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lundi 18 mars 2024

Un si noble tueur - The Gentle Gunman, Basil Dearden (1952)

En 1941, un petit groupe d'hommes de l'I.R.A. dépose des bombes dans les stations du métro de Londres. Leur chef, Terence, a fini par prendre conscience de la stupidité et de l'inutilité de la violence, et il déserte. Son frère Matt vient alors d'Irlande pour prendre sa place. Après l'arrestation de deux des hommes, Matt, croyant que Terence * les trahissait, revient en Irlande et fait son rapport au chef de l'I.R.A., Shinto, et à une femme, partisane fanatique. Elle a aimé Terence mais maintenant elle reporte son amour sur son frère. Lorsqu'ils apprennent que deux prisonniers doivent venir à la prison de Belfast, Shinto projette de les faire échapper.

Basil Dearden, durant son passage au studio Ealing puis plus tard en développant sa société de production, n’eut de cesse de s’emparer de sujets socio-politiques audacieux et sensible. Au sein d’Ealing, cet engagement se fond dans les genres des films concernés, le quotidien de la police ou les romances mixtes avec les polars The Blue Lamp (1950) et Pool of london (1951) par exemple. Cette volonté se renforce lorsqu’après Ealing il fonde sa compagnie avec son partenaire Michael Relph (rencontré en temps que décorateur sur Saraband for Dead lovers (1948) puis producteur sur tous ses films suivants) et que la majorité de leurs films communs auront une teneur sociale prenant cette fois le pas sur le genre. Le racisme avec la délinquance juvénile avec Violent Playground (1958) et Sapphire (1959), l’homosexualité sur Victim (1961) ou encore les témoins de Jéhovah dans Life for Ruth (1963). Il n’est donc pas étonnant de voir spécifiquement aux commandes d’Un si noble tueur, abordant le sujet sensible de l’I.R.A. qui s’il se verra abordé par le cinéma hollywoodien classique (Le Mouchard (1935) et Révolte à Dublin (1936) de John Ford) et plus contemporain (Ennemis rapprochés de Alan J. Pakula (1997), Michael Collins de Neil Jordan (1996), est encore assez rare dans la production anglaise de l’époque si ce n’est Huit heures de sursis de Carol Reed (1947) – carence rattrapée aussi dans la production contemporaine avec Au Nom du père (1993) et The Boxer (1997) de Jim Sheridan, Le Vent se lève de Ken Loach (2006).

Un si noble tueur exprime un message pacifiste questionnant le fanatisme et la pulsion de mort des membres de l’I.R.A. Les Anglais sont en retrait du récit et l’intrigue oppose deux faces du militantisme à travers la fratrie composée de Terence (John Mills) et son jeune frère cadet Matt (Dirk Bogarde). Terence a constaté la vacuité de la seule lutte armée en vivant à Londres, en côtoyant le peuple anglais qui, loin de composer l’entité unique d’un ennemi invisible et ancestral, se compose de petites gens rencontrant les mêmes problèmes matériels que les siens en Irlande. Dearden dépeint, avec le recrutement de l’adolescent Johnny (James Kennedy), le processus de fanatisation et d’endoctrinement de la jeunesse où en s’appuyant sur les ressentiments passés, la haine des Anglais et la prise des armes devient un véritable rituel de passage, une affirmation de sa virilité par ce courage. 

Dearden confronte ce discours et cette idéologie haineuse au réel de situations complexes tout au long du film. En voulant poser une bombe aux dégâts supposés « inoffensifs » dans le métro anglais servant de refuge aux familles durant le Blitz, Matt subit le dilemme moral de possiblement frapper des innocents. La virulence et le fanatisme de son discours ne fonctionne que durant ses interactions isolées avec Terence, mais vacille dès qu’il s’agit d’effectuer le choix juste entre le militantisme et la morale ordinaire. Il faut toute la sensibilité de Dirk Bogarde pour préserver l’empathie de son personnage quand l’idéologie semble prendre le pas, mais la fébrilité de l’acteur et le contrepoint apaisant et pacifiste de John Mills maintiennent une ligne morale subtile. Il y a là une sorte de conflit social et de génération dans les affrontements se jouant au sein du récit.

Une mère (Barbara Mullen) ayant perdu son époux et voyant son fils prendre ce chemin violent distingue clairement la face sombre de cet engagement. La jeunesse semble déceler une échappatoire à un morne quotidien et une forme de romantisme morbide dans la pulsion de mort de cette guérilla moderne. Le personnage d’Elizabeth Sellars, passant des bras d’un frère à l’autre au gré de leurs convictions, dégage un érotisme fiévreux stimulé par cette pulsion de mort, son amour étant promis à n’être jamais aussi fort qu’après un sacrifice tragique et attendu. 

Les meneurs plus âgés semblent donc exister pour perpétuer le cycle de la haine et de la violence à l’image de Shinto (Robert Beatty), écrasant de la pression du groupe les jeunes recrues malléables. Basil Dearden dépeint tous ces questionnements avec finesse, équilibrant parfaitement le discours et la pure efficacité du suspense pour affirmer son propos. Il n’y a pas forcément au sein du film un grand morceau de bravoure dont on le sait capable, mais la tension est constante, la violence et les rebondissements déroutants peuvent surgir à tout moment – la réaction apeurée de Johnny face au gardien de dock. Un si noble tueur est une grande réussite qui aborde avec justesse et retenue une problématique à la fois locale et universelle. 

Sorti en bluray français chez StudioCanal 
 

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