Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 4 mars 2025

Les Fleurs du soleil - I girasoli, Vittorio de Sica (1970)

En 1945, la guerre est terminée, mais Antonio ne revient pas du front russe. Giovanna se souvient de son mariage avec ce garçon qu'elle connaissait à peine, de leurs douze jours de bonheur puis du départ de son mari pour le combat. Un soldat lui avoue avoir abandonné Antonio dans la neige, à demi-mort. Giovanna part alors en Union soviétique.

Vittorio de Sica signe avec Les Fleurs du soleil un magnifique mélodrame, et une de ses plus belles associations au mythique couple Sophia Loren/Marcello Mastroianni. Le film est une des premières coproductions entre l'occident et l'Union Soviétique, de surcroît tourné à Moscou et en Ukraine. Absolument pas écrasé par cette logistique, de Sica livre une œuvre profondément intimiste et mélancolique sur une couple à la fois rapproché et brisé par les écueils de la guerre. 

Le film s'ouvre sur les récriminations de Giovanna (Sophia Loren) face aux autorités italiennes ne sachant que lui répondre quant au sort de son mari Antonio (Marcello Mastroianni). Porté disparu sur le front russe sans être officiellement déclaré mort, le sort d'Antonio laisse Giovanna dans l'incertitude alors qu'elle se refuse à accepter son possible décès. Un flashback remonte alors aux origines de cette folle passion, capturant les amours juvéniles et torrides du couple. De Sica entretient ce passé fantasmé à plusieurs niveaux.

Il y a la dimension triviale et charnelle des amants où De Sica entretient une proximité palpable par le schisme régional typique de l'Italie (le patois napolitain de Giovanna corrigé régulièrement par Antonio), et la manière dont le contexte de guerre constitue un horizon à la fois lointain et proche, abstrait et menaçant. La perspective de la mobilisation d'Antonio accélère plus que provoque le mariage avec Giovanna malgré le côté improvisé, et la séparation imminente amène tout d'abord une isolation du monde du couple entre les murs de leur éphémère foyer conjugal. 

Puis ce sera littéralement une tentative folle (au propre comme au figuré) d'échapper à ce destin qui à l'inverse scellera le destin des mariés. La tonalité rieuse, ludique et solaire de cet "âge d'or" romantique est en quelque sorte le souvenir magnifié de Giovanna, et de Sica de façon involontaire ou voulue entretient cette interprétation avec un rajeunissement efficace mais tout de même artificiel de Mastroianni et Loren en jeunes amants immatures. A l'étreinte dans les herbes et sous les bombardements répondent ainsi les poignants adieux dans les sinistres toilettes d'une gare avant le départ d'Antonio.

C'est la passion entretenue durant cette première partie qui rend ardente et possible la folle entreprise de Giovanna de se rendre en URSS sur les traces de son homme qu'elle refuse de croire mort. De Sica orchestre de superbes scènes lassant pourtant bien croire à cette tragique perspective avec ses visions glaçantes du front russe, les idées formelles traduisant à la fois la souffrance d'un collectif dans cette barbarie (le filtre rouge sur les scènes de batailles) et l'agonie lente sous un prisme intimiste à travers un Antonio à bout de forces. La quête de Giovanna donne lieu à une performance parmi les plus ardentes de Sophia Loren, en plus de d'être une véritable capsule temporelle de la Russie et l'Ukraine des années 70 superbement filmées par de Sica. 

Ce moment du film fait figure d'entre-deux en gardant cette dimension lumineuse tant que l'espoir demeure avant un rebondissement bouleversant. A la première partie rurale, estivale, colorée et fougueuses dans le sud pauvre de l'Italie va donc répondre un poignant épilogue dans l'urbanité grise de Milan, grande ville du nord. Les jeux de clair-obscur masquent puis révèlent les outrages du temps qu'Antonio et Giovanna n'osent se montrer, et traduisent les regrets d'une vie qu'ils n'ont finalement pas pu passer ensemble. Les mots se font rares durant ces retrouvailles et tout passe par la décidément incroyable alchimie existante entre Sophia Loren et Marcello Mastroianni, le tout réhaussé par le magnifique thème composé par Henry Mancini. Un grand de Sica tout simplement.

 Disponible en streaming sur la plateforme Mycanal

dimanche 2 mars 2025

Eastern Condors - Dung fong tuk ying, Sammo Hung (1987)

Un commando d'élite est recruté parmi les “irrécupérables” des prisons chinoises afin d'organiser une mission suicide au sud du Viêt Nam. Chargés de détruire un arsenal apocalyptique abandonné par l'armée américaine dans une forteresse souterraine, ces mercenaires durs à cuire experts en armes à feu et en arts martiaux relèvent le défi avec l'espoir illusoire d'y regagner leur liberté et leur honneur perdu...

Un peu à la manière de son ami et condisciple Jackie Chan, Sammo Hung fait avec Eastern Condors un pas de côté le sortant du pur film martial. Hung s’était déjà aventuré dans la comédie policière avec les films de la série Lucky Stars (Le Gagnant (1983), Le Flic de Hong Kong (1985), Le Flic de Hong Kong 2 (1986) et hors de la série Soif de Justice (1984)) et bien sûr de la comédie horrifique dans le génial L’Exorciste Chinois (1980) mais, que ce soit dans le contexte historique des récits, le ton rigolard et la présence des acolytes Jackie Chan et Yuen Biao, on restait dans un registre relativement voisin. Alors que la persona filmique de Jackie Chan fait sa mue vers le cinéma d’aventures (Le Marin des mers de Chine (1983), Le Marin des mers de Chine 2 (1987) et Mister Dynamite (1986)) et le polar musclé (Police Story (1985), Police Story 2 (1988)), Sammo Hung entame à sa manière un virage voisin.

La comédie d’aventures survoltée Shanghai Express (1986) constitue le versant lumineux de ce renouvellement quand Eastern Condors en représente la part plus sombre. Sammo Hung propose là sa variation hongkongaise du film de commando popularisé dans les années 60/70 par des œuvres comme Les Canons de Navarrone de Jack Lee Thompson (1961) Les Douze Salopards de Robert Aldrich (1967), Quand les aigles attaquent de Brian G. Hutton (1968). Sammo Hung retient davantage l’esprit iconoclaste que patriotique du film de commando dans son approche, avec un postulat égratignant d’office les Etats-Unis, missionnant les « rebus » hongkongais pour nettoyer derrière eux les errances commises durant la guerre du Vietnam. 

Par rapport aux archétypes du film de commando, Hung expédie relativement la présentation des membres de l’escouade (un panneau dépeignant le crime initial inscrit sur leur dossier) et les caractérise en situation, en nous faisant comprendre qu’il s’agit de pauvres bougres ayant vécu des désillusions tragiques lors de leur migration aux Etats-Unis et réduits à cette périlleuse dernière chance. Au départ diversion sacrifiable à la vraie mission, ils en deviennent malencontreusement les acteurs principaux et devront affronter mille dangers pour parvenir à leur fin.

Le mélange des genres et l’art plus ou moins fin de la rupture de ton façon Sammo Hung frappe d’emblée. Après le contexte politisé au vitriol (la scène d’ouverture moquant le drapeau américain), la mort frappe le groupe très vite durant la mission et annonce un vrai chemin de croix sacrificiel. Pourtant les bons mots voire les gags sont légions dans les interactions du groupe, et il faut la menace permanente des Viêt-Cong pour faire office de piqûre de rappel pour ramener le récit à davantage de sérieux. Cet entre-deux est notamment représenté par une Joyce Godenzi (et future épouse de Sammo Hung) qui crève l’écran en guérilleros cambodgienne taciturne, et Yuen Biao en electron libre plus rigolard qui viendra s’ajouter au commando. Sammo Hung, même dans ses œuvres les plus loufoques est donc capable de rupture de ton surprenante et ici cela passe entre autres par les scènes d’action. 

Les fusillades sanglantes, les cascades périlleuses et les impressionnantes explosions pyrotechniques offrent un grand spectacle « classique » mais toujours un peu plus outré que les standards d’action moyen (l’incroyable final entre James Bond et Indiana Jones). Les combats font montre d’un mélange de virtuosité et de sadisme laissant pantois. Sammo Hung revisite avec bien plus d’inventivité le massacre d’une escouade par des combattants camouflés popularisé par Rambo 2 (1985) mais surtout orchestre une barbarie sommaire laissant pantois lors des affrontements physiques. Décapitations et coupages de membres à la machette (dont une fort déroutante lors du final), exécutions sommaires et musique emphatique flattant nos plus bas-instincts, Sammo Hung se délecte dans l’excès et est fort loin des pudeurs grand public d’un Jackie Chan.

La réalisation est des plus efficaces, le rythme alerte, l’émotion fonctionne et les éléments plus « bd » s’intègrent étonnamment bien. Ainsi Yuen Wah introduit pour la première fois sa figure de méchant précieux moustachu, mais redoutable et sadique adversaire. Le mélange d’attitudes maniérées (ce petit rire sournois) et de férocité guerrière rend le personnage mémorable (au point que certains spectateurs le pensaient interprété par un Japonais sans reconnaître l’acteur) et d’autant plus délectable le sort que lui réserve Sammo Hung. En définitive les penchants les plus douteux de Hung (nationalisme, machisme) se fondent dans un dosage habile rendant les écarts aussi surprenants que jubilatoires. 


 Sorti en dvd zone 2 français chez Metropolitan

mercredi 26 février 2025

Dortoir des grandes - Henri Decoin (1953)


 L'inspecteur Désiré Marco enquête dans un collège de province suite au meurtre de l'une des pensionnaires retrouvée étranglée. Et si le coupable se cachait du côté des autres collégiennes, moins sages qu'elles n'y paraissent ?

Henri Decoin signe avec Dortoir des grandes une très plaisante comédie de mœurs. Le film adapte le roman 18 Fantômes de Stanislas-André Steeman, romancier plébiscité par le cinéma français depuis le succès de L’Assassin habite au 21 de Henri-Georges Clouzot (1942) puisque suite à ce dernier pas moins de sept adaptations suivront dont le fameux Quai des orfèvres (1947) de nouveau signé Clouzot. Tout comme dans ces deux films, l’argument policier et plus particulièrement la dimension de whodunit que partagent L’Assassin habite au 21 et Dortoir des grandes, le film d’Henri Decoin privilégie l’étude de caractères au suspense. La couleur est annoncée durant la scène d’ouverture durant laquelle l’inspecteur Marco (Jean Marais) est briefé avec humour et désinvolture par son supérieur et mentor le commissaire Broche (Pierre Morin). La bonhomie de flic « à l’ancienne » de ce dernier se heurte aux spécificités d’un environnement doublement complexe, que ce soit la bourgeoisie provinciale ou le monde secret des adolescentes.

Marco, caractérisé comme un jeune novice gauche (alors que Jean Marais avait déjà la quarantaine) se voit ainsi pris de haut par la directrice du pensionnat (Denise Grey) et gentiment moqué par les jeunes élèves espiègles. C’est pourtant cette supposée maladresse et jeunesse qui va créer une certaine proximité de Marco avec les suspectes de ce cadre, susciter une confiance qui permettra les confidences afin de livrer les secrets de ce vernis sage. Un des atouts d’Henri Decoin pour cela est d’exagérément jouer du sex-appeal de sa star Jean Marais. Plusieurs séquences le montrent comme dépassé par les évènements, et cela avant tout à cause du désir qu’il suscite chez l’ensemble du casting féminin. Cela commence avec la scène dans sa chambre d’hôtel où il est plusieurs fois interrompu par la servante (Jeanne Moreau) se délectant de son corps torse nu. On aura ensuite la très audacieuse pensionnaire incarnée par Françoise Arnoul tentant à plusieurs reprises une séduction aussi naïve qu’effrontée envers Marco, notamment lors d’un rendez-vous nocturne dans une cabane. 

Cet atout charme déverrouille les cloisons qui seraient restées fermées à un policier traditionnel, et sont l’occasion pour Decoin de nombreuses affèteries formelles et de quelques menues provocations. Lorsque Marco s’introduira en douce dans le dortoir des jeunes filles et sera malmené par ces dernières, le sein d’une pensionnaire se révèle tandis que de multiples inserts sur les parties nues de leurs chemises de nuit déchirées se laissent voir. Tout en générant de plaisants instants de pure comédie (le mariage et la filiation que s’invente maladroitement Marco avec de fausses photos pour repousser les assauts féminin), cette immersion de Marco devient pertinente et vectrices des vérités cachées du lieu. 
Intéressantes dans l’idée quand elles passent par le seul dialogue, les révélations deviennent jubilatoires quand Decoin se repose uniquement sur des idées formelles. La culpabilité d’une enseignante entretenant une liaison saphique avec une élève (Dany Carel débutante) est l’occasion d’un plan étonnant durant lequel le visage de Jean Marais se reflète dans le bijou d’une bague – cette dernière étant aussi l’indice d’une autre tentative de meurtre récente. Cette approche culmine bien sûr durant la confrontation finale voyant la coupable démasquée par les films amateurs tournés par la défunte qui avait capturé là l’envers plus sulfureux de ce pensionnat respectable.

On pourra regretter que malgré quelques amorces pertinentes, la dénonciation de l’hypocrisie bourgeoise provinciale soit plus timide sorti du microcosme du pensionnat, alors qu’une peinture au vitriol façon Chabrol avant l’heure était possible. La directrice suggère ainsi de trouver un coupable, n’importe lequel, parmi la populace sans entacher la réputation de son établissement et de ses élèves de bonnes familles. Il y a aussi ce croustillant personnage de photographe érotomane incarné par Louis de Funès (partageant un bref instant l’écran avec Jean Marais avant la trilogie Fantomas), mais de même les dialogues davantage que les situations abordent cet aspect sulfureux - n'oublions pas la mère de l'élève défunte empochant l'héritage avec son amant gigolo. Dortoir des grandes n’en demeure pas moins un divertissement plaisant que Decoin parvient ici et là d’imprégner de touches plus personnelles (la célébration du sport et de l’effort physique lors d’une séquence d’exercice en plein air), et qui révèle dans son casting plusieurs talent en germe du cinéma français des années à venir.

Sorti en bluray français chez Gaumont

lundi 24 février 2025

Compañeros - Vamos a matar, compañeros, Sergio Corbucci (1970)


 Yoladf, un trafiquant d'armes, doit vendre son matériel pour une "guérilla", mais l'argent est bloqué dans le coffre d'une banque. La combinaison est seulement connue du professeur Xantos, prisonnier des Américains. Yoladf, accompagné par une équipe de professionnels, va faire évader cet homme dont il a tant besoin.

Compañeros est la pièce centrale d’une trilogie de Sergio Corbucci s’inscrivant dans le western « Zapata », suivant El mercenario (1969) et précédant Mais qu'est-ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ? (1972). Le western Zapata est un sous-genre du western italien, se caractérisant par son cadre de la Révolution Mexicaine et un propos très politisé souvent en rapport avec le contexte géopolitique contemporain. Le film fondateur du genre sera El Chuncho de Damiano Damiani (1966) qui en pose la structure presque immuable mais sujette à de nombreuses variations sur le même thème. Il s’agit de l’association et de la confrontation entre un occidental (souvent américain) cynique et un peon mexicain ignare au cœur de ce cadre agité de la Révolution Mexicaine, l’aventure les amenant à un rapprochement amical et possiblement idéologique. Des cinéastes engagés comme Damiano Damiani et Sergio Sollima renforcent l’écho du message politique dans leurs western Zapatta, notamment sous la plume d’un scénariste politisé comme Franco Solinas voyant dans le western une voie plus accessible pour affirmer son propos auprès d’un public populaire.

Ces films, sans forcément être sentencieux, s’avèrent donc très affirmés dans leur message de gauche, alors que Sergio Corbucci semble, notamment sur Compañeros (il sera plus contraint sur El Mercenario avec le scénario justement rédigé par Franco Solinas), davantage faire un pas de côté même si le duo gringo cynique/peon dépolitisé est reconduit. Alors que Franco Nero semble reprendre son personnage de dandy désinvolte de El Mercenario, c’est Tomás Milián qui endosse avec gouaille et énergie celui du peon Vasco. Après des débuts dans un cinéma d’auteur plus intellectuel et une formation classique, l’acteur avait trouvé un second souffle dans le cinéma italien et plus particulièrement le western en devenant l’idole des publics du tiers-monde grâce à la trilogie « Cuchillo » de Sergio Sollima (Colorado (1966), Le Dernier face à face (1967), Saludos Hombre (1968)) qui marque cette bascule de son registre. La première partie du film joue ainsi plus particulièrement sur l’opposition des deux personnages, celle-ci relevant avant tout du rang social et du bagage intellectuel - prolongée par les différences physique, l'élégance et la blondeur stoïque de Nero aux yeux bleux, l'agitation et la présence débraillée du "métèque" Milian-, même si la finalité de leur contribution à la révolution n’est pas si éloignée. 

Passé l’introduction qui amorce le flashback, Corbucci s’amuse du chaos et de la ronde des tyrans lorsque Vasco, cirant les bottes du dominant militaire du moment, a un sursaut de fierté sanglante face à celui-ci mais tombe de Charybde en Scylla lorsque l’échauffourée qui s’ensuit le met sous la coupe de Mongo (José Bódalo). Le péon est un être qui subit les évènements dans le contexte de la Révolution, et se range presque par instinct de survie animale vers la main qui l’épargne et le nourrit, quitte à se perdre. A l’inverse, le « Suédois » (Franco Nero) est montré comme un être distant aux évènements et cupide, usant au contraire de ses atouts sociaux et intellectuels pour s’offrir au plus offrant dans cette poudrière mexicaine. Quelques scènes démontrent que sous ces archétypes les deux personnages n’ont pas un si mauvais fond, sont capable d’empathie et ne demande qu’à être « éveillés ». Le terme « éveillé » est plus en adéquation avec le propos de Corbucci que celui « d’éduqués » qu’on emploierait plus aisément pour aborder la naissance d’une conscience politique chez l’individu.

Ainsi la première partie est un pur récit picaresque durant lequel chacun des héros incarne pleinement l’archétype qui le définit : roublard et individualiste pour le Suédois, débrouillard mais naïf avec Vasco – l’hilarante scène où il est dépassé par les talents d’amante d’une prostituée. Les péripéties comiques et les morceaux de bravoure spectaculaires s’enchaînent avec frénésie tandis que le duo apprend à se connaître à coup de trahison et de rabibochage. « L’éveil » viendra durant la seconde partie avec un troisième larron s’ajoutant au voyage, le leader pacifiste Xantos (Fernando Rey). Là où le scénario d’un Franco Solinas aurait asséné son message à coup de tirades appuyées, Sergio Corbucci construit l’engagement de ses personnages dans l’action. Vasco est surpris par l’empathie de Xantos qui force le Suédois à revenir sur ses pas pour le sauver tandis que le cynisme de ce dernier est ébranlé par tant de bienveillance. 

Le « prisonnier » devient par son calme et son éloquence un mentor et une figure paternelle pour le duo, une dynamique explicitement illustrée lorsqu’il tente de calmer un sévère bagarre entre eux. Corbucci entremêle les métaphores qui auraient pu sembler simplistes à une vraie logique dramatique, telle la fascination de Xantos pour une race de tortue qu’il va collecter durant le périple. Le pas de côté du réalisateur existe dans cet aparté où une logique simple (mais pas simpliste) influence la vision du monde jusque-là uniforme (dans la cupidité pour le Suédois, la survie pour Vasco) de Vasco et le Suédois.

Corbucci oppose d’ailleurs à ses héros des personnages miroirs qui resteront dans la caricature malfaisante chacun à leur manière. Mongo est un chef de guerre mexicain opportuniste voyant la révolution comme un moyen de s’enrichir (José Bódalo ayant d’ailleurs déjà joué ce type de figure pour Corbucci dans Django (1966), tandis que John (Jack Palance) est quant à lui ce gringo désinvolte et bras armé des businessmen américains dont il protège les intérêts moyennant finance. Jack Palance en fait un méchant fascinant, flottant au-dessus des évènements dans les volutes de marijuana, et représentant aussi ce mélange d’allégorie et de pure efficacité narrative recherchée par Corbucci – le faucon de John symbole des Etats-Unis mais aussi implacable prédateur volant traquant nos héros. 

Fort de ces différents niveaux de lecture jamais appuyés, Corbucci peut ainsi célébrer un bel entre-deux. Le dogme pacifiste de Xantos se heurte à la réalité violente de la révolution, et la nature même des péripéties s’en ressent. La première partie immorale mais jouissive s’oppose à la seconde à l’action plus incarnée où l’on a réellement peur pour les personnages, avec en point d’orgue la spectaculaire mais « facile » scène d’évasion alors qu’une traversée de frontière initialement calme provoquera une tension bien plus grande. Le jusqu’au-boutisme pacifiste de Xantos sera louable au point d’en faire un quasi saint, mais c’est bien la désobéissance par les armes de ses jeunes ouailles qui constituera le point de bascule à sa cause. 

Corbucci ne fustige aucune approche, mais par sa fausse simplicité exprime paradoxalement la complexité d’un monde les approches uniformes, même les plus nobles, se heurtent à la réalité. C’est captivant de bout en bout, chaque questionnement se fondant dans une énergie picaresque d’ensemble qui ne se dément jamais et offre son moment « d’éveil » à chacun des protagonistes – le « butin » retrouvé dans le coffre par le Suédois et la leçon qu’il devra en tirer. La dernière scène vibre de cette fougue à travers des archétypes qui vacillent encore pour pencher vers le même objectif, celui de la Révolution et de l’aventure. 

Sorti en bluray français chez Carlotta

samedi 22 février 2025

L’Aventure sans retour - Scott of the Antarctic, Charles Frend (1948)


 Le film relate l'histoire de l'expédition Terra Nova de Robert Falcon Scott en Antarctique entre 1910 et 1912.

L'Épopée du capitaine Scott est une des productions les plus ambitieuses produites par le studio Ealing à la fin des années 40. Michael Balcon, patron du studio, souhaite alors renouer avec une certaine tradition documentaire épique britannique initiée dans les années 30 et grandement prolongée durant la Seconde Guerre Mondiale. Le réalisateur Charles Frend va alors lui évoquer l’idée de produire un film sur la légendaire expéditionTerra Nova qui, dans sa quête pionnière d’atteindre le Pôle Sud s’acheva tragiquement pour son initiateur Robert Falcon Scott et ses compagnons. Balcon se montre partant pour le projet dont le mot d’ordre sera un profond réalisme et respect pour la mémoire des disparus. Grâce à la collaboration de la veuve de Scott (qui morte en 1947 n’aura pas l’opportunité de voir le film), la consultation des différents journaux d’expédition et le témoignage des survivants, un script rigoureux sera rédigé par Walter Meade, par la suite retravaillé par Ivor Montagu et Mary Hayley Bell (épouse de John Mills qui interprétera Robert Falcon Scott).

Malgré son succès dans les salles anglaises, un des reproches qui sera fait au film sera sa dramaturgie ténue en raison de sa volonté de réalisme documentaire. La première partie du film narre le sentiment d’inachevé de Robert Falcon Scott (John Mills) à son retour de l’expédition Discovery (réalisée de 1901 à 1904 en Antarctique) et sa volonté durant les années suivantes d’en monter une nouvelle qui permettra à l’Angleterre d’apposer son sceau sur le territoire alors encore inexploré du Pôle Sud. John Mills dans un mélange de bonhomie et de détermination habitée rend le personnage fascinant durant cette phase de préparation. Le scénario prend le temps de dépeindre les longs mois de lobbying afin d’obtenir des financements, et la manière dont la foi de Scott attire les aventuriers divers cherchant à vivre cette expérience incroyable, mais aussi les mécènes parfois parmi les plus surprenants – cette lycéenne offrant le pécule réunit par ses camarades, avec pour récompense le nom de son école attribué à un des chiens de traîneau.
L’expédition en elle-même suit en effet avec méticulosité la chronologie des évènements. Formellement le résultat est très impressionnant grâce aux efforts déployés par Ealing. De réelles et nombreuses images de l’Antarctique sont présente dans le film, résultat du filmage intensif du caméraman canadien Osmond Borradaile (vétéran de la Première et de la Seconde Guerre Mondiale, habitué aux conditions extrême) qui aura parcouru près de 48 000 kilomètres durant six mois entre 1946 et 1947 pour offrir une matière crédible au film. Les plans larges de traversées de grands espaces enneigé ou de l’ascension de monts glaciers se fera entre la Suisse et la Norvège, offrant là encore son lot de panoramas impressionnants. 

Le récit, entrecoupé de la voix-off de John Mills reprenant des pans du journal de Scott, se déroule ainsi dans une tonalité linéaire et presque austère afin de nous faire comprendre la préparation rigoureuse de l’expédition. Quelques signes avant-coureurs du drame se dessinent néanmoins, telle la volonté louable de Scott de multiplier les moyens de transports (mécaniques en plus du recours aux poneys et aux chiens) mais qui se retournera contre lui, son attachement à ses compagnons d’aventures historiques dont la défaillance physique (le colosse Taff incarné par James Robertson Justice) sera également cause de déconvenues, et la course contre la montre imposée par l’expédition parallèle du norvégien Amundsen ayant soudainement décidé aussi d’atteindre le Pôle Sud. 

Charles Frend parvient à habilement alterner entre gigantisme et intimisme, froideur réaliste et vraie chaleur dans sa caractérisation du groupe d’aventuriers professionnels et solidaire. C’est cette approche qui rend prenant le récit tant qu’il reste dans cette ligne claire fidèle aux évènements. Formellement, le réalisateur impose progressivement un vrai changement d’atmosphère, notamment dans les scènes filmées en studio correspondant aux pauses et moments de partage collectifs dans les tentes. Les motifs correspondant à des apartés comiques (la célébration des vertus du cognac contre les différents maux physiques rencontrés dans le froid glacial d’Antarctiques) se répètent sous une tonalité tragique dans la dernière partie. L’intérieur des tentes si bruyant et rieurs devient le cadre de silences douloureux, où les visages éprouvés, les corps meurtris et les regards vacillants trahissent une volonté qui s’effrite. Le partage de la photo entre plusieurs chef opérateurs dont les prestigieux Jack Cardiff et Geoffrey Unsworth contribue à ces atmosphères hétérogènes dans la forme et bien sûr le fond pour traduire les aléas de cette odyssée. 

La dernière partie purement introspective transforme le récit en pur espace mental, la voix-off se faisant désormais chorale lorsque les pensées couchées sur leurs journaux respectifs des autres voyageurs se fait entendre en plus de celle de Scott dont les forces l’abandonnent. La volonté, l’abnégation, la solidarité puis la résignation traversent cette voix unique alors que les chances de survie s’estompent à cause d’une météo bien plus hostile que prévue. Le reproche de froideur parait ainsi assez injuste au vu de l’intensité dramatique et de l’émotion suscitée par ces derniers instants plus minimalistes. Une belle réussite à la fois humaniste, réaliste et épique. 

Sorti en bluray anglais chez StudioCanal, et disponible en streaming sur Mycanal 

jeudi 20 février 2025

Yōkai - le monde des esprits - Spirit World, Eric Khoo (2025)


 Claire, une célèbre chanteuse, s’envole au Japon pour un dernier concert à guichet fermé. Lorsque le concert prend fin, sa vie sur terre s’arrête aussi. Une nouvelle vie inattendue s’offre alors à elle : un au-delà dans lequel Yuzo, l’un de ses plus grands fans, l’attend.

Dans Hôtel Singapura (2015), un de ses meilleurs films, Eric Khoo capturait les regrets d’une vie et le sentiment du temps qui passe par le prisme d’un lieu. Cette émotion explorée dans plusieurs de ses œuvres s’exprime dans Yokai – le monde des esprits à travers un des grands mystères de l’existence, la vie après la mort. Le scénario entrecroise une approche universelle de la question, avec le personnage de Claire (Catherine Deneuve), à un environnement bien particulier dans son rapport aux esprits et son interprétation de l’au-delà, le Japon.

Le titre international, Spirits World, semble mieux capturer la volonté d’Eric Khoo en éliminant toute l’attente plus folklorique qu’induit le mont « yokai » pour le spectateur occidental. Le récit met en scène trois solitudes. Il y a tout d’abord celle d’une vie pleine d’accomplissements professionnels mais meurtrie par une profonde douleur intime avec Claire, chanteuse française inspirée de Françoise Hardy et France Gall. On trouve une vie plus modeste, voire ratée, mais cette fois pleine d’un profond apaisement apporté par sa passion pour la musique avec le vieillard Yuzo (Masaaki Sakai), éternel admirateur de Claire. Enfin, il y a la solitude de Hayato (Yutaka Takenouchi), quarantenaire fils de Yuzo, dont l’existence semble être à l’arrêt, noyé dans l’alcoolisme et des perspectives professionnelles floues.

Eric Khoo nous induit volontairement en erreur quant aux protagonistes les plus égarés de son récit. C’est notamment le cas avec Claire dont le décès en pleine tournée japonaise pose une interrogation passionnante : qu’en est-il d’un fantôme errant sur une terre étrangère ? Le réalisateur joue furtivement d’un exotisme nippon attendu (la rencontre avec le yokai d’un samouraï, une séquence dans un temple) avant d’exprimer une approche introspective qui rappellera davantage le beau Vers l’autre rive de Kiyoshi Kurosawa (2015). L’admiration de Yuzo pour Claire et le fait que tout deux soient musiciens fait du premier le guide idéal durant cet entre-deux où ils errent encore sur terre après leur décès commun et presque simultané. En accompagnant Hayato dans une forme de pèlerinage vers son passé incomplet, Claire surmonte progressivement le deuil de sa propre fille tandis que le rôle de passeur espiègle de Yuzo va révéler des maux plus profonds.

Eric Khoo multiplie les idées à la fois simples et brillantes pour exprimer les différents niveaux de lecture du récit. Les filtres du monde réel n’ont plus cours pour les fantômes, voyant Claire et Yuzo échanger et se comprendre en s’exprimant chacun dans leurs langues respectives. Le travail sur le cadrage et le montage nous fait partager leurs perceptions du temps désormais différente des vivants, dans leur manière d’apparaître durant les pérégrinations de Hayatto dont on partage concrètement les déplacements physiques à pied et en voiture, la façon de s’inscrire dans les espaces naturels ou intérieurs. Durant les premières scènes du film où elle est encore vivante, Claire ne semble que de « passage » et détachée du monde qui l’entoure, prenant avec distance et politesse l’admiration de ses fans japonais.

Cette terre étrangère japonaise ne va réellement lui parler qu’une fois morte, lorsqu’elle va la parcourir pour mieux se découvrir elle-même. La cause de sa dépression est à la fois explicitée et nébuleuse (le décès de sa fille, sans que l’on en sache les circonstances), mais Eric Khoo ne fait pas des retrouvailles ou d’une possible réconciliation l’enjeu final du personnage. C’est en observant la douleur d’une autre filiation meurtrie qu’elle va à son tour trouver la paix. Le voyage et le deuil d’Hayatto le conduit à une mère qu’il n’a jamais connu, ce qui semble renforcer son désespoir et c’est le soutien d’une autre mère, étrangère et fantôme, qui va raviver son désir de bonheur. L’universalité recherchée par Eric Khoo sur ces questionnements se joue notamment sur la musique. La bande-son oscille entre les chansons de Claire (qui comme évoqué plus haut lorgne grandement sur la mélancolie des meilleurs titres de Françoise Hardy grâce aux composition inspirée de Jeanne Cherhal), le tube rock sixties composé jadis par le groupe de Yuzo et chanté par la mère d’Hayatto, et la bande-originale plus atmosphérique composée par le fils du réalisateur Christopher Khoo.  

Ces trois motifs musicaux se conjuguent aux trois lignes narratives et destins du film, dans un mélange de nostalgie, de spleen et d’attente de quelque chose. Le tournage semble s’être déroulé dans un même climat de compréhension naturelle, avec un pays dont la langue était étrangère au réalisateur et à sa star française, eux-mêmes ayant des échanges restreints du fait de l’anglais limité d’Eric Khoo. Loin d’être une limite, ces conditions favorisent à l’écran cette volonté d’expression organique des émotions, jamais appuyée par les dialogues ou une symbolique lourde, malgré le passif que charrie une icône comme Catherine Deneuve ou encore un pays aussi fertile en imaginaire surnaturel que le Japon.

La belle conclusion nous révèle ainsi que l’aide entre les fantômes était à deux sens, et que ce n’est qu’avec leurs maux communs résolus qu’ils pourront partir en paix. Eric Khoo insère avec brio à cela la notion de création avec le personnage d’Hayatto qui est réalisateur, comme pour nous faire comprendre qu’à base de toute œuvre il y a une mystique plus ou moins admise par l’artiste. Yokai – le monde des esprits est un film très touchant dont le bel équilibre réside entre la richesse de son propos et l’épure de son approche. 

En salle le 26 mars

mardi 18 février 2025

Buffalo Bill et les Indiens - Buffalo Bill and the Indians, or Sitting Bull's History Lesson, Robert Altman (1976)


 L'histoire se déroule en 1885, Buffalo Bill monte un spectacle, le Wild West Show, sur l'Ouest américain pour cela, il achète Sitting Bull, un des prisonniers de l'armée. Lors d'un spectacle auquel le président des États-Unis Grover Cleveland vient assister, Sitting Bull veut lui présenter des doléances pour son peuple, il est éconduit.

Avec Buffalo Bill et les Indiens, Robert Altman semble au premier abord creuser le sillon démythificateur et politisé de l’histoire de l’Ouest alors en effervescence depuis la fin des années 60, notamment dans le western pro-indien avec des œuvres comme Little Big Man (1970), Un Homme nommé cheval (1970) ou encore Soldat bleu (1970). La grande différence qu’apporte Altman, c’est justement de ne pas faire un western, de se délester de toute la narration classique et parfois picaresque de ces films, tout en dépeignant pourtant des évènements ou du moins le contexte de ces derniers. L’idée sera d’en faire une œuvre en grande partie chorale, la vision d’un arrière-plan du monde du spectacle dans la lignée de Nashville (1975), son film précédent plébiscité par la critique et le public. Le film part pourtant sur les bases évoquées plus haut puisqu’il s’agit de l’adaptation de la pièce Indians d’Arthur Kopit, écrite en 1969, et évocation au vitriol de la vie de Buffalo Bill faisant explicitement l’analogie entre le Vietnam et les indiens.

La pièce traitait de différents moments de l’existence de Buffalo Bill, de ses sanglantes campagnes contre les indiens à sa période d’homme du spectacle exploitant opportunément l’histoire de l’Ouest. C’est uniquement cette facette qui intéressera Altman dans son film, même si le Buffalo Bill » entertainer » a déjà été traité au cinéma, notamment dans Annie Oakley, reine du cirque de George Sidney (1935). Dès la première scène, nous l’approche anti-western est explicite. Une voix-off nonchalante et distanciée évoque avec solennité les guerres indiennes, tandis que nous assistons en plan large à l’assaut d’une ferme par les indiens. Soudain la séquence s’interrompt, les morts et les blessés se relèvent, il s’agissait d’une répétition.

Avant l’apparition effective de William Cody alias Buffalo Bill (Paul Newman), sa légende nous est dépeinte comme une pure fiction par son « créateur »,  l’écrivain Ned Buntline (Burt Lancaster) qui façonna de toutes pièces l’aura héroïque de Bill. S’attachant ensuite à cette observation chorale d’une troupe de spectacle, Altman fait de son Buffalo Bill un être caractériel et égocentrique dont il n’aura de cesse d’égratigner la supposée grandeur. L’un des éléments appuyant cet aspect sera la présence du vrai chef indien Sitting Bull (Frank Kaquitts), qu’il achète à l’armée pour contribuer à son spectacle.

Quand Bill aura besoin des artifices du monde du spectacle pour prouver sa grandeur au public dans des reconstitutions orientées, de grandes batailles, Sitting Bull incarne cette mythologie de l’Ouest par son seul être, sa seule présence. L’une des scènes les plus marquantes vit Bill tenter d’humilier un Sitting Bull récalcitrant, en l’envoyant seul à cheval face au public, sans artifices, sans musiques, coup de feu ou cascades spectaculaires. Après quelques secondes de circonspection, les spectateurs font un triomphe au chef indien dont l’authenticité ne fait aucun doute, auréolé d’un charisme et d’une dignité incontestable. 

Parallèlement, Buffalo Bill sera régulièrement ridiculisé quand ses aptitudes devront être démontrées hors de l’espace du divertissement. Altman désamorce avec brio la poursuite qu’entame Bill après la fuite de Sitting Bull, alternant d’abord entre son départ glorieux aux côtés de ses hommes et les regards/remarques admiratifs de sa troupe certains de le voir revenir avec sa proie, puis filmant un piteux retour les mains vides dont la révélation de l’échec est dilatée dans la poussière soulevée les poursuivants à cheval. Auparavant l'impossibilité de faire cohabiter sur une photo Buffalo Bill et Sitting Bull (soit l'Ouest authentique et sa parodie) sera aussi une note d'intention implicite forte quant au propos d'Altman. 

Altman étend en définitive cette facticité de la légende de l’Ouest au nouvel ordre moderne avec l’apparition du président des Etats-Unis Grover Cleveland (Pat McCormick) durant la dernière partie. Diverti comme un enfant face aux facéties de la troupe de Buffalo Bill, il se montre fuyant et lâche face à la réalité qu’il doit gouverner en repoussant les demandes de Sitting Bull sans même les écouter. Comme un symbole la légende mensongère vacille d’ailleurs dans ce contexte, la précision imparable de la gâchette d’Annie Oakley (Geraldine Chaplin) faisant faux-bond durant la représentation. 

Comme le faisait dire John Ford dans L’Homme qui tua Liberty Valance (1962), « Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende ». Dès lors, la disparition de Sitting Bull autorise Buffalo Bill à enfin le « mettre en scène » et se glorifier à ses dépens, empêché qu’il était lorsque le digne chef indien le toisait encore de son regard. Un grand Altman et une formidable prestation d’un Paul Newman ayant déjà su se délester de ses oripeaux héroïques dans un western atypique avec Juge et hors-la-loi de John Huston (1972).


 Ressortie en salle le 19 février et disponible en bluray chez StudioCanal