Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 16 décembre 2023

Father of the Milkyway Road - Ginga Tetsudo no Chichi, Izuru Narushima (2023)


 Masajiro Miyazawa est prêteur sur gages depuis des générations à Hanamaki dans le département d’Iwate. Il a un fils aîné Kenji et une fille Toshi. Kenji est censé lui succéder, mais refuse d’exercer une activité qu’il perçoit comme exploitant les plus pauvres, et se tourne vers l’agronomie afin d’aider la paysannerie. Un jour sa sœur tombe malade.

La poésie et la beauté de l’œuvre littéraire de Kenji Miyazawa, ainsi que la tragédie que fut sa vie inspira plusieurs fois le cinéma à travers des œuvres singulières. Ce fut notamment le cas du côté de l’animation avec l’envoutante adaptation de Train de nuit dans la voie lactée de Gisaburō Sugii (1985), celle tout aussi inspirée de Goshu le violoncelliste réalisé par Isao Takahata (1981). Son univers et sa vie personnelle permet également l’éclosion de purs ovnis comme Budori, l’étrange voyage de Gisaburō Sugii (2012) - où il reprend les personnages de chats anthropomorphes de Train de nuit dans la voie lactée -, et irrigue des créations fortes éloignées comme L’île de Giovanni de Mizuho Nishikubo, le manga, la série et les films de Galaxy Express 999 de Leiji Matsumoto. Father of the Milkyway s’avère, comme ces films, une sorte de pas de côté qui n’est pas tout à fait une biographie – celle-ci existant de nouveau sous forme de film d’animation avec Spring and Chaos de Shoji Kawamori (1996) – ni vraiment une adaptation. Le film s’inspire du livre éponyme de Yoshinobu Kadoi qui adoptait un parti pris intéressant pour évoquer Kenji Miyazawa, à savoir l’observer par le prisme de son père, Masajio Miyazawa ici incarné par Koji Yakusho.

La personnalité hors-normes, sa difficulté à s’intégrer dans la vie adulte, ses premiers pas littéraires, tout cela prend un tour différent en adoptant le regard du père. L’incompatibilité de Kenji Miyazawa à s’intégrer dans un système sociétal et familial japonais est ainsi vécu avec davantage d’empathie, en accompagnant ce père progressiste apprenant à composer avec l'originalité de son fils. Le film revêt une forme d’universalité par ce biais, posant un regard extérieur aimant mais parfois perplexe sur cet artiste en construction qui cherche sa voie. Destiné à succéder à l’entreprise familiale d’usurier tout en ayant bénéficié d’une éducation supérieure par la volonté de son père, Kenji Miyazawa (Masaki Suda) ressent une empathie profonde envers les démunis (et plus particulièrement les agriculteurs) mais aussi une culpabilité quant au commerce qu’il est supposé reprendre. Cette dichotomie et cette sensibilité le poussent vers les deux voies atypiques de sa vie, la littérature et l’agronomie. Le réalisateur Izuru Narushima cherche ainsi dans sa mise en scène à traduire par la facticité assumée de certains paysages la beauté des mots de Miyazawa dans la description du folklore agricole japonais, et par la dévotion scientifique de l’auteur démontrer du souci des autres qui est le sien.

Cet équilibre n’intervient que dans la dernière partie du film, ce qui précède nous montrant un jeune homme tourmenté et indécis ne sachant comment appliquer ses intentions. Il y a presque une sorte d’étude d’une personnalité bipolaire (le refuge du rigorisme religieux bouddhique qui guide un temps Miyazawa) mais dont le désordre est apaisé par le cadre familial, tout d’abord via sa sœur Toshi (Nana Mori) qui encourage son talent littéraire, puis le père qui bien que décontenancé se refuse à lui imposer un cadre qui le briderait. Les saillies d’humour, d’émotion et de drame accompagnent un récit qui s’avère résolument moderne. La dimension esthétisante, picturale et contemplative s’impose progressivement lorsque Kenji semble se trouver, mais les soubresauts familiaux sont au contraire filmés caméra à l’épaule dans un style heurté traduisant l’instabilité de Kenji. Le réalisateur trouve parfois un bel entre-deux pour équilibrer maniérisme et chaos, telles ces séquences filmées avec des drones pour certains paysages ou situations comme les très intenses scènes de funérailles où Kenji perd pied.

Que l’on soit familier ou pas de l’œuvre de Miyazawa, l’émotion fonctionne de bout en bout et le récit sait se faire évocateur de l’idéal de l’auteur par l’image et les mots durant les quelques moments où il déclame à voix haute son style naissant. Koji Yakusho est tout simplement formidable dans le rôle de ce père bougon et bienveillant, et le jeune Masaki Suda, totalement habité en Kenji Miyazawa émeut constamment. Cet angle narratif sort le film des rails du biopic classique, et c’est presque avec la même fierté que son père que l’on observe Kenji vaciller puis apprendre à marcher pour devenir l’artiste reconnu qu’il est désormais, même à titre posthume. 

Vu au festival du cinéma japonais Kinotayo à la Maison de la culture du Japon à Paris

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