Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 17 mars 2021

Sur le chemin de la rédemption - First Reformed, Paul Schrader (2017)


 Ernst Toller, un ancien aumônier militaire dont la vie est bouleversée par la mort de son fils, va se retrouver confronté aux nombreux secrets de son église, impliquée dans des affaires louches avec des multinationales éthiquement peu scrupuleuses.

Paul Schrader porte la schizophrénie de son éducation religieuse stricte et de son attrait pour le stupre et l’autodestruction tout au long de sa filmographie. Cela donne des films surprenants où la décadence est observée avec autant de fascination que de sévérité et dégoût (Hardcore (1979), Auto Focus (2002)), où l’éducation fait hésiter à y céder (La Féline (1982)). Dans cette idée, les films du réalisateur oscillent entre esthétique stylisée et tapageuse (American Gigolo (1980), Mishima (1985), La Féline encore) et une sorte d’épure janséniste baignée de culpabilité (Affliction (1997)). C’est finalement Martin Scorsese qui aura su le mieux transposer cette ambiguïté en transposant Taxi Driver (1975), scénario de Paul Schrader dont le héros cherchait à transcender son mal-être en purifiant la fange qui l’entourait. 

First Reformed semble finalement un pendant de Taxi Driver épuré des excès d’antan par un Paul Schrader dont les angoisses s’expriment dans la retenue plutôt que les excès d’antan. Travis Bickle du volant de son taxi était forcé la noirceur du monde, ici c’est le sacerdoce de Ernst Toller (Ethan Hawke), prêtre à l’écoute des maux de ses concitoyens mais dont la propre foi vacille. Noircissant les pages de son journal intime de ses doutes, Toller effectue sa tâche avec une distance, une forme d’observation qui s’oppose à l’expression spontanée de la foi. Cela passe par une voix-off qui vient entrecouper les discussions passionnantes qu’il a avec une ouaille suicidaire et dépressive s’imprégnant des peurs les plus alarmistes sur l’état du monde notamment l’écologie. Ce recul va se ressentir implicitement chez ce fidèle qu’il ne pourra sauver, et dont le mal-être va non pas le contaminer, mais s’ajouter à ses failles physiques et psychiques du moment. 

La souffrance du monde rattrape celle du personnage, et s’y conjugue même puisque l’église ne représente plus un refuge mais un reflet des dysfonctionnements de la société. L’hypocrisie et l’égoïsme au service du profit aveugle ont ainsi gangrénés sa congrégation avec un mécène ponte de l’industrie pollueuse qui freine toute velléité engagée de Toller. Schrader capture son héros dans une austérité de tous les instants, baignant ses atmosphères d’une photo terne et désaturée pour les extérieurs d’un monde en désolation qui n’a plus rien à offrir, et des éclairages plus ténébreux et sombres dans la chaire de Toller pour le laisser glisser dans la noirceur de son âme. Ce pourrissement de l’intime et de l’environnement se fait également physique, la santé défaillante de Toller étant la conséquence et/ou le prolongement de son état mental. 

Il existe pourtant une lumière possible en celle que Toller réussit à aider sans comprendre immédiatement qu’elle fait de même envers lui, la jeune veuve Mary (Amanda Seyfried). C’est le reflet positif de Toller qui aura surmonté la dépression et le suicide de son époux, et fait de sa vulnérabilité du moment (elle est enceinte, quant la perte d'un enfant nourrit la culpabilité de Toller) une force pour regarder sereinement l’avenir. Paul Schrader ne fait pas de leur rapprochement une simple romance, mais une connexion spirituelle et mystique qui les nourrit l’un l’autre. 

Le réalisateur l’exprime dans une extraordinaire scène de méditation qui les relie mutuellement mais aussi au monde qui les entoure. On est sur la corde raide entre basculer dans l’abîme et toucher la grâce, et Schrader pousse les extrêmes autodestructeurs et rédempteurs à leur point de rupture dans la magnifique dernière scène. Le cantique religieux vient accompagner la mutilation expiatoire comme le baiser libérateur dans un croisement de de nihilisme et d’emphase lumineuse absolument prodigieuse. C’est électrisant, intense, bouleversant et saisit à la fois avec rage et apaisement par un Paul Schrader revenu de tous ses démons d’antan. Grand film. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Universal et disponible sur Netflix jsuqu'au 24 mars

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