The Ship that Died of Shame est une œuvre mêlant habilement les questionnements sociétaux de l’Angleterre d’après-guerre et les thématiques propres à Basil Dearden. Le film adapte la nouvelle éponyme de Nicholas Monsarrat (publiée en 1952), écrivain spécialiste du récit maritime et déjà mis en image au sein du studio Ealing avec The Cruel Sea de Charles Frend (1953). Dearden s’attèle ici au scénario avec son fidèle partenaire Michael Relph, et l’on peut distinguer certains éléments déjà observé précédemment au sein de sa filmographie. Dans le cadre des films de propagande produits en Angleterre durant la Deuxième Guerre Mondiale, Basil Dearden était déjà passé par le cinéma fantastique pour exprimer son propos, humaniste et mystique dans la fable They Came to a City (1944) - sorte de pendant anglais à Horizons perdus de Frank Capra (1937) – et film de fantômes rédempteur incitant à l’effort de guerre dans The Halfway House (1944). On retrouve de cela ici avec les vertus protectrices et la caution morale que revêt pour les personnages le canonnier 1087, que ce soit par sa vélocité à les éloigner du danger durant les joutes guerrières initiales, ou les confronter à leurs actions répréhensibles par des avaries « volontaires » tombant toujours au mauvais moment.
Le film explore aussi la période d’incertitude morale agitant l’Angleterre d’après-guerre. Si la réalité et les films de propagandes nous montrent que l’individualité fut souvent sacrifiée au service de l’union sacrée et l’effort collectif durant le conflit, les privations d’alors développèrent toute une nouvelle forme de criminalité avec le marché noir et la propagande. Un certain pan du film noir anglais, le "spiv movie" aborde la question comme Je suis un fugitif d’Alberto Cavalcanti (1947), et c’est aussi l’occasion d’observer la dérive d’une « génération perdue » avec une jeunesse corrompue ayant grandie dans ce contexte. C’est un thème au cœur de London Belong toMe de Sidney Gilliat (1948) et Brighton Rock de John Boulting (1947), le voyou en devenir voire gangster poupin étant incarné dans les deux films par Richard Attenborough, de nouveau en mauvais génie corruptible dans The Ship tha Died of Shame. Si l’acteur et son personnage George ramène cette question de la boussole morale incertaine dans une époque qui l’est tout autant, Bill (George Baker) expose lui un questionnement et désenchantement plus existentiel. L’introduction du film illustre une forme d’adrénaline, de profonde camaraderie voire de fraternité parmi l’équipage, affrontant le danger avec une hardiesse rigolarde lors de joutes maritimes spectaculaires. Ce repère collectif rejoignait ainsi cette idée d’union sacrée nationale durant le conflit, tandis que le repère intime pour Bill tient aux retrouvailles avec sa jeune épouse Helen (Virginia McKenna) entre deux campagnes. Lorsque celle-ci disparait tragiquement dans un bombardement, le déséquilibre se crée en raccrochant Bill au seul repère collectif du canonnier, lui aussi voué à disparaître à la fin de la guerre et le plongeant dans un moment où il ne saura quelle direction donner à sa vie.Les prémices de la veulerie de George se dessinaient déjà lorsqu’il cherchait à tricher lors du calcul très trivial du nombre de cibles abattues et gravées sur le 1087. C’est néanmoins lui qui propose de reconstituer l’équipe d’antan sur leur navire remis à neuf, et l’on ressent de manière différente mais bien présente le vide de la vie civile incitant les personnages (auquel s’ajoute le marin et mécanicien Birdie (Bill Owen) à reprendre la mer, cette fois pour l’activité toujours dangereuse mais moins noble de la contrebande. Un beau travail d’ellipse montre les équilibres de pouvoir basculer, Bill capitaine du bateau et véritable maître à bord durant la guerre, devient un exécutant des transports aux cargaisons de plus en plus douteuses commanditée par George. La noble cause d’antan cède au profit et à l’absence de scrupule, et le supplément d’âme chanceux du bateau se retourne progressivement contre eux en entravant de façon mystique leurs action. Le 1087, qualifié au féminin par l’équipage, avait constitué au fil des missions et de la constitution de cette famille de substitution une sorte de mère protectrice ramenant toujours ses « enfants » à bon port. Comme le souligne Mélanie Boissonneau dans le livret accompagnant le film, le 1087 bénéfice de plus d’égard que l’authentique personnage féminin du film joué par Virginia Mckenna avec plusieurs idées formelles plaçant l’appareil au centre de l’état d’esprit de l’équipage.Fier et véloce face au danger en évitant les bombardements ennemis durant la première partie, le 1087 a encore fière allure durant les retrouvailles et la propagande bon enfant des débuts. Peu à peu, les séquences maritimes se font nocturnes ou plongées dans la brume comme pour illustrer le flou moral des actions de l’équipage. La mer tranquille fendue par le 1087 se trouve dès lors déchaînée par les éléments, permettant au bateau de se débattre pour expulser la marchandise douteuse de son bord. Cette approche culminera durant la dernière partie où une ligne fatale est franchie, forçant une purification plus radicale et exigeant un sacrifice plus profond. On avait vanté le savoir-faire technique de Ealing sur les effets spéciaux aériens de The Night My Number Came up (1955) et Out of the Clouds (1955), et le résultat est tout aussi impressionnant sur l’eau dans The Ship that died of shame. Le soutien de la Royal Navy quelques authentiques scènes maritimes amples et épiques (entrecoupées de stock-shots de tirs ennemis durant les scènes de guerre), alternant avec un impressionnant travail sur les maquettes. Celles-ci sont désormais plus visibles, mais le résultat reste néanmoins très solide et les séquences maritimes les intégrant les masquent habilement par un usage dans des passages nocturnes, ou alors endosse une sorte de licence poétique assumée lors du climax voyant le 1087 se « débattre » farouchement face aux tâches qu’on lui assigne, et par cette rébellion forcer la rédemption de Bill. The Shit that died of shame est une preuve de plus du talent versatile et de la cohérence thématique du talentueux Basil Dearden.
Sorti en blu-ray frnaçais chez Tamasa
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