Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 5 avril 2016

La Terre des pharaons - Land of the Pharaohs, Howard Hawks (1955)

De retour victorieux d’une longue campagne de guerre, le Pharaon Chéops impose à son peuple de lui bâtir un tombeau inviolable. Un architecte de la tribu asservie des Kushites, Vashar, accepte de lui construire sa pyramide en échange de la liberté de son peuple. Chéops tombe entre-temps amoureux de Nellifer, princesse de Chypre, qui s’est juré de lui ravir son trône et le trésor royal.

En ce milieu des années 50, Howard Hawks se trouve au sommet de sa carrière. Sortant d’une série de beau succès commerciaux et de grandes réussites artistiques (La Captive aux yeux clairs (1952), Chérie je me sens rajeunir (1952), Les Hommes préfèrent les blondes (1953)), Hawks se voit offrir un faramineux contrat par la Warner avec 100 000 dollars de salaire et cinquante pour cent sur les prochains bénéfices de ses films, du jamais vu pour un metteur en scène. Parallèlement il se voit à son grand amusement attribuer l’étiquette d’auteur par les jeunes turcs des Cahiers du Cinéma et futurs acteurs de la Nouvelle Vague. Côté personnel il brûle également la vie par les deux bouts en épousant une femme trente ans plus jeune et en continuant à s’adonner à sa passion pour les sports automobiles. Ces circonstances favorables auréolent donc naturellement le cinéaste d’une confiance à toute épreuve, ce qui tombe à point nommé alors que Hollywood est en train de basculer dans une ère de grandiloquence. 

La concurrence de la télévision a poussé les studios à l’invention du format Cinémascope, propice à des images spectaculaires que le petit écran ne peut égaler. Le format étant inauguré avec succès dans le péplum La Tunique (1953), les « sword-and-sandal » envahissent bientôt les salles américaines, chaque studio y allant de sa grande fresque antique. Curieux d’expérimenter à son tour le scope, il convainc sans difficulté Jack Warner de financer son projet de dépeindre la construction d’une pyramide par le pharaon Khéops. L’entreprise tournera pourtant au fiasco avec un tournage riche en excès divers, difficultés météorologique et dépassement de budget - raconté avec humour par Noel Howard dans son livre Hollywood sur Nil. Le film dépeint le retour sur terre et à sa propre humanité et faiblesse d’un souverain qui s’est pris pour un dieu. On pourrait tout naturellement faire le parallèle avec un Howard Hawks tout-puissant au moment d’aborder le tournage mais dont l’échec du film le ramènera à plus de modestie.

La construction du récit va dans ce sens avec l’imagerie la plus monumentale se situant dans la première partie (Hawks tournant les scènes à grand spectacle en premier pour rassurer le studio ébahis par les rushes). Khéops (Jack Hawkins) est de retour en Egypte après une campagne de guerre victorieuse. Hawks multiplie les visions grandioses pour illustrer l’aura du monarque avec ces troupes s’étalant à perte de vues, ces prisonniers soumis et ces trésors de guerre innombrables. De même les scènes plaçant Khéops face à son peuple en adoration accentuent cette aura divine, pourtant contrebalancée par le physique assez ordinaire de Jack Hawkins (on est loin de la prestance princière et dédaigneuse de Yul Brynner dans Les Dix Commandements (1955)). C’est sans doute un choix volontaire de Hawks, cette allure assez commune pouvant trahir un manque de confiance du pharaon malgré ses triomphes. S’accrochant à ses trésors, il souhaite les emporter avec lui à sa mort et se constituer un tombeau inviolable et lui offrant selon les croyances égyptiennes une vie céleste encore plus fastueuse que ne fut la terrestre.

Là encore dans la mise en œuvre de la formidable entreprise, Hawks use d’une imagerie fastueuse qui n’a d’égal que l’exaltation des égyptiens à satisfaire leur monarque, accourant de tout le pays pour participer à la construction de la pyramide. Si Khéops nous parait très terre à terre par son charisme tout relatif, tout son environnement semble suggérer le contraire. Les moyens colossaux nous offre d’impressionnantes scènes de constructions avec figurants à perte de vue et Hawks arpentant les extérieurs rocailleux dans un scope qu’il maîtrise à merveille. Plus Khéops sera ramené à sa réelle faiblesse et à son égo surdimensionné, plus cette description si grandiose verra à se rétrécir. Cela interviendra d’abord par un changement de ton, les chants joyeux des ouvriers heureux de satisfaire leur souverain cédant à la métronomie des tambours et aux claquements de fouets alors que le chantier s’éternise durant des années. Khéops n’est plus vue que comme un être autoritaire et vociférant face aux retard, loin de celui qui en appelait avec humilité à son peuple. Dès qu’entre en scène l’ambitieuse princesse Nellifer (Joan Collins), le cadre du film devient plus étriqué et les morceaux de bravoures laisse place aux intrigues de palais. 

Khéops est séduit par l’insolence de la jeune femme et ramené à son statut d’homme en cédant peu à peu de son autorité à ses formes voluptueuses. Joan Collins excelle en femme fatale antique, tout en regard de braise et poses lascives tandis que Hawks refuse désormais à Hawkins le moindre cadrage valorisant et le ridiculisant même dans ses démonstration de force comme quand il cherchera à dompter un taureau. Faute d’une écriture plus solide, le film perd néanmoins de sa force (la photo de  Lee Garmes et Russell Harlan donne ainsi un côté théâtral assez maladroit aux scènes d’intérieur) quand il bascule dans une tonalité plus feutrée et parait un peu déséquilibré. Dans une veine voisine, David et Bethsabé d’Henry King (1951) ou plus tard Esther et le Roi de Raoul Walsh (1960 et de nouveau avec Joan Collins) sauront mieux allier intimisme et spectaculaire. Néanmoins Hawks parvient à marquer durablement la rétine par ses choix hésitant entre fantaisie hollywoodienne et vrai rigueur historique puisque le Département des Antiquités égyptiennes et nombres d’égyptologues réputés (dont le français Jean-Philippe Lauer) firent office de conseillers notamment dans la description magistrale du mécanisme du piège du tombeau.

Tout comme son héros, Howard Hawks se sera brûlé les ailes en volant trop prêt du soleil dans cette superproduction qui sera un échec au box-office. Meurtri, il ne reviendra à la mise en scène que quatre ans plus tard pour Rio Bravo (1959), classique absolu dont l’apparente modestie cache une tout autre ambition que son péplum.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner 

5 commentaires:

  1. Le projet était prometteur, mais j'ai moi aussi eu du mal à pleinement m'enthousiasmer pour le résultat, un peu plombé par des figures conventionnelles. J'en ai parlé ici :

    http://elias-fares.blogspot.fr/2014/09/glaives-et-tongs.html

    E.

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  2. Hello,
    Pareil que vous deux, j'ai plusieurs réserves sur ce film, qui manque de vie - un comble pour un film de Hawks.
    Strum

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  3. Il passait régulièrement à la télé quand j'étais môme. Pas revu depuis, mais me souviens du mécanisme du tombeau à la fin.

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  4. Bon au moins cela lui aura permis de maîtriser le scope avant d'en faire un usage plus subtil dans Rio Bravo. Sinon Elias je te trouve sévère avec le Alexandre d'Oliver Stone si tu ne l'a pas vu je te recommande vivement le final cut du film qui l'améliore grandement. Dans cette forme c'est vaiment le plus réussis du revival péplum des années 2000. Et j'avoue j'aime beaucoup Troie de Petersen aussi ^^

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  5. J'ai toujours des réserves sur le Stone, mais comme je pense l'avoir noté, le film contient suffisamment de superbes moments pour que j'y trouve mon compte dans l'ensemble. J'ai le final cut et, un peu comme pour le Petersen, c'est un film qui continue d'exercer un attrait indéfinissable sur moi, qui fait que j'y reviens régulièrement.

    E.

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