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mercredi 8 janvier 2025

La Forêt animée - El bosque animado, José Luis Cuerda (1987)


 En Galice, région d'Espagne pleine de mythes et de traditions : une "forêt animée", sorte de lieu magique où vivent toute sorte de personnages attachants...

La Forêt animée est la très célébrée (cinq Goya remporté en 1987) seconde réalisation de José Cuerda, qui à ses débuts se révèlera plutôt sur le registre de la comédie. Cuerda se fait connaître tout d'abord à la télévision par l'écriture de scénario et la réalisation de documentaires, avant de signer son premier long-métrage avec Pares y nones (1982), essai entre vaudeville et screwball comédie s'inscrivant dans le courant de la "comédie madrilène" en vogue en Espagne, notamment dans les films de Fernando Trueba. Sans se délester complètement de ce registre léger, La Forêt animée témoigne d'une ambition plus grande en adaptant le roman éponyme de Wenceslao Fernández Flórez, publié en 1943.

Le film de José Cuerda est la seconde et plus connue des adaptations du livre, venant après une première produite en 1945 et précédent une troisième produite en tant que film d'animation et sortie en 2001. Wenceslao Fernández Flórez était un auteur ayant en grande partie fait carrière dans le journalisme où il était apprécié par sa manière truculente d'évoquer l'actualité, notamment sportive. Il en reste quelque chose dans le film, dans sa nature de récit choral, ses personnages truculents et son environnement mélangeant réalisme social et à l'autre bout du spectre un certain réalisme magique - qui par certains moment annonce un peu celui de Vacas de Julio Medem (1991).

Côté réaliste, cela reposera grandement dans la description minutieuse des oppositions de classe entre les habitants d'une zone rurale de Galice. D'un côté, nous allons trouver divers laborieux répondant chacun à leur manière au dénuement. Geraldo (Tito Valverde) est un ouvrier amputé d'une jambe (que l'on suppose perdue durant la Guerre Civile) dont le quotidien s'égaie en aimant à distance la belle Hermelinda (Alejandra Grepi), jeune femme exploitée par sa riche et acariâtre tante Arrualo (Encarna Paso). Malvis (Alfredo Landa) a trouvé un moyen plus farfelu de surmonter sa pauvreté, celle de se muer en voleur mystérieux, le Fendetestas braquant les locaux ayant le malheur de traverser la forêt entourant le village.

Quand les pauvres se nourrissent ainsi de petits bonheurs fugaces (amour non réciproque de Geraldo, flirts furtifs de Hermelinda, larcins inoffensifs de Malvis), les bourgeois se complaisent dans l'oisiveté et les nouveaux riches dans l'accumulation et la surveillance jalouse de leur bien. Cuerda oppose notamment par la photo vaporeuse de Javier Aguirresarobe, les tenues blanches et la langueur de la famille bourgeoise du Senior D'Abondo (Fernando Rey) cet univers nanti face aux teintes plus sombre, terne et maronnasse de l'univers des masses laborieuse.

La forêt est une sorte de trait d'union entre les d'eux, dont l'esthétique et les évènements qui s'y jouent expriment d'autres possibles. Le personnage le plus loufoque à savoir Malvis en a fait sa demeure dont il ne sort jamais, et ce lieu est le théâtre des ruptures formelles et de ton du récit. L'atmosphère nocturne bleutée invite naturellement le fantastique avec la rencontre d'un fantôme plus pathétique qu'effrayant et exprimant justement les regrets et les actes manqués des pauvres durant leur vivant. La chronique est très touchante par sa légèreté de surface et son humour truculent, travaillant un romanesque laissant entrevoir une issue possiblement heureuse. 

Cela passe par la célébration des mythes et superstitions locaux qui illustrent ainsi cette tonalité de réalisme magique, avec la consultation d'une "sorcière" résolvant les petits et grands tourments de chacun, deux vieilles filles en villégiature voyant dans chaque artefact croisé le signe d'une présence divine ou démoniaque. José Cuarda navigue très bien entre les tons et atmosphères grâce à une galerie de protagonistes attachants, et c'est justement le sort de l'un d'eux, la fillette gouailleuse Pilar (Laura Cisneros) qui marque la fin des illusions.
 
La dernière partie du film semble effectuer une boucle narrative (la rencontre de la dernière scène faisant écho à celle de la première), thématique dans son déterminisme social (le petit garçon prenant le même chemin marginal que Malvis) et existentielle par son usage du fantastique où l'espace de la forêt est davantage une prison maintenant les statuts - la magnifique dernière scène où même le fantôme ne peut échapper à sa condition - qu'une échappatoire. 

La forêt "animée" ne peut nous faire échapper à notre conditionnement (Malvis après la satisfaction d'une action noble qui s'en détourne pour rester un voleur de pacotille), mais simplement entrevoir un ailleurs inaccessible. Sous les rires tendres, une mélancolie latente finit donc par dominer dans ce beau film. José Luis Cuerda poursuivra ce mélange des genres entre ruralité, récit choral, humour et spleen dans son film suivant L'Aube, c'est pas trop tôt (Amanece, que no es poco) qui sortira en 1989 et remportera également un beau succès. 


 Sorti en bluray espagnol sans sous-titres français mais avec sous-titres espagnols

 

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