Eyes of Laura Mars, Irvin Kershner (1978)

Photographe de mode engagée contre la guerre et le sexisme, Laura Mars mène une brillante carrière. Aucune ombre au tableau de ses spectaculaires compositions, du moins jusqu'au jour où, par la pensée, elle capte les agissements d'un tueur en série, vivant en direct le meurtre qu'il commet. Un cauchemar qui se répète et dont elle pourrait bien être l'une des prochaines victimes...

Les Yeux de Laura Mars est une œuvre qui participe indirectement à l’ascension de John Carpenter puisqu’il s’agit de son premier script produit par un grand studio. Sa sortie et son succès précèdent de quelques mois, en cette même année 1978, celui d’Halloween qu’il va réaliser lui-même. Le film est d’ailleurs initialement destiné à être une production indépendante dans la lignée des premiers films de John Carpenter, avant que le producteur Jon Peters tombe sous le charme du script dans lequel il voit un parfait véhicule pour sa compagne de l’époque, Barbra Streisand. 

Il va convaincre le studio Columbia de produire le film, et ce malgré le désistement de Streisand (qui signera la chanson du générique) au profit de Faye Dunaway fraîchement auréolée d’un Oscar pour Network (1976). Ces péripéties vont faire du film un objet nettement plus prestigieux que prévu, mais aussi amener des réécritures le rendant plus conventionnel sur certains points que le script initial de Carpenter, ce qu’il regrettera.

Les Yeux de Laura Mars semble être une sorte de réponse américaine au giallo italien, ce qui n’est pas surprenant d’après les goûts de Carpenter. Il y a aussi une dimension de thriller hitchcockien, penchant vers lequel tend Carpenter sur Halloween bien sûr, mais aussi le téléfilm Meurtre au 43e étage qu’il signe au cours de cette décidément très productive année 1978. Le mélange de meurtre sanglant avec le milieu de la mode rappellera aussi bien sûr Blow up d’Antonioni (1966), un aspect qui va particulièrement inspirer Irvin Kershner dans son esthétique. La première partie est très réussie dans son travail pour entremêler le glamour et le macabre. Les créations photographiques controversées de Laura Mars (Faye Dunaway) invitent le macabre dans le glamour et l’érotisme dans une imagerie mêlant sophistication et morbide avec brio – les clichés du film étant repris des travaux d’Helmut Newton. 

Les visions prémonitoires cauchemardesques de Laura imposent ce macabre au glamour hors des feux des projecteurs, en semant la mort dans l’entourage de l’héroïne. Le côté graphique demeure pourtant dans les mises à mort fétichistes, par le choix du tueur de crever un œil des victimes. Il y a là comme une punition rituelle et machiste, à punir par l’entremise de ses proche l’audace du regard de Laura Mars d’imposer au monde des visions aussi provocantes. On ressent cela par le choix des gros plans sur l’œil de Laura quand les visions l’assaillent, et toute la symbolique marquée en montrant souvent les ses amis en situation « immorale » prolongeant la souillure manifeste arborée sous l’objectif de l’héroïne. Ainsi le manager Donald meurt alors qu’il est travesti en femme, les deux mannequins féminines périssent après que l’on a découvert leur liaison lesbienne, une de ses amies succombe avant qu’on apprenne qu’elle entretenait une relation avec l’ex-mari de Laura.

Tout le travail de vision subjective lors des prémonitions sanglantes de Laura est brillamment mis en scène par Kershner, travaillant par cette caméra à l’épaule et la texture vidéo ce monde parallèle, onirique et inquisiteur pour ces hédonistes de la mode. Cela présage d’ailleurs un peu l’approche qu’au justement Carpenter sur les visions du futur dans Prince des ténèbres (1987). Les indices sont semés de manières purement formelle et sensorielle, notamment lors d’une scène où Laura essaie d’expliquer le ressenti de ses visions avec une caméra et un écran vidéo, l’image sur ce dernier levant avec subtilité l’ambiguïté autour du coupable. On regrettera simplement que la mécanique routinière du drame policier basique sème quelques longueurs, c’est sans doute sur cette structure plus rassurante qu’ont porté les demandes de réécritures de Columbia. Néanmoins, le savoir-faire d’Irvin Kershner, le charisme de Faye Dunaway (qui jongle entre sa propre aura iconique et une facette plus vulnérable) et un ultime rebondissement efficace maintiennent la tension et achève de faire de Les Yeux de Laura Mars un thriller très réussi. 

Sorti en bluray français chez Sidonis 

mercredi 3 septembre 2025

Deux Enfants qui s'aiment - Friends, Lewis Gilbert (1971)

 Un jeune homme, Paul Harrison, fils d'un riche homme d'affaires britannique vivant à Paris, rencontre une belle et jeune orpheline, Michelle Latour. Les deux adolescents quittent Paris pour se rendre en Camargue.

Friends est un objet étonnant dans la filmographie d’un Lewis Gilbert alors au sommet de sa popularité et enchaînant les projets mastodontes. L’immense succès critique et public de Alfie le dragueur (1966) a mis le réalisateur dans de bonnes dispositions auprès du studio Paramount qui produisait le film. La belle tenue de son James Bond On ne vit que deux fois (1967) le montre également capable d’apposer sa patte sur un superproduction d’envergure. Deux immenses projets vont alors lui échapper. Il va longuement travailler sur la préproduction de l’adaptation cinématographique de la comédie musicale Oliver ! avec son auteur Lionel Bart, mais devant par contrat un film à Paramount, il va laisser les rênes du projet à Carol Reed (avec le triomphe que l’on sait) pour aller réaliser Les Derniers des aventuriers pour le studio. 

Paramount lui propose ensuite de réaliser Le Parrain, mais il se verra à plusieurs reprises refuser le budget conséquent que réclame le film selon lui et jettera l’éponge au profit de Francis Ford Coppola supposé plus « malléable ». Ces diverses déconvenues incitent Lewis Gilbert à s’atteler à un projet plus modeste qui deviendra Friends. Gilbert écrit dans un premier un scénario choral contant trois romances portées par des couples de différentes tranches d’âges : l’adolescence, l’âge adulte et la vieillesse. Pour Robert Evans, patron de la Paramount, le segment juvénile est le plus réussi et il va conseiller à Gilbert de focaliser son film dessus.

Friends est une œuvre qui expose ses deux jeunes héros à la fois aux derniers maux de l’enfance, et aux premiers de l’âge adultes. Paul (Sean Bury) est le fils d’un homme d’affaires anglais installé à Paris qui le délaisse, sombrant doucement mais sûrement dans la délinquance en volant des voitures. Michelle (Anicée Alvina) vient de perdre tragiquement son père et est venue s’installer à Paris chez sa cousine, sa dernière parente. La cellule familiale déjà boiteuse de Paul est fragilisée lorsque son père s’apprête à se remarier, tandis que la nouvelle maison d’accueil de Michelle s’avère oppressante quand l’amant adulte de sa cousine s’avère avoir des vues sur elle. Les deux adolescents se rencontrent et lient d’amitié au fil de leurs déambulations parisiennes, alors qu’ils appréhendent de regagner le foyer. Ils vont se reconnaître dans leurs solitudes respectives que ce soit la mère (qui l’a abandonné a 5 ans pour Paul, morte en couches pour Michell) ou le père absent chez chacun mais pour des raisons différentes.

Une virée en voiture va involontairement se transformer en fugue, par la naissance d’une folle idée : habiter ensemble la maison de campagne dans laquelle séjournait Michelle durant les vacances avec son père artiste dans la région de Arles. Ce sera l’essentiel du cadre du film, entre l’intimité de la maison, les pérégrinations dans Arles et surtout les somptueuses séquences pastorales tissant la romance naissante entre les deux adolescents dans une Camargue magnifiée. Le charisme des deux acteurs y est pour beaucoup, notamment la jeune Anicée Alvina (après que Lewis Gilbert a envisagé Isabelle Adjani) dégageant un mélange de sensualité et de candeur palpable. 

Ce pont entre l’enfance et l’âge adulte se manifeste par la progression subtile de l’amitié au sentiment amoureux, puis au désir charnel par un travail sur le geste, les regards. Il y aurait certes à redire sur l’exposition à la nudité des personnages et plus particulièrement Michelle, qui ont tout de même 15 ans (voire quatorze et demi comme le souligne Michelle dans une récrimination tout enfantine) mais Lewis Gilbert amène ces bascules avec une infinie délicatesse tout en se protégeant en coulisse – les deux acteurs étant tout juste majeurs au moment du tournage.

On sent néanmoins une volonté de construire dans ce cadre isolé tout ce qui leur a manqué d’amour au sein de leur vraie famille, et d’en construire une à leur tour. La naïveté de l’ensemble – aux antipodes du cynisme Swinging London de Alfie - n’empêche pas l’exposition à certaines réalités quand, les premières économies dépensées, le couple devra devenir autonome et gagner de quoi subsister. Le « fils à papa » capricieux s’épanouit peu à peu dans ses nouvelles responsabilités, et la fillette sort de sa chrysalide pour devenir une vraie maîtresse de maison. 

C’est formellement superbe tout en étant sur la corde raide du kitsch et du mièvre, avec une photo magnifique d’Andréas Winding qui oscille entre naturalisme envoutant et franc onirisme romantique, notamment lors d’une scène de retrouvailles nocturnes, le tout porté par un score de Elton John et Bernie Taupin. Cela fonctionne vraiment bien pour peu que l’on se laisse happer par la candeur de l’ensemble, jusqu’à un déchirant final dont on devine l’issue hors-champ. Un bel ovni dans la filmographie de Lewis Gilbert, dont l’accueil sera suffisamment positif (succès modéré aux Etats-Unis mais triomphe au Mexique et surtout au Japon où il fait figure de film culte) pour générer une suite trois ans plus tard, Paul et Michelle (1974) avec le même casting et de nouveau signée Gilbert. Sans être aussi réussi, une oeuvre qui rappelera le charme du magnifique Melody, l'autre grande romance enfantine anglaise des années 70 sortie la même année. 

Disponible en streaming sur MyCanal 

Extrait 

mardi 2 septembre 2025

Un enfant de Calabre - Un ragazzo di Calabria, Luigi Comencini (1987)

1960. À la veille des Jeux de Rome, Mimì, un garçon de Calabre, épris de course à pied, grand admirateur du marathonien éthiopien Abebe Bikila, s'entraîne pour les futurs Jeux de la Jeunesse à Rome. Il se heurte à l'hostilité de son père, soucieux de sa scolarité. Il bénéficie, pourtant, du soutien d'un vieux conducteur d'autocar, Felice, qui a su détecter en lui l'étoffe d'un champion...

La dernière partie de la filmographie de Luigi Comencini semble revenir à son thème de prédilection de l'enfance et du récit d'apprentissage, qui lui a déjà inspiré quelques-uns de ses plus beaux films comme Tu es mon fils (1956), L'Incompris (1967) ou encore Casanova, un adolescent à Venise (1969). Quatre films très différents le ramènent à ces sujets durant les années 80 avec le mélodrame désespéré de Eugenio (1980), le nostalgique Cuore (1984) ou le conte fantastique Marcellino (1991). Un enfant de Calabre situé au début des années 60, se situe à une période, ainsi qu'un cadre sociogéographique (l’Italie pauvre et rurale du Mezzogiorno, soit le Sud) que Comencini n'avait plus visité depuis le diptyque Pain, amour et fantaisie (1953) et Pain, amour et jalousie (1954). 

On ressent ce dénuement matériel dès les premières images, au point qu'il faut attendre l'irruption d'un car scolaire puis du scooter du père de famille Nicola (Diego Abatantuono) pour avoir l'assurance que le récit se déroule bien au vingtième siècle. Nous découvrons le quotidien modeste et laborieux du jeune Mimi (Santo Polimeno ) et de sa famille, ne vivant plus de ses travaux fermiers et n'ayant pas le bagage pour les métiers modernes d'une Italie dont le boom économique n'est pas arrivé jusqu'à eux. Mimi oscille donc entre la menace de ce déterminisme et la pression que lui met son père pour qu'il soit studieux dans ses études pour aspirer à mieux.

Loin de ces préoccupations, Mimi ne se sent vraiment insouciant et libéré que lorsqu'il court à en perdre haleine au sein des collines vallonnées de la région. Et si cette soupape physique était son passeport pour un autre destin ? C'est ce que va lui faire entrevoir Felice (Gian Maria Volonté), chauffeur de car qui décèle en lui le potentiel d'un champion. Reste à convaincre un père ombrageux et réfractaire. Comme on le décelait déjà dans Pain, amour et fantaisie ou Tu es mon fils, c'est paradoxalement en dépeignant les milieux les plus pauvres que Comencini signe ses films les plus lumineux. On retrouve ici le sujet de l'incommunicabilité parents/enfants, et plus spécifiquement père/fils. Le carcan bourgeois troublait ce type de relation malgré les nobles intentions dans L'Incompris et Eugenio, amenant une distance involontaire entre les individus. Nicola (Diego Abatantuono), malgré ses manières rugueuses voire violentes est une figure paternelle dépassée, mais recherchant avec hargne et maladresse un avenir meilleur pour sa famille. 

Tour à tour pathétique, brutal et surtout maladroit, il ne peut inculquer à Mimi les valeurs qui l'ont piégé dans sa condition, et ne sait pas réellement vers lesquelles le diriger si ce n'est l'intitulé flou des "études". Cette incapacité le rend tour à tour attachant et détestable quand ce pragmatisme le rend imperméable à la volonté d'évasion et de rêve de son fils par la course à pied. Felice, né boiteux, a malgré ce handicap cette propension au rêve (et parfois à la mythomanie) et s'avère un modèle bien plus positif pour le héros.

Comencini durant une scène laisse Mimi verbaliser (bien malgré lui dans le cadre d'une rédaction scolaire) les émotions que lui procure la course, et nous les fait ressentir par sa mise en scène. Mimi court pour rattraper à vélo Crisolinda (Maria Giadda Faggioli), la jeune fille qui lui plaît, il court effectuer le trajet jusqu'à l'école en dépassant le car scolaire, chaque foulée est une manière d'échapper à son quotidien morne. Ce n'est que tardivement qu'intervient la possibilité de la compétition, et à l'exaltation et échappée intime de la course va alors s'ajouter celle de transcender sa condition par le sport. Comencini alterne entre les cadres sombres et confinés (la maison, l'école) synonymes de contraintes, avec les grands espaces dans lesquels le corps et l'esprit de Mimi se libèrent. Le réalisateur magnifie les paysages ruraux où se perd la silhouette frêle et rapide de Mimi, avant d'exprimer cet espoir d'ailleurs en capturant des environnements auquel il n'aurait pas eu accès sans la course. 

Le tout culmine bien sûr avec le final grandiose dans le stade romain, le petit bout de la lorgnette (Felice et Nicola regardant la course à la télévision) alternant avec l'imagerie sportive, olympique (le renouveau économique italien s'affirmera avec l'organisation des Jeux d'été à Rome en 1960) voire héroïque dans le superbe dépassement de soi de Mimi. Son émancipation est parallèlement celle aussi de sa mère (Thérèse Liotard) qui s'est affirmée pour le soutenir face à l'autorité patriarcale de son époux. La dernière phrase du film, un commentaire sportif décrivant Mimi après sa victoire, est "C'est un enfant de Calabre". L'image télévisée figée de Mimi sur ces mots cesse de désigner cette origine comme un fardeau pour enfin constituer une fierté. 

samedi 30 août 2025

La Voie du serpent - Hebi no michi, Kiyoshi Kurosawa (2025)

 Albert Bacheret est un père dévasté par la disparition inexplicable de sa fille de huit ans. Alors que la police semble incapable de résoudre l'affaire, il décide de mener sa propre enquête et reçoit l'aide inattendue de Sayoko, une énigmatique psychiatre japonaise. Ensemble, ils kidnappent des responsables du "Cercle", une société secrète. Mais chaque nouvel indice mène à un nouveau suspect qui présente toujours une version différente des faits... Obsédé par la vérité, Albert va devoir naviguer entre sa soif aveugle de vengeance et une infinie spirale de mensonges.

La Voie du Serpent est la seconde réalisation de Kiyoshi Kurosawa en France après Le Secret de la chambre noire (2016). Ce dernier, envoûtant formellement lorsqu’il ne misait que sur les atmosphères inquiétantes chères au réalisateur, péchait grandement dés lors qu’il se reposait sur une intrigue laborieuse ne sachant s’approprier les particularismes français de son récit. La Voie du Serpent malgré cette nouvelle délocalisation se situe dans un habile entre-deux puisqu’il s’agit du remake de Le Chemin du serpent, réalisé par Kurosawa en 1998. Le réalisateur, bien que n’ayant pas signé le scénario de la première version (que l’on doit à Hiroshi Takahashi), se trouve davantage en terrain familier qu’avec Le Secret de la Chambre noire.

Sans vouloir jouer au jeu des sept erreurs, le principal atout de ce remake repose sur la nature incertaine de ses enjeux, personnages et intrigues. L’épure déjà existante dans le film original se trouve renforcée ici en éliminant les éléments typiquement japonais sans pour autant les remplacer par leur équivalent français. Les antagonistes yakuzas, menace identifiée et familière pour les nippons laissent ici place à une société secrète dont la réelle existence est questionnée pendant très longtemps durant la quête de vengeance d’Albert (Damien Bonnard). Alors que l’inquiétante étrangeté de Kurosawa investissait des environnements et problématiques typiquement français dans Le Secret de la chambre noire (avec cette vieille demeure familiale et ses problématiques administratives), le réalisateur vide au contraire ce cadre français de sa substance locale. Ruelles désertes, intérieurs intimes neutres, usines désaffectée et terrains vagues sinistres constituent l’essentiel des décors et participe, avec la menace nébuleuse, à faire du cadre du récit un véritable espace mental faisant office de béquille psychique et d’exutoire au héros. Le Memento de Christopher Nolan n’est pas loin, mais Kurosawa n’a pas besoin de l’artifice d’une narration inversée pour produire cette confusion.

L’ennemi invisible que poursuit Albert s’inscrit à la fois dans la vérité de faits divers récents, mais aussi une forme de fantasme complotiste qui ne peut s’incarner que dans la réalité alternative que semble proposer le film. Dès lors l’acolyte japonaise incarnée par Kō Shibasaki participe à cet entre-deux. On peut la voir comme un mauvais génie, participant à cette idée de béquille psychique contribuant à remobiliser Albert lorsque sa détermination vacille, quand ses certitudes sont ébranlées. Le jeu opaque de l’actrice et son français tout à fait compréhensible mais monolithique (et sans doute appris phonétiquement pour les besoins du rôle) sont des atouts majeurs pour appuyer cette idée. Parallèlement, la fébrilité dégagée subtilement par ses expressions et même la froideur de ses actions les plus radicales laissent supposer un personnage plus incarné, mais exprimant différemment ses fêlures qu’un Albert dont les troubles s’exposent à livre ouvert. Les révélations progressives la concernant renforceront ce sentiment. Kiyoshi Kurosawa livre donc là un thriller captivant, maîtrisé et ambigu dont il a le secret, rendant universelle l’angoisse latente de ses films japonais. 

En salle le 3 septembre 

mercredi 27 août 2025

Les Étrangleurs de Bombay - The Stranglers of Bombay, Terence Fisher (1959)

En Inde, à la fin du XIXe siècle, une secte d'étrangleurs appelée les Thugs est la source d'enlèvements, de meurtres et de mutilations de voyageurs qui traversent les régions du pays sous leur influence. Les actes violents perpétrés par les membres de la secte ont pour but d'offrir des sacrifices rituels à la déesse indienne Kali. Un régiment britannique se lance alors aux trousses des tueurs, afin de les mettre hors d'état de nuire.

Les Étrangleurs de Bombay est une production Hammer s’appuyant habilement sur une réalité historique pour installer son récit à suspense. En l’occurrence il s’agit ici de la lutte de l’Empire colonial britannique contre la secte des Thugs en Inde. Certains éléments, comme l’introduction didactique ou encore l’épilogue citant de véritables officiers britanniques ayant dirigé cette lutte, tendent à inscrire le film dans une certaine véracité. Il n’y a par exemple aucune dimension explicitement fantastique ou d’éléments pulps qui feront plus tard le sel du nettement plus extravagant Indiana Jones et le Temple Maudit de Steven Spielberg (1984) mettant aussi en scène les Thugs.

Sans forcément aller jusqu’à lui attribuer un réalisme documentaire, les rituels et exactions de la secte correspondent dans les grandes lignes à ce que l’on sait de leur culte vénérant la déesse Kali. Terence Fisher prend le même soin dans la description du quotidien colonial. Le Capitaine Harry Lewis (Guy Rolfe), lui-même déconsidéré et déclassé dans le corps de l’armée malgré ses aptitudes, est ainsi par ce biais le plus préoccupé et en empathie envers la population locale. C’est lui qui, dédaigné par sa hiérarchie, finit par comprendre l’influence des Thugs en étant le confident de ses amis autochtones lui rapportant les enlèvements et disparitions mystérieuses parmi leurs proches. 

Le clivage de classe typique de la société anglaise se prolonge dans ces contrées lointaines et en mettant au ban le seul protagoniste bienveillant et ancré localement, empêche un individu tout en plaçant une communauté sous la menace des Thugs. Le scénario exprime frontalement la seule raison d’être du colonialisme, celle d’exploiter les ressources et une population à des fins capitalistes, générer des profits East India Company. Ce n’est que quand le profit commencera à être menacé que les lignes bougeront quelque peu.

Fisher étend son étude au système de caste indienne, l’absence d’entraide des locaux face à la menace s’y heurtant. Les plus pauvres en subissent les conséquences, tandis que les Thugs infiltrés sont issus des hautes castes. Il y a une certaine ambiance paranoïaque qui en découle et fonctionne assez bien, évitant le racisme sous-jacent (même si jouant sur cette tonalité pulp) que l’on pouvait malgré tout ressentir devant Indiana Jones et le Temple maudit malgré ses évidentes vertus divertissantes. Cette rigueur historique rend le film prenant, mais en freine parfois les pures vertus de frayeur. Terence Fisher tire son épingle du jeu par une violence surprenante, toute en sadisme et imagerie macabre. Les tortures inhérentes au culte de Kali et leurs conséquences sont dépeintes avec une frontalité à peine atténuée par les ciseaux de la censure anglaise horrifiée par le premier montage. 

Yeux crevés au fer rouge, tranchage de membres, découvertes de cimetières clandestins, rien ne nous est épargné et Fisher lui-même se surprendra à constater qu’il a sans doute eu la main lourde. La photo d’Arthur Grant s’équilibre entre les clair/obscur stylisé des scènes nocturnes inquiétantes, et des séquences diurnes rendant la moiteur palpable – même si de toute évidence le film n’a pas été tourné en Inde et que les extérieurs sont parcimonieux. Malgré une conclusion un peu trop expéditive, c’est en tout cas ce qui fait le sel de cette production gardant juste ce qu’il faut du cinéma d’exploitation pour privilégier une authenticité louable.

Sorti en bluray anglais sous-tiré anglais chez Powerhouse